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Chronique • L’épilation intime : entre norme et arrangements (partie II)

30 janvier 2018
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Comme nous l’avons vu dans la première partie de cette chronique, le poil et son contrôle sont liés à l’histoire de l’Occident. Alternant les époques de relâchement de la norme et celles d’érotisation de la pilosité (Giard, 2017) avec d’autres périodes plus strictes à ce sujet, nos sociétés actuelles se caractérisent par des corps glabres où le poil n’a pas sa place. Si certaines personnes dénoncent la norme du glabre comme une conséquence de la domination patriarcale (Megaconnard, 2012), d’autres, comme certaines femmes interrogées pour cette chronique, revendiquent le choix de s’épiler. Le rejet ou l’acceptation du poil est donc socialement construit (Auzépie et Cornette, 2011). Il reste à savoir à quel point les individus sont conditionnés par la norme et aussi à comprendre quelle est leur marge de manoeuvre face à celle-ci. 

La remise en question du patriarcat

Les individus qui s’épilent sont-ils soumis à la norme patriarcale? Je ne le pense pas. 

Car vouloir changer une norme (l’épilation) par une autre (la non-épilation) ne revient pas à détruire cette norme, mais à l’inverser.

Le retour à la non-épilation peut s’expliquer, à mon sens, par deux raisons : d’une part, comme nous l’avons vu, par une remise en cause des injonctions genrées – particulièrement en ce qui concerne les femmes – mais également par le retour à une certaine forme de Nature. Face à une société capitaliste accusée de lisser les différences entre les individus et de promouvoir un monde aseptisé (Gasnier, 2017), nous assistons à un retour du « naturel » avec l’émergence par exemple de nouveaux produits estampillés de la certification « bio » ou de tendances encourageant les individus à se « retrouver » eux-mêmes par une confrontation de leur subjectivité à la Nature (Chanvallon et Héas, 2011). Ce faisant, une partie des échanges sur la question de l’épilation reprennent la structure des débats sur l’opposition entre nature et culture, soit entre ce qui serait inné – donc considéré comme un élément immuable et intemporel – et acquis, soit un élément venant troubler la nature profonde des individus. Comme le fait remarquer un commentaire dans un article lié à l’épilation : « Je n’épile aucune partie de mon corps et pour cause, je reconnais mon lien avec la Nature, et l’harmonie passe par là, c’est affreux d’avoir à préciser cela, car c’est absolument évident. » (Portail de la Mode, 2016). On voit ici la question de la norme de l’épilation – renvoyant à la culture – qui est remise en cause en faveur de la reconnaissance d’un évident lien avec avec la Nature, condition sine qua non d’un équilibre avec celle-ci. L’opposition à la norme, jugée artificielle et trop contraignante, se fait donc au profit d’un retour à un état plus naturel et donc, dans l’analyse que je fais du témoignage de cette personne, plus authentique.

L’influence de certaines féministes n’est également pas à oublier. Le Mouvement International pour une Ecologie Libidinale (M.I.E.L.) développe, à l’instar de plusieurs autres groupes et associations féministes, un long argumentaire en faveur de la lutte contre l’épilation. Le principal argument viendrait du fait que cette dernière renverrait à une dé-érotisation du corps et une désexualisation des femmes, conséquences d’un système patriarcal cherchant à contrôler par tous les moyens le corps des femmes par la mise en place de modèles oppressifs (MIEL, s.d.).

Une normativité plus moins stricte qu’il n’y paraît

Comme nous l’avons vu dans la première partie de cette chronique, il existe effectivement une incitation à l’épilation touchant essentiellement les femmes, mais également les hommes dans une moindre mesure (Levenson, 2016). Toutefois, l’étude des pratiques quotidiennes montre une réalité plus nuancée. Selon l’étude Yougov (Mazaurette, 2016b), l’épilation n’est pas une obligation pour tout le monde avec respectivement 50 % des personnes interrogées qui ne savent pas si les hommes devraient s’épiler, et 20 % pour les femmes. Ces chiffres montrent ainsi sinon une minorité susceptible de questionner la majorité, au mieux une partie de la population susceptible de potentiellement jongler avec la norme. Mais c’est l’étude IFOP (2014) quimet en lumière le plus intéressant, statistiquement parlant, dans ce que font les individus de la norme par le biais des pratiques épilatoires.

