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Témoignage • Célibataire : se lier à soi pour se lier au monde

14 février 2020
David
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Les témoignages sont des textes produits par des personnes ne provenant pas obligatoirement des disciplines sexologiques ou connexes. Ces textes présentent des émotions, des perceptions et sont donc hautement subjectifs. Les opinions exprimées dans les témoignages n'engagent que leurs auteur.e.s et ne représentent en aucun cas les positions de la revue.

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« Je ne serai une personne épanouie que lorsque je serai en couple. » Cette phrase, je me la suis répétée à de nombreuses reprises lorsque j’étais adolescent. Depuis ma plus tendre enfance, j’ai toujours été un amoureux transi. À trois ans, j’étais fou amoureux de Marina, avec sa bouche en cœur et ses petites couettes. Puis, à sept ans, vint Margot avec ses grands yeux noirs et son attitude bravache. Arrivé au secondaire, le couple me semblait être quelque chose de normal, d’évident, de libérateur et de transcendant. Malgré le fait que je n’en avais jamais fait l’expérience, la sphère amoureuse m’apparaissait comme un cocon tranquille, une chose mystérieuse, mais néanmoins merveilleuse, qui me sortirait de mon mal-être d’adolescent tout en me donnant la confiance dont je manquais cruellement. C’était certain : une fois qu’une fille de mon âge serait tombée amoureuse de moi, elle verrait combien j’étais quelqu’un de bien et son amour me révélerait à moi-même et inversement. Plus de problème de manque confiance, envolé le besoin de plaire : tous nos besoins seraient satisfaits et bien plus encore.

Que j’ai déchanté par la suite ! Mon adolescence n’a été qu’une longue quête de cet amour salvateur et du couple. J’ai aimé plusieurs personnes, malheureusement sans que cela ne soit réciproque, mais j’avais entendu dire que l’amour était un combat et qu’il ne fallait pas abandonner. Et puis vint la première mise en couple avec annonce officielle aux copains et copines, papillons dans le ventre et rouge aux joues. Mais à peine le temps de dire « Ça y est, enfin ! », qu’elle repartait déjà. Un second amour arriva quelque mois après avec un résultat similaire. Mais que diable avais-je donc fait pour que le couple se refuse à moi ? Tout mon entourage semblait nager dans un bonheur illimité, petits surnoms affectueux et sexualité épanouie en options. Que faire alors ? Le célibat n’était pas, à l’époque, une chose concevable. J’entendais partout que l’amour était tout, un sentiment universel, merveilleux, qui donnait l’énergie de renverser des montagnes, qui rendait plus beau, en meilleure santé. Que c’était le meilleur rempart contre la solitude et qu’il conférait à la sexualité une puissance indescriptible. Dès lors, comment vouloir renoncer à cela ? Comment pouvais-je me convaincre d’arrêter la quête de cet absolu qui, dit-on, guide le cœur de tout être humain sur cette planète ? Être célibataire me semblait être la pire des tares, la marque par excellence des raté.e.s et des personnes insuffisamment séduisantes pour qu’une autre s’intéresse à elles et dont je faisais bien évidemment partie.

Le célibat était pour moi un signe d’échec personnel et social.

Personnel, car c’était la preuve que je n’avais pas les qualités nécessaires – physiques, mentales, relationnelles – pour être aimé. Si je n’étais pas en couple, c’était bien que quelque chose clochait chez moi, non ? Social enfin, car le couple ouvre de nombreuses portes et apporte plein d’avantages : mise en commun des ressources, soutien mutuel, validation par autrui (« S’il ou elle est en couple, ce n’est donc pas un.e psychopathe ! »), sans compter les soirées où personne ne vous voit comme une menace (pour les couples déjà formés) ou comme une âme en peine, une personne déprimée et forcément malheureuse.

Cependant, les longues et nombreuses soirées à réfléchir à tout ça n’ont pas été vaines. La lecture d’innombrables livres, de Serge Chaumier à Elizabeth Brake en passant par Laura Kipnis, a été une révélation. Autant d’auteur.e.s, de penseuses et penseurs, qui ont analysé l’amour et le couple en montrant les biais, les changements et les différentes manières de se lier, de s’aimer et de vivre. J’ai pris conscience de cette pression sociale à se mettre « en couple ». Il m’est apparu que le couple ne me sauverait pas, mais que le fait d’apprendre à vivre avec moi-même me permettrait, quand je le désirerais, d’être plus facilement en relation avec les autres.

J’ai arrêté de hiérarchiser les relations, entre un couple fantasmé ou un célibat redouté avec au milieu un immense vide.

