Les témoignages sont des textes produits par des personnes ne provenant pas obligatoirement des disciplines sexologiques ou connexes. Ces textes présentent des émotions, des perceptions et sont donc hautement subjectifs. Les opinions exprimées dans les témoignages n'engagent que leurs auteur.e.s et ne représentent en aucun cas les positions de l'organisme.
☛ This story is also available in English [➦].
Dans la rue, une grande enseigne capte notre œil. Une belle jeune femme douchée, bien coiffée, même pas cernée, nourrit un bébé au sein, tout sourire. « On naît tous bio » accompagne cette image idyllique bien loin de la réalité des jeunes mamans. Elle est douchée, bien coiffée, même pas cernée : Pincez-moi quelqu’un. Bien que l’esthétique de la jeune maman me renvoie en pleine gueule le portrait désolant (mais réaliste) de mes cheveux hirsutes et de mes journées passées en mou avec mon bébé de trois mois, c’est le slogan qui accompagne l’image qui me chicote. « On naît tous bio ». Ainsi, j’ai l’impression que l’allaitement est dépeint comme étant le choix santé à faire pour son enfant, et donc par la bande, le seul choix sensé pour une maman voulant le meilleur pour son enfant. Je pense alors à toutes ces mères qui n’allaitent pas, cernées et en mou elles aussi, comme moi. Pincement au cœur.
La nouvelle campagne des épiceries Rachelle Béry, bien qu’elle promeut des choses bonnes pour la santé, pourrait en froisser (ici lire culpabiliser) plusieurs selon moi.
J’ai l’impression que d’exposer sur la place publique le fait que l’allaitement soit l’unique choix santé pour son enfant nous force, nous, mères qui avons mis au monde, à allaiter sans vraiment nous laisser le choix. Loin de moi l’idée de faire le procès de cette campagne publicitaire (mon côlon irritable et ma fille m’obligent à manger sans gluten, sans produits laitiers, alors merci Rachelle Béry de me nourrir !) Elle représente plutôt le déclenchement d’un questionnement personnel que j’ai cru bon de partager. Je pense d’abord à ces mères jonglant avec des préoccupations (et des cernes) qui naîtraient beaucoup plus des standards sociaux attendus que de leur cœur aimant. J’ai allaité mon plus vieux pendant 22 mois et j’allaite présentement ma petite fille de 3 mois, par choix. Du moins, j’aime croire que j’ai été libre de choisir sans être aveuglée par les diktats de la société... Mais il y a un « mais ». Un « mais » qui me fait douter de ma réelle liberté de choix.
Certes, oui, l’allaitement est reconnu mondialement comme étant le meilleur mode d’alimentation qui soit pour le bébé : meilleure croissance, meilleur développement cognitif, meilleure protection immunitaire, etc. (On le sait, on sait lire). Sans oublier le fait qu’allaiter équivaut à une session de gym par jour pour celles qui veulent retrouver leur ligne rapidement (argument douteux, selon moi, pour motiver les mères à allaiter… mais tellement efficace). Mais malheureusement, la décision d’allaiter ne se résume pas seulement à un choix individuel basé sur les connaissances que nous avons.
En apposant l’affirmation « On naît tous bio » à l’image d’une maman qui allaite, je perçois un message négatif pour celles qui ne veulent ou ne peuvent pas allaiter leur enfant.
C’est donc au niveau de la production du message qu’il existe un problème selon moi.
Et ces femmes qui n’allaitent pas ? Celles qui ont tenté d’allaiter, mais dont la peur du manque de lait ou les difficultés reliées à la technique les ont découragées ou forcées à cesser ? Ou les femmes provenant de milieux plus marginalisés, comme celles vivant avec le VIH? J’en connais des mères aimantes et présentes qui ont dû arrêter d’allaiter après quelques semaines. Et toutes ont ressenti un jour ou l’autre le besoin de justifier pourquoi elles ne mettaient pas leur enfant au sein. Pincement au cœur numéro deux. Entre vous et moi, ça ne regarde personne le pourquoi du comment. C’est l’affaire de la mère, du père et du bébé. Point final. Pas l’affaire de la voisine, de la grand-mère ou de la clientèle de Rachelle Béry.
Donc, nous, femmes confrontées au jugement de nos pairs, à des campagnes médiatiques nous positionnant comme étant de mauvaises mamans parce que nous avons choisi de miser sur notre bien-être physique et mental, nous portons une brique de culpabilité de plus dans notre merveilleux baluchon de l’apprentissage de la maternité. En pensant à la pression que nous ressentons pour allaiter, j’ai un petit reflux, comme ma petite de trois mois (oui, elle a des reflux même si j’allaite et que c’est « bio »).
Trop souvent, c’est le jugement public qui détermine si les femmes sont de bonnes mères.
