Unsplash/Camila Cordeiro - Photo modifiée par Les 3 sex*

Témoignage • Cachez ce ventre que je ne saurais voir…

26 septembre 2017
Geneviève Côté
px
text

Les témoignages sont des textes produits par des personnes ne provenant pas obligatoirement des disciplines sexologiques ou connexes. Ces textes présentent des émotions, des perceptions et sont donc hautement subjectifs. Les opinions exprimées dans les témoignages n'engagent que leurs auteur.e.s et ne représentent en aucun cas les positions de l'organisme.

px
text

Je m’appelle Geneviève, j’ai 34 ans. Je suis mère d’un enfant de deux ans et demi et d’un autre qui grandit dans mon ventre depuis bientôt six mois. Je suis comédienne et étudiante en sexologie.

Je suis sortie de l’école de théâtre il y a un peu plus de dix ans, pleine de rêves, d’espoir et de faim du métier. Tout était possible.

Il y a trois ans et des poussières, une productrice m’a remarquée dans un spectacle de théâtre. Cette femme m’a permis d’auditionner pour un premier rôle dans une série jeunesse, une chance rare dans un milieu où l’accès aux auditions est très restreint. Et bang ! Je l’ai décroché.

Après des années de fun avec des gens que j’aime, mais de dur labeur et de théâtre qui paie à peine, enfin j’avais la chance de créer un rôle et peut-être même de prendre mon envol comme comédienne au petit écran. Car le voilà bien mon premier amour : le métier de comédienne. Une passion pour laquelle je bûche encore dur aujourd’hui pour gagner ma vie. Et parfois, je me surprends encore à rêver d’avoir la chance de me faire valoir. Mais quelque chose a changé.

C’est un métier étrange... Autant il devient nécessaire pour le cœur de celles et ceux qui le pratiquent, autant il peut faire mal. Comme dans une relation amoureuse.

Dans mon cas, malheureusement, il m’a fait mal. Au moment où, paradoxalement, je vivais mon plus grand moment de bonheur : lorsque j’ai appris que j’allais être mère. Bang.

Métier ingrat souvent, particulièrement pour les comédiennes, comme moi, qui attendent un enfant et qui doivent composer avec un ventre rempli de vie. Qui ont un premier rôle dans une série, qui gagnent convenablement leur vie et qui, soudainement, perdent leur travail. Parce que l’accouchement ne concorde pas avec les dates de tournage, parce que ce serait trop compliqué de camoufler ce ventre grossissant. Cachez ce ventre que je ne saurais voir…

Ce bébé qui est vu comme étant un obstacle au « bon fonctionnement de la production » alors qu’il est supposé être la plus belle chose qui soit pour les femmes. Leur plus grande fierté.

Une comédienne avec une bedaine grosse comme un ballon de soccer n’est pas non plus le casting le plus en demande, disons. Je l’ai appris à mes dépens. Je l’ai vécu.

Bang. Du jour au lendemain, je perds ce rôle et l’année de salaire qui vient avec.

Mais surtout, je perds le oumf. Ce oumf qui te fait espérer le meilleur et qui te fait dire : enfin, ça va débloquer, c’est parti! Mais non.

Tiens.

Prends ça la grosse.

La grosse qui n’est même pas encore grosse, qui a préféré être honnête et annoncer sa grossesse à trois mois seulement, le ventre toujours plat.

La grosse qui n’a pris que 23 livres pendant sa grossesse, qui aurait pu fitter dans son costume ample jusqu’à la fin.

Non.

Tu ne tourneras plus. Tu n’incarneras plus ce personnage que tu as créé.

En deux jours, sans même t’appeler, on te remplace, malgré tous les bons mots qu’on avait à ton égard, malgré ton travail apprécié.

C’est ce qu’ont fait les productrices de la série.

Tu es enceinte. Tu n’es plus bonne à rien. C’est ce que j’ai reçu comme message. Des productrices en plus. Des femmes, comme moi. Qui ont sûrement porté la vie aussi. Comme moi.

Encore plus ironique : c’était dans une émission pour les enfants. Bang. Merci, les filles. Merci de m’avoir permis d’haïr l’espace de quelques secondes, après votre rejet, mon état de femme enceinte. Quelques secondes. Pas plus. Mais quand même. Vous me l’avez fait haïr une seconde de trop.

Pour ensuite réaliser que ce n’est pas normal. Une femme ne devrait pas perdre son emploi parce qu’elle attend un enfant. Au contraire. Elle devrait recevoir des éloges, un trophée, name it, de conserver la force de vouloir se dépasser dans son métier, tout en portant un enfant, tout en l’élevant. Elle ne devrait pas être forcée de faire un choix entre sa carrière et son enfant.

Wonderwomen, wondermommies.

