Les témoignages sont des textes produits par des personnes ne provenant pas obligatoirement des disciplines sexologiques ou connexes. Ces textes présentent des émotions, des perceptions et sont donc hautement subjectifs. Les opinions exprimées dans les témoignages n'engagent que leurs auteur.e.s et ne représentent en aucun cas les positions de l'organisme.
J'en suis à ma première grossesse. En échangeant avec des femmes qui ont déjà accouché, j’ai remarqué qu’elles parlent de leur accouchement en utilisant le mot « naturel » — le plus souvent mentionné en disant « je n'ai pas accouché naturellement ». J’ai constaté que chacune en avait un peu sa propre définition. Césarienne, épisiotomie, péridurale… les femmes de mon entourage associent ces interventions à un accouchement qui ne serait pas naturel. Souvent, elles baissent les yeux, comme s’il s’agissait d’un échec, d’une honte, comme si elles avaient raté leur accouchement.
Le mot « naturel » m'agace parce qu'à mon avis, il n'est pas très précis et fait référence à des valeurs personnelles. Je ne peux pas m’empêcher de me sentir agacée quand j’entends une femme parler de son accouchement de la sorte. Comme si c’était quelque chose de moralement reprochable que d’avoir accès à des procédures médicales pour mettre un enfant au monde. Quand on parle de produits naturels, on les oppose aux produits synthétiques, aux produits chimiques et aux produits modifiés. À quoi exactement fait-on référence quand on parle d'un accouchement qui n'est pas naturel? À un accouchement avec des produits synthétiques? Ça ne sonne pas très « glamour » de dire « j'ai accouché chimiquement ».
Je trouverais étrange d’entendre un couple dire que leur sexualité n’est pas « naturelle » parce qu’ils utilisent un moyen de contraception hormonale comme la pilule contraceptive. Il y a quelque chose qui cloche.
Comme si l’utilisation de produits synthétiques pour contrôler sa fertilité relevait d’un choix personnel tout à fait acceptable, alors que le fait de vouloir avoir recours à des produits synthétiques ou interventions médicales lors de l’accouchement ne l’était pas.
Certains choix et certaines valeurs semblent plus nobles que d'autres.
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Je me demande ce qu'on contrôle et ce qu'on choisit réellement lors de son accouchement. Comme quand on part en bateau, on ne peut pas prévoir quels vents il y aura. On navigue plus ou moins avec les ressources et les outils qu’on a, indépendamment des choix faits au départ. Quelle misère, dès le premier instant de la parentalité, on se sent déjà coupable de ne pas tout contrôler. Toutefois, je n'ai pas l'impression que c'est une question de volonté.
J’ai ressenti une culpabilité similaire lorsque j’ai appris que j’étais enceinte, alors que je tentais de prendre le contrôle sur ma fertilité. Après presque deux ans à essayer « naturellement » de tomber enceinte, j’ai finalement eu accès à un suivi en procréation assistée. Pendant tous ces mois où j'espérais que « cette fois soit la bonne », mon entourage a souvent sous-entendu que ma fertilité était sous mon contrôle, qu’il ne fallait pas que je souhaite être enceinte pour que ça arrive, qu’il fallait plutôt que je n'y pense plus et que j'oublie ce projet qui me tenait tellement à coeur. Alors, seulement là, mon corps pourrait s'ouvrir à la possibilité d'être fertile. Presque l'antithèse du livre Le secret, qui propose qu'on devrait toujours agir dans le sens de ce qu'on désire vivre, mais du même niveau d'appui scientifique. Je ne leur en veux pas trop d'avoir fait appel à ce genre de raisonnement, après tout, eux aussi devaient se sentir impuissants.
On n'a pas cherché à savoir quelles étaient les raisons de mes choix personnels. En fin de compte, il y avait une raison médicale à mon infertilité et avoir accès à un traitement médical me semblait comme le choix logique. Devinez quoi? Sans le savoir, au moment où j’ai commencé mon traitement, j’étais enceinte. Tout pour valider les croyances qu’on m’imposait, c'est-à-dire que l’infertilité et la fertilité sont des choses qui sont sous le pouvoir de la femme. Pas très loin de l’Américain qui mentionnait que suite à un viol, une femme ne peut pas être enceinte, parce que « the female body has ways to try to shut that whole thing down ». Selon moi, il est absurde de dire qu'une femme peut décider de ne pas être enceinte seulement par sa volonté, tout comme il est insensé de dire le contraire.
Les gens étaient tellement contents pour moi que je sois enceinte « naturellement ». Moi, j’étais soulagée de l’être, tout simplement, et agacée de devenir le nouvel exemple du couple qui a conçu un enfant juste avant de commencer les traitements. Vous savez, le couple qui est parti en voyage et une fois revenu au pays, la femme est enceinte? Ou l'autre couple qui, au début des démarches en fertilité, a eu un test de grossesse positif? Ce genre d'exemples qui me donnaient l'impression d'être impuissante et invalidée dans mes démarches était dorénavant mon histoire.
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Je me demande s’il n’y a pas quelque chose de mystique dans la grossesse, un symbole de fertilité, de symbiose et d’abondance, comme Gaïa, mère Nature. On devient toute ronde, comme une planète, on crée un nouveau monde. C’est peut-être pour ça que certains utilisent le terme « naturel » dans les discours de la conception à l’accouchement. On fait référence à l'ordre des choses, de telle sorte que les femmes qui souhaiteraient avoir une césarienne plutôt que d'accoucher par voie basse n'en feraient pas partie.
La grossesse intrigue et mystifie. Mon copain parle du « magnétisme du ventre de la femme enceinte » pour décrire ce désir presque irrésistible d'apposer ses mains sur le ventre. Comme des apôtres qui veulent toucher les stigmates du Christ, j'ai l'impression qu'on touche le ventre d'une femme enceinte pour attester que c'est un miracle qui s'est produit. Symboliquement, je crois que chaque femme enceinte est un peu l’incarnation d’une divinité, d'une petite Gaïa.
Dans son livre Le pouvoir de la vulnérabilité, la psychologue et chercheure Brené Brown dit en parlant de la religion : « Dans un monde incertain, on a désespérément besoin d'absolu. C'est une réaction humaine à la peur ».
C'est peut-être par une tentative d'apprivoiser la peur de l'accouchement qu'on met autant d'ardeur à définir la manière idéale d'accoucher.
J'ai l'impression que c'est saisissant pour la femme qui va le vivre, mais aussi pour tous ceux qui se représentent mentalement un accouchement.
Je me demande si à l'époque où tous les accouchements étaient « naturels », ces derniers étaient autant fantasmés et idéalisés. Mon souhait est qu'on puisse enlever le mot « naturel» de notre discours sur la conception et la mise au monde d'un enfant. Selon moi, tant qu'il sera là, il sera difficile d'avoir une vision plus inclusive, plus imparfaite et plus empathique de la conception.
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