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Chronique • Culture du viol : le problème du masculin

18 janvier 2017
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La culture du viol

Il s’agit d’un concept largement discuté au sein de l’actualité et, sans surprise, de plus en plus controversé. Certains cherchent à discréditer le terme alors que d’autres tentent carrément de nier l’existence du phénomène. Dans le contexte actuel, les victimes identifiées sont habituellement les femmes alors que les grands responsables sont plutôt les hommes et, plus largement, la société.

Pointer du doigt les hommes est une solution simple pour qui veut vulgariser à l’extrême la notion de culture du viol. Néanmoins, je considère qu’il s’agit d’un raccourci intellectuel. Viser directement un groupe s’assimile à un préjugé et cela nuit à une réflexion sérieuse sur un tel sujet.

Pourtant, ce raccourci, qui favorise la controverse et la division, est surutilisé par les médias. Quant aux groupes féministes, ils se font rapidement taxer, à tort, « d’anti-hommes » et sont condamnés à défendre la légitimité même de leur mouvement à chaque fois qu’ils osent discuter de culture du viol. Il faut dire que de parler de stéréotypes de genre masculin donne beaucoup moins de latitude à certains prêcheurs médiatiques qui préfèrent s’empresser d’écraser et de démolir, à grand coup de démagogie, toute forme de propos féministe.

Donc, est-ce que les hommes sont responsables de la culture du viol ? 

Une immersion dans les écrits universitaires permet d’exclure cette accusation simpliste pour plutôt en extraire les origines de ce raccourci trop souvent utilisé. Cette chronique vise donc à élargir la réflexion sur l’impact des stéréotypes de genre, principalement masculins, mais aussi féminins, dans la construction et le maintien de la culture du viol. 

En quoi les stéréotypes de genre participent-ils à la construction de cette culture?

La femme est, dans les stéréotypes de genre, considérée comme la gardienne des relations sexuelles (aussi nommée gatekeeper) alors que l’homme, lui, possède le « pouvoir sexuel » et est dans la position où il doit conquérir sa partenaire (Clark III, 1989; Philaretou et Allen, 2001; Struckman-Johnson et Struckman-Johnson, 1991). En d’autres mots, le rôle de l’homme est de trouver une femme qui accepte la relation sexuelle, alors que celui de la femme est d’accepter ou de refuser un tel rapport. Il est donc de la responsabilité de la femme de « bien faire comprendre » son absence de désir. L’homme, de son côté, est considéré comme éternellement désirant : il dira « oui » de toute façon.

Dans les deux cas, des études démontrent que la conformité aux rôles de genre traditionnels, et aux stéréotypes y étant associés, est un prédicteur de la banalisation des agressions sexuelles par l’acceptation des mythes sur celles-ci (Truman et al., 1996; Black et McCloskey, 2013; Danube et al., 2014).

Cette banalisation des agressions sexuelles est une des composantes principales du concept de la culture du viol. 

Les stéréotypes masculins qui veulent que l’homme soit « plus sexuel » que la femme et qu’il soit « l’initiateur du sexe » (Clark III, 1989; Kiefer et Sanche, 2007) sont aussi une partie non négligeable de la culture du viol présente dans nos sociétés occidentales. C’est par ces stéréotypes, fortement associés à une vision essentialiste du genre, que la société tend à pardonner à l’homme d’être « incapable de se contrôler ». Le rôle de l’homme est donc « d’essayer » et idéalement de « réussir » à avoir une relation sexuelle. Par conséquent, il n’est pas dans sa nature de résister, il est plutôt dans sa nature de tenter de multiplier les rapports sexuels (Danube et al., 2014)

Dans ce modèle, la femme devient ainsi la seule responsable de sa victimisation.

Elle a « échoué » dans son rôle de gardienne, alors que l’homme a « réussi » sa conquête. Cette responsabilité de la femme, provenant de la rencontre des stéréotypes masculins et féminins, est un aspect connu de la culture du viol et je ne m’y attarderai pas plus largement dans cette chronique. 

Il existe toutefois un revers à ce stéréotype masculin qui touche directement le consentement de l’homme. Sans vouloir avancer que l’on a suffisamment discuté des conséquences de la culture du viol sur la femme, je crois utile de poser un regard sur celles qui touchent les hommes.

 Si l’homme masculin est toujours en recherche de sexualité, qu’en est-il de son consentement à lui?

Le préjugé veut que ce ne soit pas le rôle de l’homme de résister aux avances sexuelles de la partenaire (Philaretou et Allen, 2001; Maas et al., 2015 ). Les hommes « veulent toujours » la sexualité et les seules barrières à ce désir sont externes à eux (l’homme dans une relation exclusive par exemple). Ainsi, la femme, en insistant, peut faire succomber l’homme à des désirs jugés naturels. Lorsqu’un homme refuse, il prend le rôle de « gardien » de la sexualité, rôle traditionnellement associé à la femme, et vient ainsi contredire le modèle de masculinité traditionnelle.

Selon plusieurs études, il est plus important pour l’homme que pour la femme de correspondre aux normes associées à son genre (Ashmore et al., 1995; Funk et Werhun, 2011; Ben-David et Schneider, 2005). L’une des principales raisons est que l’absence de masculinité est associée à la féminité et que cette féminité est perçue plus négativement chez les hommes (Funk et Werhun, 2011). Il est en effet généralement plus accepté pour les femmes de présenter des caractéristiques masculines que pour les hommes de présenter des caractéristiques féminines. En cherchant la conformité, l’homme risque donc de s’inscrire dans ce modèle masculin où « [...] it’s manly to have many partners (C’est masculin d’avoir plusieurs partenaires) » (Maas et al., p.629).

