Francis Riendeau pour Les 3 sex*/ Infographie par Marion Bertrand-Huot

Chronique • Films XX(X) : regard sur la pornographie féministe

20 avril 2020
Michelle Bergeron Deschênes | étudiante M.A. clinique en sexologie à l’UQAM; Alexandra Fournier | candidate M.A. en sexologie à l’UQAM et Myriam Pomerleau | sexologue et psychothérapeute
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Le texte ci-dessous provient de la revue Avant-garde de Les 3 sex* publiée en version papier en avril 2019 puis en version électronique en mai 2019. Pour obtenir plus d'informations sur la revue ou pour vous la procurer, cliquez ici.

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Seins gonflés, vulves mouillées, halètements. Éjaculation. Bouches remplies, langues gourmandes, lèvres débordantes. Éjaculation. Anus dilaté, fesses huilées, cul fessé. Éjaculation. À quatre pattes, agenouillée, attachée.  Éjaculation. Maîtresse, écolière, cavalière. Cumshot.

Choquant? Pourtant, pour la plupart, il s’agit d’un scénario jouant un air de déjà vu. Qu’on l’accepte ou non, la sexualité a un petit quelque chose de codifié, de stéréotypé (Boisvert, 2017). En effet, depuis une quinzaine d’années, la pornographie s’inscrit, volontairement ou non, dans la norme sexuelle occidentale; c’est-à- dire qu’elle devient une influence culturelle importante, voire fondatrice dans la vie des humains en société (Lavigne, 2009; Paveau, 2014). Comment la pornographie féministe s’inscrit-elle dans ce phénomène à la fois tabou et omniprésent? Comment le féminin peut-il s’imposer dans cet univers initialement conçu par et pour des hommes (Williams, 1989)?

La pornographie mainstream straight

La porno mainstream straight cherche à vendre du vrai sexe, à l’inverse des relations sexuelles simulées retrouvées dans les séries télé, par exemple. Elle vise à générer une excitation rapide, notamment en montrant les « meilleurs angles » et « les meilleures positions » pour que les spectateurs et spectatrices puissent tout voir (Lavigne, 2009). Beaucoup d’importance est accordée aux gros plans de pénétration et à la visibilité de l’éjaculation masculine, indicateurs qui confirment qu’un acte sexuel a véritablement eu lieu (Williams, 1989). C’est donc dire que la porno se construit autour du script sexuel spécifique et limité de l’orgasme masculin, reléguant la jouissance féminine au second plan. Boisvert (2017) se réapproprie d’ailleurs le principe du cumshot, cette idée que le désir sexuel est avant tout un élan qui vient de l’homme pour aboutir sur la femme. Comme la porno est un scénario culturel prescrivant certaines conduites sexuelles (Gagnon, 2008), la représentation des rapports sexuels hétérosexuels encouragerait le maintien du désir de la femme sous l’emprise des stéréotypes sexuels (Boisvert, 2017).

Peu importe le scénario, ce type de pornographie limite ses protagonistes à leur fonction sexuelle : elle exhibe une sexualité dénudée de toute relation sociale (Wadbled, 2012).

La formule proposée est si rigide qu’elle laisse peu de place à la spontanéité et au développement de l’intimité entre acteurs et actrices (Taormino, 2013a). Tout est orchestré : actions et réactions se répondent et s’ordonnent en fonction du caractère, du genre et du rôle social assigné aux personnages (Wadbled, 2012). La pénétration étant le but même de la mise en scène, les préliminaires destinés au plaisir féminin sont généralement délaissés (Taormino, 2013a). Ce genre de pornographie tend à rester indifférent devant la diversité sexuelle et à se limiter à des scripts hétéronormatifs (Smith, 2015).

Et la porno féministe?

La mouvance féministe en pornographie s’inscrit dans une volonté de faire la promotion d’une sexualité féminine positive qui transgresse le système masculin dominant (Kunert, 2014; Laprade, 2016; Paveau, 2014). C’est au milieu des années 80 que des actrices pornographiques comme Annie Sprinkle, Veronica Vera, Candida Royalle, Gloria Leonard et Veronica Hart proposent de se réapproprier et de révolutionner les codes de la pornographie mainstream straight pour en créer un genre alternatif et féministe (Penley et al., 2013). La porno féministe devient ainsi une critique de la pornographie faite par et pour les hommes et un acte militant de résistance qui cherche à ce que les femmes reprennent le pouvoir sur leur sexualité (Glick, 2000).

