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L’autonomie corporelle au cœur des élections : retour sur des enjeux sexologiques de l’élection présidentielle aux États-Unis

3 novembre 2020
Andréanne Bissonnette, doctorante en science politique et chercheuse en résidence, Chaire Raoul-Dandurand, UQAM, collaboration spéciale
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Durant les quatre dernières années, les droits reproductifs et sexuels ont été mis à mal aux États-Unis : lois limitant l’accès à l’avortement, absence de reconnaissance des discriminations basées sur l’identité de genre, discriminations et attaques accrues envers les membres de la diversité sexuelle, etc. Or, parmi les reculs enregistrés sur la scène nationale et dans certains États, il importe de tourner également son regard vers des avancées répertoriées dans des États démocrates : abandon de lois restrictives à l’accès à l’avortement, adoption de protection de ce droit si le jugement dans Roe v. Wade1 est érodé ou renversé, augmentation de la représentation de la diversité sexuelle aux postes électifs, etc. Étudier les enjeux liés aux droits reproductifs et aux droits des communautés LGBTQ+, c’est souvent voir les belles avancées comme les reculs désolants. Or, la couverture médiatique de ces enjeux aux États-Unis est souvent, ici au Québec, axée sur les reculs. Ainsi, en marge des élections présidentielles étasuniennes qui se déroulent aujourd’hui, voici un portrait de six enjeux à surveiller ce soir et dans les prochaines années, trois possibles reculs et trois possibles avancées. 

Trois possibles reculs

1. Droit à l’avortement

La nomination de la juge Coney Barrett à la Cour suprême, quelques jours à peine avant les élections, entraîne un débalancement de la Cour vers une interprétation conservatrice du droit. Cette nomination, en phase avec les promesses des Républicain.e.s de nommer des juges en faveur d’un renversement du jugement dans Roe v. Wade, laisse présager le pire pour le maintien d’un droit à l’avortement sur l’ensemble du territoire. Avec au moins deux décisions à venir dans des dossiers impliquant le droit à l’avortement, la perspective d’un recul majeur du droit à l’avortement est plus prenante que jamais. Si Roe v. Wade est renversé, les États seraient alors responsables d’adopter des lois visant à autoriser ou interdire la pratique sur leur territoire. Selon le Guttmacher Institute, 29 États sont hostiles au droit à l’avortement et seulement 14 démontrent un soutien.

2. Discriminations envers les femmes trans racisées

Depuis le début de l’année, au moins 33 personnes trans ou fluides dans le genre ont été assassinées aux États-Unis, selon Human Rights Watch. La majorité des victimes sont des femmes trans afro-américaines ou latinas. Loin d’être concentrés dans des États conservateurs, ces gestes découlent de discours anti-trans, d’une vulnérabilité accrue découlant de la pauvreté ou du travail du sexe ainsi que de discours racistes, sexistes, transphobes et homophobes, tant au sein de la société que dans le monde politique. L’absence de reconnaissance des droits des personnes trans – et plus largement des personnes LGBTQ+ – par des législateurs et des législatrices de droite et la remise en cause de droits acquis, notamment le droit à l’adoption qui sera à l’avant-scène d’une cause de la Cour suprême cette semaine, alimentent ces discours haineux dont les conséquences sont fatales.

3. Accessibilité aux soins de santé

Souvent réduit à l’offre d’avortement, Planned Parenthood est en fait un organisme national assurant un accès aux soins de santé reproductive et sexuelle de façon globale : dépistage d’ITSS, contraception, dépistage de cancers et thérapies hormonales sont autant de services offerts par l’organisme. Or, en raison de ses services d’avortement, l’organisme s’est vu retiré de la liste de bénéficiaires de financements fédéraux pour l’ensemble de ses activités. Ces restrictions budgétaires, ajoutées au risque de renversement de l’Affordable Care Act, qui offre notamment une couverture pour la contraception, pourraient considérablement limiter l’accès aux soins de santé reproductive et sexuelle.

Trois possibles avancées

1. Assurance santé publique

Si, d’une part, une victoire républicaine pourrait sonner le glas du Affordable Care Act, une victoire démocrate au niveau national permettrait de reconstruire l’idée d’une assurance santé publique accessible, permettant un meilleur accès aux soins de santé reproductive et sexuelle, et d’éviter que le choix de la méthode de contraception soit déterminé par le coût de celle-ci, mais plutôt en fonction de ce qui est le mieux pour la personne. D’autre part, des victoires démocrates au niveau des États pourraient permettre un élargissement de la couverture d’assurance santé offerte par l’État, pouvant inclure la contraception et l’avortement ou encore pour élargir le nombre de personnes admissibles à une couverture publique.

2. Ouverture de nouvelles cliniques dans les États du Sud

La semaine dernière, Planned Parenthood of Greater Texas a annoncé la réouverture de sa clinique à Lubbock (dans le Nord de l’État), fermée depuis 2013. D’autres cliniques dans le Sud des États-Unis ont également remporté leur cause judiciaire pour assurer leur survie. Ainsi, malgré les restrictions en place, les groupes de défense des droits reproductifs et sexuels sont mobilisés et actifs afin d’assurer une poursuite des activités et une accessibilité des services. Les résultats locaux des élections pourraient permettre une diminution des barrières à l’accès, ou un investissement, comme ce fut le cas à Austin (Texas), dans les fonds d’aide aux personnes désirant accéder aux cliniques de santé reproductive et sexuelle (par exemple, via une aide au déplacement).

3. Adoption de lois protégeant le droit à l’avortement et abandon de « trigger laws »

L’augmentation de l’inquiétude quant au maintien du jugement dans Roe v. Wade a mené plusieurs États à adopter des lois visant à protéger le droit et l’accessibilité à l’avortement sur leur territoire advenant un renversement de la décision de 1973. Les résultats des élections au niveau des États pourraient favoriser un tel mouvement, comme ce fut le cas en Virginie à la suite des élections de 2018. Peu importe ce qui arrive avec Roe v. Wade, ces lois sont importantes pour réaffirmer le soutien aux droits de contrôle corporel et s’accompagnent souvent d’autres politiques visant à assurer l’accessibilité, tant pour les services que pour l’avortement, des autres services offerts par les cliniques.

Du local au fédéral, les élections sont importantes pour l’avenir des droits reproductifs et sexuels 

Il va sans dire que pour la protection des droits reproductifs et sexuels, une victoire de Joe Biden à Washington serait synonyme de plus d’avancées et de protections, alors qu’un second mandat pour Donald Trump impliquerait une continuité des politiques actuellement en place et de l’érosion des protections en matière de droits reproductifs et sexuels, et droits LGBTQ+. Or, la scène politique étasunienne ne se limite pas à la Maison-Blanche : les élections au Congrès, dans les États et même au niveau des municipalités peuvent affecter le type de politiques qui seront mises en œuvre dans les mois et années à venir. Durant la soirée du 3 novembre, on surveille donc ces multiples courses qui façonneront les États-Unis des prochaines années – et peu importe ce qui se produit, les organismes communautaires demeurent centraux tant pour la mise à l’avant de ces enjeux et leur défense auprès des gouvernements que pour l’accessibilité des soins et s’assurer que toutes et tous connaissent leurs droits. 

1Roe v. Wade est le jugement rendu en 1973 par la Cour suprême des États-Unis qui légalise l’avortement sur l’ensemble de son territoire.

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