Dans ce contexte, l’homme a-t-il la capacité de dire non ?

Peut-il, sous la pression des stéréotypes de masculinité, comprendre qu’il est victime d’agression? Le fameux « sans oui, c’est non » est-il pris en compte dans un contexte où la société préjuge que pour l’homme c’est toujours oui? En prenant en compte la pression des stéréotypes masculins, il pourrait même être suggéré que « oui » ne veut pas nécessairement dire « oui » …

Peu d’études portent sur le sujet et il est à espérer que les chercheurs se pencheront sur cette problématique dans le futur. Il est difficile d’évaluer le nombre d’agressions sexuelles commises contre les hommes. Encore plus difficile lorsque ces agressions sont commises par des femmes. D’ailleurs, les hommes ont tendance à « mieux » accepter les stratégies employées par les femmes pour forcer un contact sexuel (Struckman-Johnson et Struckman-Johnson, 1991). Une étude allemande, portant sur un échantillon de 248 femmes, révèle qu’une femme sur dix aurait utilisé une stratégie considérée agressive pour obtenir un contact sexuel non désiré avec un homme (Krahé et al., 2003). Pourtant, les agressions sexuelles contre les hommes semblent être marginales. Au Québec, selon l’Institut national de statistiques (2011), les hommes adultes comptent pour seulement 3% des victimes d’agressions sexuelles. Malheureusement, ces données renseignent peu sur les conséquences réelles de la culture du viol et sur la compréhension des hommes quant à leur propre notion de consentement. Il serait intéressant d’évaluer si l’identification d’une agression est différente si l’on est une femme ou un homme et d’ainsi pouvoir vérifier si les agressions envers les hommes, tout comme celles contre les femmes, sont sous-rapportées de façon alarmante.

Outre le stéréotype masculin associé à la libido insatiable (Clark III, 1989; Kiefer et Sanche, 2007), la masculinité entend, dans sa définition traditionnelle, la nécessité de dominer la féminité (Philaretou et Allen, 2001; Vandello et al. 2008). Par conséquent, le simple fait d’être « victime » d’une femme est peu assimilable à l’idée d’un homme fort, viril et donc masculin. De plus, pour l’homme, la relation sexuelle est considérée comme une victoire et non comme une défaite. La considérer autrement est incompatible avec le modèle de masculinité traditionnel. Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que lors d’un contact sexuel non consentant, les chances de dénonciations deviennent beaucoup plus minces.

D’ailleurs, ces stéréotypes ne sont pas uniquement véhiculés par les hommes. Les femmes en sont, elles aussi, responsables et affectées. En dehors de leur propre conformité aux stéréotypes de genre féminins, qui participe au maintien de la culture du viol les affectant, leur acceptation du modèle de masculinité traditionnel peut aussi avoir une influence non négligeable.

Les femmes tiennent-elles pour acquis le consentement d’un homme ?

De quelle façon perçoivent-elles un homme qui refuse une relation sexuelle ?

Selon mes recherches, il s’agit des questions auxquelles il semble exister peu de réponses dans les études scientifiques. Je suppose, ici, qu’il est bien possible que les femmes soient, elles aussi, des perpétuatrices de certains stéréotypes de genre qui alimentent la culture de viol ou encore qu’elles participent à certaines agressions sexuelles sans même en être réellement conscientes. Sans enlever la réalité de la problématique criante de la violence faite aux femmes, il faut s’assurer que la société soit conséquente pour réellement travailler à éliminer la culture du viol.

La société nous sensibilise de plus en plus sur la notion du consentement, mais l’on apprend principalement aux hommes à vérifier celui de leur partenaire et non à exprimer le leur.

Ainsi, cette chronique émet l’hypothèse que les responsables de la culture de viol ne sont pas les hommes, mais plutôt le concept de la masculinité traditionnelle, intégré dans la société et porté par les hommes et par les femmes.

Les femmes sont les principales victimes de la culture du viol, mais les hommes peuvent, eux aussi, en être victimes.

Outre la notion utopique, mais ô combien intéressante, d’éliminer complètement la construction des genres pour s’affranchir de l’ensemble des stéréotypes nuisibles, de quelle façon est-il possible de lutter contre cette culture du viol?

Plusieurs hommes de mon entourage, principalement cisgenres, se questionnent sur leur rôle dans cette culture du viol et préfèrent, en absence de solution, laisser le combat aux femmes. Il est de mon avis que le rôle des hommes, dans un monde encore fortement genré, est pourtant primordial dans cette lutte. Ce rôle, certes complexe, est de redéfinir la masculinité pour en éliminer les relents sexistes et violents.

En fournissant aux autres hommes un modèle de masculinité alternatif intégrant les notions de consentement, pour eux et pour les femmes, les hommes participent à lutter durablement contre cette violence.

Dans ce domaine, les femmes ont leur propre rôle à jouer. En jugeant les hommes de par leur conformité au modèle socialement accepté de masculinité, elles participent au renforcement des stéréotypes responsables de cette culture du viol. Il ne faut en aucun cas dire que cela les rend responsables des agressions qu’elles subissent, pas plus que cela n’excuse en aucun cas l’expression de la violence chez les hommes. Néanmoins, il est primordial qu’elles soient conscientes des stéréotypes qu’elles intègrent et perpétuent dans leurs relations pour pouvoir, éventuellement, les éliminer.

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Références
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Pour citer cette chronique :

Bertrand-Huot, M. (2017, 18 janvier). Culture du viol : le problème du masculin. Les 3 sex*https://les3sex.com/fr/news/119/chronique-culture-du-viol-le-probleme-du-masculin 

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