Les témoignages sont des textes produits par des personnes ne provenant pas obligatoirement des disciplines sexologiques ou connexes. Ces textes présentent des émotions, des perceptions et sont donc hautement subjectifs. Les opinions exprimées dans les témoignages n'engagent que leurs auteur.e.s et ne représentent en aucun cas les positions de la revue.
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Avec le temps des fêtes surgissent les questions indiscrètes de toute la famille concernant ma vie amoureuse. Certain.e.s se gardent plus de gêne que d’autres, surtout à la suite de mon coming out bisexuel. Il y en a qui préfèrent ne pas penser à l’implication de mon orientation sexuelle sur le choix de mes éventuel.le.s partenaires. D’autres, à travers des espoirs à peine cachés, souhaitent que la prochaine personne que je choisirai dans ma vie soit un homme, et par un homme, ils et elles veulent dire un homme cisgenre. C’est difficile de lâcher prise face aux attentes familiales, surtout sur des sujets aussi intimes.
Il y a une partie de moi qui ne veut pas faire subir de pression à personne, mais cette responsabilité ne m’appartient pas et échappe à mon contrôle. Je dois accepter que je ne pourrai jamais protéger toutes les personnes que j’aime. J’essaye de réaliser que je ne suis pas responsable des attentes des autres. Néanmoins, je remarque que je ne jouis pas du privilège des personnes hétérosexuelles. Moi, je dois porter une charge mentale, celle de devoir préparer ma future partenaire au fait qu'elle sera la première femme à rencontrer officiellement mes parents et qu’elle confirmerait en quelque sorte les pires craintes de ma famille à mon égard, mais également les miennes.
Ces craintes, c’est entre autres cette peur viscérale d’être de nouveau confrontée au rejet, autant du côté de ma famille que du côté de ma future partenaire. C'est cette crainte qui me pousse à toujours remettre à plus tard le moment des présentations parce que j’ai peur de ne pas être capable de protéger la femme que j’aime de la déception que l’on verra peut-être dans les yeux de mes parents. C’est l’appréhension que l'on me fasse porter le deuil de la vie bien rangée avec un chum, une petite maison en banlieue et un chien, que mes parents avaient probablement imaginée pour moi. C’est le poids, mais aussi en quelque sorte la fierté d’être la première de la famille à ne pas cadrer dans le modèle de la famille nucléaire hétérosexuelle digne d’un film des années 50. C’est confirmer que je n’ai jamais su être « normale », malgré leurs efforts, et que je deviendrai officiellement la source de ragots la plus intéressante de la famille élargie pour la soirée, voire même pour les semaines à venir.
Il y a aussi la peur de perdre celle que j’aime, qu’elle me rejette. Pourquoi? Peut-être parce qu’elle aura peur, qu’elle n’aura pas envie d’être la première femme à rencontrer ma famille et qu’elle n’aura pas envie de vivre l’équivalent d’un nouveau coming out. Elle sera confrontée au fait qu’avant elle, il n’y avait eu que des hommes. J’ai peur qu’elle trouve ça trop compliqué de partager sa vie avec une fille bisexuelle qui vient de faire son coming out. Toute cette angoisse qui résulte selon moi de l’homophobie ambiante fait en sorte que malgré tous mes efforts pour déconstruire les modèles hétérosexistes que l’on m’a appris depuis l’enfance, il reste très difficile pour moi d’aller vers les femmes.
Je ne crois pas être la seule à porter la charge de préparer sa famille à ce que la prochaine personne qui sera dans sa vie ait peu de chance de représenter l’idéal du partenaire hétérosexuel, dans mon cas, un homme cis. Pour plusieurs personnes issues de la diversité sexuelle et de genre, le temps des fêtes est particulièrement stressant. Le plus terrible dans mon cas, c’est que tout se déroule sous le couvert d’une ouverture d’esprit. Cette prétention à l’ouverture me force malgré moi à répondre à des questions auxquelles je n’ai aucunement envie de répondre. Si je refuse, c’est moi que l’on accuse de faire preuve de fermeture.
Le pire, c’est que plus la soirée avance, plus les questions se font indiscrètes, comme s’il y avait un certain degré d’alcoolémie qui excuse toutes les questions, même celles auxquelles on n’aimerait pas répondre soi-même :
- Comment ça se fait que tu sois encore célibataire, surtout toi qui a plus d’options? Héhéhé!
- Quand est-ce que tu vas nous ramener un p’tit chum, oh ou une p’tite blonde? (la dernière partie prononcée sur un fond de malaise palpable.)
- Toi là, honnêtement t’aimes plus les hommes ou les femmes?
J’imagine qu’être célibataire quand t’es straight dans le temps des fêtes ne relève pas de la facilité, mais je trouvais les partys de famille plus faciles avant mon coming out.
À la grande surprise de mes oncles et de mes tantes, non, le fait d’être bisexuelle ne me rend pas la tâche plus facile pour trouver une personne avec qui partager ma vie quel que soit son genre. D’abord, quand t’es bi, les applications de rencontres, c’est loin d’être le succès garanti, entre ceux et celles qui cherchent une licorne, c’est-à-dire une femme préférablement bisexuelle pour pimenter leur couple le temps d’une soirée, les dudes qui trouvent donc ça excitant une fille bisexuelle et les femmes lesbiennes qui te disent que tu fais ça pour l’attention, la partie n’est pas gagnée. J’ai l’impression de passer ma vie assise entre deux chaises. J’aime attiser le désir, mais j’ai souvent peur d’être uniquement ça, de personnifier le stéréotype de la femme bisexuelle hypersexualisée. J’ai peur de voir ma sexualité encore une fois détournée pour d’autres plaisirs que le mien. J’adorerais disposer de l'espace nécessaire pour en discuter, mais ce n’est clairement pas après sa quatrième coupe de vin que ma tante Ginette est le plus disposé à m’écouter. C’est clairement pas ce que j’appellerais un safe space.
Alors je leur réponds que je suis célibataire par choix, même si je n’arrive pas à m’en convaincre moi-même. Même si en ce moment, à dire vrai, c’est plus par défaut qu’autre chose et ça m’épuise de devoir à tout prix faire accroire que je suis bien seule 100 % du temps. Je pourrais même faire référence à Emma Watson, dire que, comme elle, j’ai décidé de me prioriser et de ne pas voir le célibat féminin comme une chose indésirable. Le fait de prendre des décisions pour moi en prenant exemple sur des modèles de femmes fortes et inspirantes pourrait amener certain.e.s à me classer parmi les rangs « des maudites féministes frustrées » pour clore rapidement la discussion. Ce qui honnêtement ne me dérange pas trop puisque je n’ai pas envie de justifier le pourquoi du comment de chacune de mes décisions. Des fois, il fait bon de simplement exister sans se justifier.
En attendant l’éventualité d’un monde où je pourrai être à l’aise avec ou sans partenaire, je crois que le plus simple, pour l’instant, c’est quand même de partir dans le Sud pour les prochaines fêtes…
D'autres témoignages sont disponibles dans le dossier « Célibat. Vers une redéfinition positive ». N'hésitez pas à consulter le dossier en entier pour en connaitre plus sur cette réalité.
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