Derrière la mise en scène et la production de vidéos féministes, il y a des motivations érotiques et politiques (Lavigne et Le Blanc, 2017). Le Feminist Porn Award (Kunert, 2014; Penley et al., 2013) reconnaît trois critères pour juger du caractère féministe d’un film :

  1. l’implication d’une femme dans le processus de création;
  2. la présentation de plaisir féminin authentique;
  3. la contestation des représentations stéréotypées de la sexualité et du genre proposées dans la porno mainstream straight.

La porno féministe devient donc un genre qui reconnaît l’existence d’un public féminin, mais aussi de toute personne ne se sentant pas représentée dans la porno mainstream straight (Penley et al., 2013). Pour ce faire, elle souhaite montrer des scénarios sexuels, des corps et des expériences érotiques trop souvent ignorés (Lavigne et Le Blanc, 2017) sans pour autant stigmatiser les pratiques répondant à des scripts sexuels plus traditionnels. La pornographie féministe présenterait significativement plus de manifestations d’agentivité sexuelle féminine que la porno mainstream straight (Fritz et Paul, 2017), ce qui contribue à redessiner les scripts sexuels de la femme passive et contrainte en une sexualité féminine positive et affranchie (Kunert, 2014). Parmi les autres éléments clés du genre, une grande importance est accordée au consentement, aux désirs et à la chimie des acteurs et des actrices, aux conditions de travail plus éthiques ainsi qu’à la représentation de scènes à la fois excitantes et éducatives (Taormino, 2013b). Cette industrie promet des femmes en contrôle de leurs fantasmes, du désir authentique et de vrais orgasmes féminins (Penley et al., 2013).

Au fond, la pornographie féministe est une forme de commentaire critique d’une industrie originellement produite par et pour les hommes hétérosexuels (Kunert, 2014). L’objectif reste cependant le même : montrer du vrai sexe. Or, le vrai sexe implique de montrer une vision précise de ses multiples expressions et configurations.

Les sex wars

Jusqu’au milieu des années 1980, le mouvement féministe se positionne majoritairement contre la pornographie (Lavigne, 2014). Le discours dominant avance alors que la pornographie n’est pas seulement un symbole ou une illustration, mais l’assise même de l’oppression des femmes (Segal, 1998; Williams, 1989). En ce sens, il est impératif de s’opposer à ses différentes formes et de la censurer (Segal, 1998).

Devant cette position, des voix dissidentes de militantes féministes soulèvent l’idée controversée que la pornographie peut être, bien au contraire, une opportunité de défendre les droits des femmes (Laprade, 2016). C’est alors le début des sex wars, où se crée un fossé idéologique entre les féministes anti-pornographie et les féministes anti-censure (Kunert, 2014). Si la volonté de « décoloniser la sexualité des femmes » (Lavigne, 2014, p.37) est partagée par les deux groupes, les moyens d’y arriver, eux, ne font pas l’unanimité.

La vision des féministes radicales anti-pornographie

Les critiques de ces féministes se fondent sur la croyance que la pornographie cherche avant tout à subordonner, à objectifier et à déshumaniser les femmes (Dworkin, 1981; MacKinnon, 1985). Elles y voient une représentation de coercitions et de violences sexuelles qui, sous forme de propagande, inciterait les hommes à faire preuve de violence à l’égard des femmes (Dines, 2010; Dworkin, 1981; MacKinnon, 1985). Les propos de la militante Robin Morgan illustrent bien cette préoccupation : « Pornography is the theory, and rape the practice » (cité dans Williams, 1989). Devant la nature foncièrement mauvaise qu’elles lui reconnaissent, ces féministes tentent d’avoir recours aux instances juridiques pour abolir la pornographie. Toutefois, les ordonnances soumises à certaines cours aux États-Unis sont rejetées ou jugées inconstitutionnelles (Bourcier, 2011). Dans cette lutte législative, les féministes radicales anti-pornographie créent une improbable alliance avec les lobbies conservateurs et religieux, car se combinent leurs objectifs communs de condamner et de censurer la pornographie en utilisant le pouvoir de la loi (Kunert, 2014).

Qu’en ont pensé les féministes anti-censure?

Ce mouvement est d’abord mené par des femmes lesbiennes ainsi que par d’anciennes actrices pornographiques (Glick, 2000; Kunert, 2014). Pour les membres du mouvement anti-censure (ou prosexe), le discours anti-pornographie renforce la conception essentialiste que la sexualité féminine est douce, non violente et sans rapports de pouvoir, ce qui n’a pour effet que de maintenir en place les rôles de genre stéréotypés encourageant la subordination des femmes (Williams, 1989). L’expression et la création en pornographie sont donc vues comme préférables aux recours légaux visant la censure qui ne feraient que réguler et enfermer davantage la sexualité féminine (Segal, 1998; Williams, 1989). C’est pourquoi elles proposent comme alternative de viser un changement social à travers la mise en scène du plaisir sexuel féminin (Glick, 2000). Elles font la promotion de scripts sexuels resignifiés, détournés et réinterprétés (Kunert, 2014).