Il m’est aussi apparu que nos sociétés confondent l’amour – et ses multiples formes – avec son organisation. Je peux aimer quelqu’un sans forcément chercher à être en couple avec elle, tout comme je peux fréquenter une personne tout en me disant célibataire, ou encore apprécier mon célibat sans chercher à tout prix à être dans une relation. Ces réflexions et ces lectures m’ont permis de découvrir de nouvelles façons d’être, de vivre et de ressentir que je n’aurais peut-être jamais envisagées si ma première relation s’était poursuivie durant plusieurs années. Ce célibat, bien que je l’ai vécu comme une punition et un fardeau durant cette période, a été salutaire tant pour moi que pour mes relations futures.

Emma Watson dit être en relation avec elle-même. J’imagine la surprise des un.e.s : « Une femme, jeune, séduisante et talentueuse comme elle? Célibataire ? Inconcevable ! », et le cynisme des autres : « Voilà donc une preuve supplémentaire de l’égocentrisme de notre époque, où l’amour de soi supplante l’amour de l’Autre, où l’on se pense si exceptionnel.le que l’on refuse le partage et la réciprocité. » Je pense cependant que ces gens ont tort et Emma Watson démontre, une fois de plus, qu’elle est brillante, tant par sa liberté de ton que pour la pertinence de ses remarques. Nos sociétés occidentales ont tout mélangé : l’amour, la passion, la sexualité, la tendresse et le besoin de contact humain, et c'est au sein du couple fusionnel que devront être comblés tous ces besoins. Les réactions surprises, amusées ou énervées face à son discours sont symptomatiques de notre rapport à l’institution amoureuse. Nous sommes incapables de penser le partage, l’échange, la sexualité et l’amour en dehors du couple. Lorsque Emma Watson déclare être en relation avec elle-même, nous l’imaginons seule, vivant une vie fade et insipide, sans amour et sans sexualité. Qui nous dit que c’est le cas ? Ce serait oublier qu’il n’est nul besoin d’être en couple pour avoir une vie sexuelle – de la masturbation aux relations sans engagement, le choix est vaste – ni qu’il soit obligatoire d’en avoir une – les personnes asexuelles en étant le meilleur exemple. C’est oublier également que l’amour et le couple sont pluriels.

Entre les personnes qui s’aiment, mais n’habitent pas ensemble, les couples libres ou ouverts, les couples à trois, quatre ou plus, les couples polyamoureux, les façons de faire des liens sont aussi plurielles que le nombre de personnes au monde.

C’est également ne pas penser nos relations quotidiennes comme vecteurs d’amour, d’échange et parfois même de sexualité. J’ai tout autant appris lors de relations éphémères que dans des relations de couple, lors d’échanges passionnés durant des heures avec des ami.e.s ou de parfait.e.s inconnu.e.s, que durant une soirée en tête-à-tête avec ma compagne du moment. Enfin, en affirmant être en relation avec elle-même, Emma Watson rompt avec cette croyance dépassée selon laquelle les femmes ne seraient épanouies qu’en étant en couple, l’homme leur révélant leur vraie nature, nécessairement aimante. Si ses propos sont éminemment féministes, ils sont à mon sens plus universels qu’on ne le pense et rejoignent mes réflexions à ce sujet : le couple n’est pas une fin en soi, s’aimer soi-même est la meilleure porte vers des lendemains plus beaux et apaisés. Être en relation avec soi-même permet d’éloigner un instant tout le brouhaha du monde et la fatigue de la relation avec les autres. Aujourd’hui, j’apprécie tout autant une soirée à deux en amoureux qu’une soirée seul avec un livre, un film ou tout simplement mes propres pensées. C’est une opportunité merveilleuse de se retrouver, de faire le point sur sa personne et sur nos relations aux autres. C’est faire la démonstration de son indépendance et de sa liberté, non de sa dépendance et de son incapacité à vivre. Je me retrouve moi-même dans ma propre intimité pour ensuite la partager avec d’autres, si et quand j’en ai envie.

L’important n’est pas, à mon sens, d’opposer célibat et couple. Ce serait tomber dans un dualisme ennuyeux au possible. Le célibat est une façon d’être à soi et au monde tout aussi valable que le couple ou toute autre forme relationnelle. Il nous faut apprendre que le célibat ne doit pas tant être vécu comme un statut infamant et honteux, mais comme un moment nécessaire de retour sur soi. Il y a quelque temps, une amie me demandait si je ne regrettais pas ces années de secondaire où j’ai été si souvent triste et seul. Je lui ai répondu qu’au contraire, cette période avait été tellement importante dans ma vie, qu’elle m’avait forgé et rendu plus apaisé, plus libre et plus soucieux des autres. Alors, vive le célibat !

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D'autres témoignages sont disponibles dans le dossier « Célibat. Vers une redéfinition positive ». N'hésitez pas à consulter le dossier en entier pour en connaitre plus sur cette réalité.

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