Je vous aime et vous admire. Je vous donnerais tous les trophées, toutes catégories confondues. Je suis éblouie par votre force, votre courage, votre patience, votre résilience aussi. Quand j’ai accouché de mon fils, il y a deux ans et demi, et que je me suis lancée dans des études universitaires en sexologie quelques mois plus tard (tout en continuant de me battre pour des contrats de comédienne), mon chum m’a acheté une petite figurine de Wonderwoman.

Merci, mon amour. Tu avais vu juste, contrairement aux productrices qui m’ont balayée du revers de la main. Parce qu’une comédienne qui attend un enfant est une meilleure comédienne. Je l’ai déjà constaté d’ailleurs chez d’autres actrices/acteurs. Richesse infinie qu’apporte un fils ou une fille. Je comprends toutefois que dans certains cas, les remplacements soient inévitables, comme dans des cas de nudité par exemple. Mais ici, ce n’était pas une exception. Et pour la deuxième fois en plus puisqu’une autre comédienne a vécu sensiblement la même chose que moi sur cette même émission quelques années auparavant. Bang. Mais… Too bad pour vous.

Merci, mesdames les productrices. Pour vrai. MERCI. Parce que grâce à vous, j’ai réalisé que ce métier, si extraordinaire soit-il, peut parfois être le plus injuste pour une femme.

J’ai eu le cœur brisé à partir de ce jour-là, me suis sentie trahie par ce métier auquel j’avais tout donné. Première grande peine amoureuse. Oh que ça fait mal. Mais tant mieux.

Enfin, j’ai pu sortir de l’utopie que je m’étais créée. Enfin, j’ai compris que ce métier ne pourrait jamais me permettre de vivre librement l’une des plus belles choses qui soit pour moi, la maternité. Certaines ont eu plus de chance que moi; des plateaux qui les accommodent et qui leur permettent d’allaiter entre deux takes, des productions qui repoussent des dates de tournages, etc. Oui, il y en a. Thank god! Il y a déjà un peu de chemin de fait. Mais moi, je n’ai pas eu cette chance. Et il y a une pelletée de comédiennes-mères qui ont vécu la même chose que moi.

N’allez pas penser que je suis aigrie. Désillusionnée, oui. Mais j’ai juste réalisé que c’était un amour à sens unique, quelqu’un qui m’appelle juste quand il a envie de “se mettre” alors que moi j’ai des sentiments. Point.

Laurent, mon fils, est la plus belle chose qui me soit arrivée. Aucun rôle ne pourrait l’égaler, aucun contrat. Et aussi… j’ai rencontré en quelque sorte mon deuxième amour de métier: la sexologie. Un peu comme un rebound, il a été mon plan B. Il m’a acceptée telle quelle. « On va t’accommoder pour ne pas que tu perdes ta session, ne t’en fais pas » me suis-je fait dire par deux enseignantes qui m’enseigneront à l’automne.

Soulagement. Soupir… qui ne devrait pas avoir sa raison d’être d’ailleurs. Merci, mesdames. Si vous saviez comme je suis heureuse de vivre cette deuxième grossesse totalement libérée de diktats ou de peurs de perdre. Les rebounds sont parfois plus que des rebounds...

Je souhaite à toutes les femmes, comédiennes ou pas, de vivre leur grossesse et leur maternité dans ce sentiment de pleine liberté et d’acceptation. J’ai d’ailleurs une pensée douce et accueillante pour ces amies et collègues comédiennes qui se sont un jour senties comme moi, qui ont eu peur de perdre leur place, d’être trop grosses… Qui n’ont pas osé laisser tomber le condom ou la pilule par peur que cela ne nuise à leur carrière; mauvais timing comme on dit… Ou pour celles qui ont osé, mais qui aujourd’hui en paie malheureusement le prix d’une certaine façon côté carrière.

À celles-là, je leur souhaite de faire la paix, mais de ne pas se taire.

Je leur souhaite de trouver un deuxième amour qui apaise les vieilles blessures, mais sans que ces dernières ne soient oubliées. Je leur souhaite de se souvenir, mais avec le cœur léger parce que comblé par autre chose que ce drôle de métier.

Nous sommes en 2017. Il est temps que la maternité ne soit pas vue comme un obstacle à une carrière, mais comme une rampe de lancement. Comme un plus. Ce plus qui nous distingue, nous, les femmes. Comédiennes enceintes, comédiennes-mères, comédiennes-qui-voulez-avoir-un-enfant, vous êtes courageuses et fortes, que le métier soit de votre bord ou non.

Moi, je suis de votre bord en tout cas.

Grossesse, discrimination, télévision, rejet, carrière, féminisme, maternité, image, sexologue

Commentaires

Connectez-vous ou Créez un compte . Seuls les abonné.e.s peuvent commenter.