Moi, ce que j'aime, c'est les monstres (illustration issue du livre) – Photo modifiée par Les 3 sex* – Utilisation équitable

Roman graphique • Moi, ce que j'aime c'est les monstres

29 mai 2020
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« Enfant, ça me semblait mieux d’être un monstre qu’une fille. »
- Emil Ferris

J’ai l’impression que tout a déjà été dit sur ce chef d’oeuvre qu’est Moi, ce que j’aime, c’est les monstres d’Emil Ferris. D’éloges à louanges, les critiques négatives se font rares sinon absentes lorsqu’on le mentionne. C’est que ce fabuleux et éclectique monument graphique défie les normes et les conventions, tout en dressant le portrait historique d’un XXe siècle terni par les inégalités raciales, de genre et de classe. 

Éloge à l’art, à la différence et à la marginalité, Moi, ce que j’aime, c’est les monstres prend forme dans les rues d’un Chicago de la fin des années 1960 à travers le regard d’une jeune fille de 10 ans qui rêve de devenir un monstre. Parce qu’il vaut mieux être un monstre qu’une jeune femme pauvre de mère irlandaise et autochtone, et de père mexicain absent dans le South Side de Chicago en 1968. Parce que devenir un monstre, c’est devenir immortelle et sauver sa famille d’une mort certaine ou de douleurs tragiques. Parce que devenir un monstre, c’est s’émanciper de ce fardeau de discriminations, de violences et d’inégalités. Parce que devenir un monstre, c’est être différente et en être fière. Et fuir une réalité trop sombre pour être vécue à titre d’humain… 

J’ai l’impression que tout a été dit sur Moi, ce que j’aime, c’est les monstres et pourtant, j’ai la conviction qu’on en parlera jamais assez. Majestueux et monstrueux, ce recueil (qui fait plus de 400 pages) a été dessiné au stylo Bic sur des feuilles lignées de cahiers à spirales. Il était initialement constitué de 800 pages qu’Emil Ferris a trimballées pendant des années. À l’aide d’évènements historiques et des plus grandes œuvres des derniers siècles, elle dresse le portrait d’une époque en ébullition, d’une « Amérique » vivante, mais torturée et de luttes pour la survie et la pluralité. Elle met en scène une jeune fille, lesbienne, passionnée par l’art et le dessin, qui rêve de monstres et de légendes, et qui tente de mieux comprendre le monde qui l’entoure à l’aide d’enquêtes, de récits et de témoignages.

Et ce n’est pas tout. Emil Ferris mérite tout autant d’éloges que son récit. Mère monoparentale et bisexuelle, il s’en est fallu de peu pour qu’elle ne puisse plus jamais dessiner en 2001 lorsqu’un moustique lui a transmis la forme la plus grave du virus du Nil et l’a paralysée des deux jambes et de la main droite… la main avec laquelle elle dessinait. À coup d’essais, d’efforts et de stylos « scotchés » à sa main par sa fille, elle a tranquillement réappris à dessiner. Moi, ce que j’aime, c’est les monstres est le résultat de cette réadaptation et de cette rédemption. 

Ferris a aussi dû essuyer 48 refus avant que son oeuvre soit acceptée par une maison d’édition, Fantagraphics. Ces 48 autres maisons d’édition doivent aujourd’hui s’en mordre les doigts… Moi, ce que j’aime, c’est les monstres a été primé, depuis sa publication, d’un prix Lynd Ward et de deux prix Ignatz. Art Spielgman, bédéiste adulé et auteur de Maus, dira qu’Emil Ferris est l’« une des plus grandes artistes de bande dessinée de notre temps ».

Si toutes les histoires d’American Dream étaient comme celle d’Emil Ferris, je crois que l’avenir de l’humanité me semblerait bien plus radieux. Et si dans toutes les bibliothèques, on y retrouvait son imaginaire et sa plume (ou son stylo Bic devrais-je plutôt dire), je crois que nous nous porterions mieux. 

Peut-être accepterions-nous alors, à notre tour, d’être des petits monstres qui défient les conventions et valorisent la différence.

Référence

Auteur.e : Emil Ferris
Titre : Moi, ce que j’aime, c’est les monstres. Livre premier
Date de parution : 27 août 2018
Maison d’édition : Alto

Ce livre est disponible en version papier et électronique à la Grande bibliothèque (BAnQ). Il est également possible de se le procurer en librairie au coût de 39,95 $.


Sources

Chartier, S. (2018, 28 août). Qu’ils sont beaux, les monstres. Le Devoir.

Guy, C. (2018, 28 août). Le fabuleux destin d’Emil Ferris. La Presse.

lesbianisme, LGBTQ+, travail du sexe, roman graphique, culture, critique