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Chronique • L’épilation intime : entre norme et arrangements (partie I)

16 janvier 2018
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Lors d’un après-midi de travail peu productif, je traînais nonchalamment sur les réseaux sociaux quand une photo, partagée par l’un de mes contacts, attira mon attention. Sur le mur d’une ville française s’étalait un long graffiti : « La vie est trop courte pour s’épiler la chatte ». Si la provocation me parut amusante, les commentaires à propos de la publication déclenchèrent des débats enflammés sur la pratique de l’épilation intime. Adeptes de l’épilation et adversaires s’affrontaient fermement dans une joute verbale intense et passionnée. Cette situation n’est en rien anodine et m’a amené à me demander comment une pratique aussi intime et personnelle que celle de l’épilation du sexe pouvait attiser autant les passions et engendrer des positions aussi tranchées.

Au-delà de cette simple pratique se joue essentiellement l’enjeu des normes sociales. En sociologie, la norme se définit comme un modèle de conduite, une obligation qui oriente les comportements des individus, en en prescrivant ou proscrivant certains; le non-respect de la norme pouvant entraîner une sanction de la part du groupe d’appartenance, allant de la simple désapprobation à des sanctions sociales plus lourdes (Clair, 2011).

La sexualité n’est pas un domaine échappant à la norme. Qu’il s’agisse, par le biais d’articles dans la presse généraliste ou spécialisée, de conseils ou de recommandations faites aux individus sur les pratiques en vogue ou, par exemple, sur la durée idéale d’un rapport sexuel (Gautherin, 2016), la norme est partout. Derrière une certaine bienveillance, ces conseils se transforment rapidement en « injonction à la jouissance »(Osganian et Perriaux, 2002) via l’idée d’une « sexualité utile » (Mazaurette, 2016). Si la sexualité peut être observée à la lumière des différentes pratiques ou des usages en vigueur dans une société, il est également intéressant de se pencher sur les soins du corps entretenus dans cette société. Ce faisant, le sujet de l’épilation intime, bien qu’il ne concerne pas exclusivement la sexualité, est un bon indicateur de la marge de manœuvre dont disposent ou pas les individus quant aux usages de leur corps.

Précisons que cet article traitera essentiellement de l’épilation en Occident. L’épilation semble être une pratique culturelle exercée dans de nombreuses sociétés de par le monde et ce, à des périodes variées dans l’Histoire. Ainsi, en Iran, avant le XIXsiècle, les femmes considérées comme attirantes se devaient de porter le sourcil épais et un duvet au-dessus des lèvres afin de se distinguer des jeunes hommes (Barbat, 2016). Toutefois, bien que l’épilation ne concerne pas uniquement l’Occident et n’en est pas originelle, il me semble intéressant de questionner cette pratique dans nos sociétés occidentales au vu des débats menés à ce sujet au cours des dernières années (Rose, 2010).

Une norme ancestrale 

Historiquement, l’épilation est une constante de l’humanité. En Égypte antique, le poil était considéré comme impur; les hommes et les femmes des milieux aisés se rasaient alors intégralement le corps (Cirrus, s.d.). Il en fut de même en Grèce antique où les femmes se rasaient totalement le pubis afin, notamment selon Aristophane, de ne pas être assimilées aux hommes (Cirrus, s.d.). Preuves en sont les statues de l’époque où les sexes masculins sont généralement parés d’une toison fournie alors qu’il n’en est rien pour les femmes. Toutefois, il semble que les chercheurs ne soient pas tous d’accord avec cette analyse, certains avançant que l’épilation n’était pas intégrale, mais visait à donner une certaine forme aux pubis (Kilmer, 1982). Les Romains semblent avoir été eux aussi friands de l’épilation, du moins dans les classes aisées, tout comme au Japon, où la population dans son ensemble faisait du poil l’ennemi public numéro un (Bouvier, 2001; Gasc, 2015). Selon certaines théories (Pouvreau, 2015), l’épilation permettrait à l’être humain de se distinguer de la bête, nécessairement velue et dangereuse, alors qu’à celui-ci on associe la civilisation et le raffinement. On note aussi à l’époque, toujours selon l’étude de Pouvreau, la distinction qui est faite entre les classes aisées et les classes populaires. On peut supposer que les premières utilisaient l’épilation comme moyen de distinction sociale afin de montrer qu’elles n’avaient pas besoin de travailler. À l’inverse, les secondes, trop occupées aux champs, n’auraient pas eu le temps de s’occuper de leur pilosité. 