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Illustration 1: Pratique de l'épilation en fonction de l'âge. Source: « Enquête sur l'influence des films X sur le rapport au corps et la vie sexuelle des français » (IFOP, 2014)
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On le voit ici, la pratique épilatoire décline progressivement avec l’âge même si le pourcentage des femmes épilées reste plus élevé que celui des femmes non épilées. Que doit-on en déduire? Que si la norme est à l’épilation, cette tendance  décline cependant progressivement avec l’âge. L’étude met en lumière un facteur de génération, les jeunes s’épilant plus que les personnes âgées. Ce faisant, l’esthétique de l’épilation intime change en fonction des époques. Comme le note Jacques André : « Maillot brésilien, ticket de métro, intégrale sont les classiques du jour » (André, 2011). Toutefois, entre la non-épilation et l’épilation intégrale se cachent une pluralité de situations. L’étude IFOP révèle également une importante diversité des formes d’épilation. À la question : « Personnellement, quelle forme d’épilation intime pratiquez-vous le plus souvent? », seules 14 % des femmes âgées de plus de 18 ans déclarent s’épiler intégralement alors qu’elles sont 33 % à répondre « le maillot classique » et 15 % disent ne pas s’épiler du tout. De plus, l’étude montre aussi les corrélations qui existent entre les données sociodémographiques et l’épilation. Ainsi, par exemple, les personnes les plus diplômées s’épilent moins, alors que les femmes se déclarant homosexuelles ou bisexuelles s’épilent davantage que les femmes hétérosexuelles avec respectivement 37 % contre 12 %. Le nombre de partenaires influe également, car seules 6 % des femmes n’ayant eu qu’un.e seul.e ou aucun.e partenaire au cours de leur vie s’épilent contre 19 % pour celles ayant eu plus de dix partenaires; de même, l’appartenance religieuse influe également sur les données avec 32 % des femmes athées déclarant s’épiler intégralement contre 2 % des catholiques pratiquantes. L’étude IFOP montre également des différences entre ce que préfèrent les hommes comme forme d’épilation intime chez leur partenaire et les pratiques effectives des femmes. Ainsi, 23 % d’entre eux préfèrent qu’elles ne s’épilent pas, 45 % préfèrent une épilation qui va du maillot classique (13 %) au ticket de métro (10 %) et seulement 26 % préfèrent une épilation intégrale. Notons enfin l’absence d’études scientifiques sérieuses sur l’épilation intime masculine. Une étude menée par la société Gillette (Risselet, 2015) montre que 38 % des hommes interrogés se raseraient les aines. Pour quelles raisons? La question reste ouverte, mais sa réponse permettrait de clarifier la situation.

De la norme à l’apprentissage de la diversité des pratiques

Comme le montre l’ouvrage de Marie-France Auzépie et Joël Cornette (Auzépie et Cornette, 2011), l’esthétisation voire la politisation du poil varie grandement d’une époque à l’autre. De plus, comme le rappelle Maïa Mazaurette et plusieurs commentaires dans un de ses articles (Mazaurette, 2008), « toute société génère son érotique ». De plus, au vu de mes études sur différents sujets, il m’est à de nombreuses fois apparu que les individus, bien qu’ils soient déterminés par et sensibles à la norme, disposaient d’une marge de manoeuvre et d’une réflexivité certaine.

Ces derniers s’y adaptent, la questionnent constamment et semblent davantage s’en accommoder en vieillissant alors qu’ils la subissent plus fortement lors de leur jeunesse.

L’épilation ne fait pas exception à mes observations. Certain.e.s préfèrent les sexes imberbes quand d’autres les abhorrent, d’autres utilisent l’épilation comme un jeu érotique entre partenaires, une sorte de préliminaire permettant d’instaurer une forme d’intimité. Plusieurs femmes interrogées pour cette chronique ont déclaré ne pas systématiquement s’épiler, mais utiliser cette technique comme rituel avant un rendez-vous amoureux afin de se sentir en confiance ou désirables. Le reste du temps, l’épilation n’est pas ce qui les préoccupe le plus. Certaines déclarent même s’être épilées, pensant devancer les attentes masculines, avant que leurs partenaires n’admettent qu’ils préféraient les poils. Ces témoignages montrent une certaine forme de souplesse dans la manière d’aborder cette injonction.

Si notre époque se caractérise par une norme certaine de l’épilation, cette dernière n’est pour autant pas absolue et voit des ajustements constants de la part des individus dans leurs pratiques quotidiennes.

Certaines organisations s’engagent dans des actions visant à rappeler, particulièrement aux plus jeunes, car plus sensibles à la norme, que ni les femmes ni les hommes n’ont à s’épiler si  elles ou ils ne le désirent pas, mais qu’il est possible de le faire le cas échéant (Pellissier, 2013). Cela pose la question du consentement et de l’éducation à l’intime, malheureusement délaissée par les pouvoirs publics. Il est réjouissant de voir que certain.e.s refusent de s’épiler tout comme l’inverse ne devrait pas susciter d’opposition. La question de la lutte contre l’uniformisation (Rose, 2010) par le biais de pratiques ou de représentations corporelles autres est nécessaire, comme le montrent les témoignages de certaines femmes en s’opposant à l’épilation. Si ces témoignages sont minoritaires, ils permettent une diffusion des idées alimentant les réflexions des individus à propos de cette norme et leur permettant de décider s’ils la subiront ou non, et si oui, comment.

La question de la norme et de son intériorisation, qu’elle concerne l’épilation ou tout autre sujet portant sur l’intime, doit nous interpeller sur les manières de permettre aux individus de vivre leur vie de la façon dont ils l’entendent.

Les jeunes générations évoluent actuellement dans des sociétés où la compétition et la performance sont des valeurs dominantes. L’épilation revêt alors pour elles, dans ce contexte, un caractère impératif participant d’une présentation de soi pure et lisse. Les informer des possibilités qui s’offrent à eux, que cela concerne l’épilation intégrale ou pas, le tout dans le respect de chacun.e me paraît plus pertinent qu’un débat houleux et clivant sur ce que les individus devraient ou ne devraient pas faire.

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Références
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Pour citer cette chronique :

Dusseau, F. (2018, 30 janvier). L'épilation intime : entre norme et arrangements (partie II). Les 3 sex*https://les3sex.com/fr/news/12/chronique-l-epilation-intime-entre-norme-et-arrangements-partie-ii- 

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