Aujourd’hui, les critiques formulées par le mouvement queer reprennent certains idéaux du mouvement prosexe qui sous-tendent une réappropriation du genre pornographique. En effet, ces critiques invitent à réfléchir aux symboles, à l’agentivité, à la performance, à la déconstruction des normes sexuelles en plus de remettre en question les catégories identitaires (Laprade, 2016). D’ailleurs, les écrits de Judith Butler sur le féminisme inspirent la pornographie féministe dans la recherche d’un tel changement (Laprade, 2016). Selon Butler (2005), il n’est pas possible de s’affranchir du pouvoir, il est seulement possible de le déstabiliser. D’après cette idée, les transformations politiques désirées par la pornographie féministe ne peuvent avoir lieu que dans une répétition subversive des cadres dominants de la pornographie mainstream straight. C’est dans ce contexte que la pornographie peut aspirer à se diversifier et à offrir aux sous-cultures sexuelles une meilleure représentation de leur sexualité (Lust, 2010).

La porno pour femmes, c’est la même chose?

Sans être mutuellement exclusive à la pornographie féministe, la pornographie pour femmes ne répond que partiellement (voire pas du tout, dans certains cas) aux critères d’une œuvre féministe. En fait, plusieurs films identifiés comme « porno pour femmes » (ou porn for women) sont essentiellement réalisés et commercialisés par les mêmes boîtes de production qui se partagent le marché du mainstream straight (Smith, 2015). Ils s’adressent alors principalement aux femmes et aux couples hétérosexuels et présentent des acteurs et des actrices répondant aux codes habituels de l’industrie, mais dans le cadre de pratiques sexuelles généralement moins agressives, plus sensuelles et plus romantiques (Feminist Porn Award, 2018). Dans ces cas bien précis, l’expression « porno pour femmes » réfère donc à une sous catégorie de la porno mainstream straight (Fritz, 2015) qui, plutôt que de varier les représentations de la sexualité féminine comme l’entend la pornographie féministe, réaffirme les faits saillants de sa forme la plus populaire. L’expression « porno pour femmes » peut toutefois être reprise par des plateformes s’identifiant comme féministes, d’où la confusion et l’utilisation interchangeable de ces deux termes.

Que le plaisir continue...

Limitée devant la pornographie mainstream straight, la pornographie féministe s’invite dans la chambre à coucher. Elle en appelle aux communautés marginalisées, mais aussi à toutes les personnes qui ne se reconnaissent pas dans la pornographie mainstream straight, à repenser les normes et les conventions dominantes de l’industrie. Les nouvelles réalisatrices et les actrices défendent l’idée qu’il est possible, avec l’aide de la diffusion répétée de nouveaux vidéos, de cheminer vers une déconstruction et une ouverture des codes et des conventions de la pornographie mainstream straight. Malgré toutes ses motivations, qu’elles soient politiques ou érotiques, il reste que la pornographie maintient son essence vitale : exciter la personne qui la regarde.

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Sites de pornographie féministe
Par Alexandra Fournier (inspiration : https://feministporn.org)

  • Afourchamberedheart.com
    Situé au carrefour de la pornographie et de l’art, ce projet indépendant vise à explorer le potentiel esthétique et conceptuel de la porno.
  • BrightDesire.com
    Le contenu original de la réalisatrice Ms Naughty, nommée Indie Porn Icon en 2017, sous ses formes les plus diversifiées : films, photographies, documentaires, fictions, articles et plus encore.
  • LustCinema.com
    Large sélection de films misant sur la qualité visuelle et l’esthétisme. La série XConfessions met en scène mensuellement des témoignages de membres confiant leurs plus grands fantasmes.
  • Lustery.com
    Plateforme permettant à des couples de publier leurs propres vidéos amateurs. Elle mise sur l’émotion et l’intimité en présentant de vrai.e.s partenaires.
  • Pinklabel.tv
    Référence en termes de genres indépendants, cette plateforme propose une des plus vastes collections de films féministes, indie et queer.
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Une des autrices de ce texte, Alexandra Fournier, recrute présentement pour son projet de mémoire de maîtrise portant sur l'expérience des femmes majeures usagères de pornographie féministe. Pour tous les détails, cliquez ici ou contactez Alexandra directement ici

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Références
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Pour citer cette chronique :

Bergeron Deschênes, M., Fournier, A. et Pomerleau, M. (2020, 20 avril). Films XX(X) : regard sur la pornographie féministe. Les 3 sex*https://les3sex.com/fr/news/1191/chronique-films-xx-x-regard-sur-la-pornographie-feministe 

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