La situation devient un peu plus ambiguë avec l’arrivée du christianisme. Alors que dans les premières représentations culturelles de cette religion, l’excès de poil était associé à la sexualité ou au péché, – avec la représentation de Satan comme être velu – les représentations évoluent en Occident et, progressivement, le poil devient synonyme de sainteté avec le retour à la nature, symbole de la pureté originelle (Pouvreau, 2015). Durant les années suivant les croisades, au cours desquelles les chevaliers découvrent la culture orientale de l’épilation, on assiste à une augmentation progressive de cette pratique en Europe (Gasc, 2015). Celle-ci est d’ailleurs relativement populaire lors de la Renaissance, notamment chez les femmes de la noblesse, où nombre de manuels donnent des conseils pour s’épiler intégralement le corps (Ortelli, 2012), menant à une véritable mode des corps glabres (Burke, 2012).

Toutefois, le poil n’est pas totalement mal aimé; sa signification varie en fonction des époques. 

L’argument selon lequel nos sociétés auraient découvert l’épilation intégrale via la pornographie, dérogeant ainsi à des siècles de non-épilation, ne tient pas complètement la route, puisqu’il apparaît que les pratiques d’épilation intime ont fluctué dans le temps et les époques. 

Marie-France Auzépy et Joël Cornette montrent d’ailleurs dans leur ouvrage la signification sociale et politique associée à la pilosité ou à la glabreté (Auzépy et Cornette, 2011). Ainsi, les perruques portées par la noblesse à partir du règne de Louis XIV sont un exemple du retour de la pilosité comme signe d’appartenance à une caste aisée. Mais au-delà de la guerre menée aux poils se profilent des positions dépassant la simple question d’esthétique.

L’injonction à l’épilation

De par la définition que donne la sociologie de la norme, nous pouvons nous demander si l’épilation en est bel et bien une dans nos sociétés. Je pense que c’est effectivement le cas. Ainsi, dans un groupe d’individus, une personne ne s’épilant pas pourra recevoir des remarques de la part des autres (attitude prescriptive) qui questionneront son comportement et pourront désapprouver verbalement une telle façon d’agir (sanction sociale).

Selon Maïa Mazaurette, citant une enquête de YouGov, une société d’étude de marché fondée au Royaume-Uni, 80 % des individus estiment que les femmes doivent s’épiler les aisselles, 75 %, les jambes et 40 %, le  pubis (Mazaurette, 2016). 

Afin de rédiger cette chronique, des entretiens semi-directifs allant de quinze à soixante minutes ont été menés auprès d’une quinzaine de femmes âgées de 18 à 35 ans et résidant dans de grands centres urbains. L’injonction à l’épilation nommée plus haut est ainsi confirmée par plusieurs d’entre elles, dont une femme de 25 ans : « En fait l’épilation du sexe est peut-être la seule chose que je décide de faire pour moi. Si j’ai envie de tout raser, je peux le faire ou m’en abstenir. En revanche, je pense que ce serait beaucoup plus difficile pour les aisselles ou les jambes, si je décidais de m’abstenir. » (Femme, 25 ans, Paris).

On le voit ici, l’épilation intime n’est pas tant ce qui pose problème, elle peut même représenter une forme de liberté pour certaines femmes, selon la visibilité de la zone corporelle. 