En fait, la maternité me semble soumise à la scrutation sociale, l’allaitement étant l’un des aspects les plus jugés. À feuilleter le populaire (et tellement divertissant) guide Mieux Vivre, difficile de dire « Fuck off, je donne le biberon ! » puisque les risques du non-allaitement sont mis en exergue et soulignés par les voix d’experts, comme s’il n’y avait qu’un seul choix à faire. Alors, au lieu de dire « Fuck off ! », on crée des groupes Facebook ou des blogues de mères qui se disent indignes de ne pas allaiter. Des dires aussi intenses que « Quand je donne le biberon, j’ai l’impression de donner du poison à rat à mon enfant » sont employés. Pincement au cœur numéro trois. Je suis persuadée que ces femmes ne devraient pas sentir le besoin de se justifier lorsqu’elles se font prendre biberon à la main. Elles ne devraient pas être stigmatisées. Surtout si le biberon est donné avec amour. Comme si l’amour maternel se limitait à un sein offert…
Allaiter n’est pas chose facile. Loin de là. J’ai souvent eu le sentiment qu’il ne me restait qu’un tout petit grain de sable de liberté dans un désert de responsabilités et d’obligations, un désert parsemé de mamelons gercés, de besoins de sortir ailleurs qu’à la pharmacie trente minutes et de trois heures (entrecoupées!) de sommeil par nuit. Aidez-moi quelqu’un. Parce que c’est naturel, plusieurs s’attendent à ce que cela soit facile. Selon une professionnelle de l’hôpital Ste-Justine que j’ai eu le plaisir de rencontrer, le vrai défi de la maternité pour la mère n’est pas l’accouchement, mais plutôt un allaitement qui fonctionne bien, qui perdure malgré les douleurs physiques, la fatigue, les difficultés techniques, etc. Le choc de l’allaitement se révèle donc important; ma plus grande traversée du désert en tout cas. On est loin de l’idéal promu par les instances gouvernementales (et par les affiches d’épiceries biologiques)… On ne parle pas vraiment des facteurs de stress qui sont reliés à l’allaitement. Le nombre de femmes que j’ai vu douter de leur capacité (et de leur amour!) maternel devant leur incapacité à allaiter…
Pincement au coeur numéro quatre.
Mais non, on se tait au lieu d’accueillir ces femmes dans leurs préoccupations. On regarde une caméra, le sourire aux lèvres, sans cernes, un bébé au sein. Après l’allaitement glamour de Mahée Paiement, voici l’allaitement santé-t’as-pas-vraiment-le-choix-si-tu-aimes-ton-enfant-et-si-tu-veux-être-une-bonne-mère-fait-que-allaite-pis-endure qui nous rentre en pleine gueule.
L’allaitement est donc physique et social : une pression énorme est mise sur nous, femmes qui mettons au monde, relativement au meilleur à donner à notre enfant. Et cette pression provient, selon moi, d’un contrôle social informel.
Des normes formelles existent, certes, oui. Mais ces normes me semblent moins insidieuses que les normes informelles que nous retrouvons sur un panneau publicitaire ou dans les propos d’un proche. Commentaires, jugements, yeux ronds, claquements de langue encouragent l’intériorisation de la nécessité d’allaiter. Qui n’a jamais entendu un commentaire désobligeant à l’égard d’une mère qui n’allaite pas ? Quoique plusieurs se permettent aussi des commentaires envers celles qui allaitent, que ce soit sur la durée de l’allaitement, le fait d’allaiter en public, etc. Je l’ai moi-même vécu avec mon premier, que j’ai allaité pendant presque deux ans. Paradoxe. Allaiter, c’est bien. Allaiter, c’est mal. Pile ou face. « Quand est-ce que tu vas arrêter d’allaiter ? Avant le primaire, j’espère ! ». Ah. Ah. Ah. J’aurais envie de leur renvoyer la monnaie de leur pièce en plein visage et de leur dire : « Fuck off ! ». Mais, malgré mon gros front de fille qui s’assume, pincement au cœur numéro cinq en me questionnant sur le fait que oui, peut-être mon fils est maintenant trop grand pour que je lui donne un peu de mon amour à boire.
Et la cerise sur le sundae… Les vêtements stylés, tire-lait dispendieux, baumes pour les mamelons, tisanes, changements de régime alimentaire, etc. Une industrie en expansion. WOW. Les femmes, moi incluse, sommes prêtes à tout pour allaiter le plus longtemps possible. Mais à quel prix ? Mon régime alimentaire témoigne d’ailleurs de mon implication totale envers mon allaitement, quitte à ne plus toucher du bout des lèvres un morceau de chocolat une fois de temps en temps. Histoire de vivre au maximum ma traversée du désert… Et ce stress qui accompagne ces diktats, vaut-il vraiment plus qu’un biberon de lait commercial donné paisiblement et avec amour ? Je n’en suis pas si certaine. D’ailleurs, le pédiatre Jean-François Chicoine a soulevé un point important récemment lors d’une émission télévisée : celui de ne pas texter en allaitant un nourrisson, puisque ce sont ses premières expériences relationnelles et, lorsqu’il vous regarde, il doit recevoir un feedback, une réponse concrète de votre part. Pas une fois sur quatre. Pas trois minutes plus tard. J’ai rarement vu une maman donner le biberon tout en textant. Pour moi, ça relève d’un numéro du Cirque du Soleil. Par contre, une maman qui allaite et qui texte, j’en ai vue. Souvent. Et j’en ai même fait partie avant d’entendre les propos de ce cher docteur Chicoine. Mea culpa et merci de nous ramener à la réalité. Nous, femmes qui avons un bébé au sein, nous ne sommes pas nécessairement meilleures que les autres.
Selon moi, le mieux pour un enfant n’est pas le lait maternel.
Je crois plutôt que le mieux, c’est une maman en paix avec son choix d’allaiter ou non, biberon à la main ou non. Je souhaite que toutes les mères aient la possibilité de faire un choix libre et éclairé, idéalement non dicté par la société et par un autocontrôle intériorisé dans le but de répondre à certains critères socio-normatifs établis. Pour que notre baluchon de culpabilité maternelle se déleste au moins d’une brique. Je suis de nature optimiste… Mais est-ce réaliste ?
Le mieux peut être des yeux cernés tout comme un visage radieux et reposé, bébé au sein ou pas. Le mieux est propre à chaque individu, à chaque famille, à chaque maman, à chaque histoire de vie, selon moi.
Sur ce, moi et mon glow-pas-glamour-du-tout-qui-ne-se-retrouvera-jamais-sur-une-affiche-pour-promouvoir-l’allaitement-mais-qui-s’assume retournons allaiter ma petite de trois mois…
Commentaires