Même les hommes n’échappent pas à la norme de l’épilation car, bien qu’un certain nombre d’entre eux aient adopté la mode de la barbe de trois jours menant ainsi à une crise du marché des rasoirs, ils seraient de plus en plus nombreux à se raser d’autres parties du corps (Lentschner, 2013).

Une norme genrée

Toutefois, il n’en demeure pas moins que l’épilation reste avant tout une injonction faite aux femmes. Cette distinction entre épilation masculine et féminine fait écho à la hiérarchie genrée encore en vigueur dans nos sociétés. Le poil symbolisant l’animalité (Giard, 2013) devient, lorsqu’il est associé aux hommes, synonyme de force, de bestialité, de virilité et revêt par conséquent un caractère intrinsèquement masculin, caractère valorisé dans nos sociétés patriarcales. À l’inverse, l’absence de poil qualifie d’emblée la féminité par une certaine forme de douceur, d’innocence – les poils étant un marqueur de l’âge adulte – et de pureté, loin de la violence de la Nature (Giard, 2013). De plus, la femme ne s’épilant pas est confondue avec un homme, donc remet en cause la distinction genrée (Barbat, 2011).

Pour assurer cette normativité de l’épilation, en particulier en ce qui concerne les femmes, de nombreux moyens discursifs sont utilisés afin de stigmatiser celles ne la pratiquant pas. Comme le note une blogueuse non épilée ayant posé nue pour un photographe professionnel, puis ayant publié le cliché sur les réseaux sociaux : « J’ai été harcelée pendant plusieurs jours (insultes gratuites, incitations à m’acheter des vêtements et un rasoir, ironies sur la taille de mes seins, etc.) » (Pho-No-Graphie, s.d.) J’ai personnellement pu observer à plusieurs reprises, lors de soirées festives entre étudiants ou encore dans des commentaires sur plusieurs articles internet (Madmoizelle, 2016), que si toutes les femmes non épilées ne sont pas harcelées, les remarques de proches ou de tiers sur l’état de leur pilosité sont fréquentes et visent à rappeler que la norme actuelle est à l’épilation. Ce faisant, cela nous montre que nos sociétés actuelles valorisent les corps sans poils, principalement chez les femmes, mais aussi chez les hommes (Samama-Patte, 2014). Le temps est loin où James Bond, incarné par Sean Connery, affichait un large torse velu. Aujourd’hui, les canons de beauté masculins sont, dans leur écrasante majorité, dépourvus de poils à l’exception de la barbe qui fait son grand retour.

Si les exemples historiques montrent un constant mouvement de balancier entre les périodes encourageant l’épilation et celles mettant au goût du jour les poils, notre époque est résolument du côté des sexes glabres.

Bien qu’il soit difficile à mon avis de pointer du doigt un.e seul.e responsable de la situation actuelle, accuser la pornographie me semble être un argument simpliste réduisant la complexité de ce sujet à un seul facteur. L’épilation est une réalité avec laquelle les individus doivent composer. 

Toutefois, il apparaît que les façons dont ces derniers font face à la norme de l’épilation s’avèrent plus subtiles qu’elles n’y paraissent, démontrant des manières d’agir face à la normativité plus nuancées. 

Si les pratiques d’épilation ne sont en rien linéaires, alternant de périodes où la pilosité était encouragée à d’autres où le poil était implacablement traqué, nous nous intéresserons, dans une seconde partie, aux moeurs actuelles. Ce faisant, si la remise en cause progressive du patriarcat est corrélée à la critique des normes épilatoires, nous verrons que les individus semblent plus nuancés dans leurs pratiques quotidiennes.

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Références
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Pour citer cette chronique :

Dusseau, F. (2018, 16 janvier). L'épilation intime : entre norme et arrangements (partie II). Les 3 sex*https://les3sex.com/fr/news/11/chronique-l-epilation-intime-entre-norme-et-arrangements-partie-i- 

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