Michelle Caron-Pawlowsky

Bilan • Les dénonciations d’inconduites sexuelles sur les réseaux sociaux

15 décembre 2020
Kelly Asselin-Tousignant
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En juillet 2020, le phénomène social de dénonciations d’inconduites sexuelles sur les réseaux sociaux refait surface au Québec. Le mouvement a pour but d’amplifier la voix des personnes ayant été soumises à des comportements problématiques. Les mots-clics #OnSortLesVidanges et #VictimsVoices se multiplient en ligne, particulièrement dans les milieux où la réputation et le statut social ont de l’importance. 

Le contexte particulier de la pandémie propulse le mouvement vers l’avant. L’utilisation des plateformes de réseaux sociaux, pilier de la quatrième vague de féminisme, et la création de comptes anonymes de dénonciations laissent transpercer des lacunes judiciaires quant au traitement des personnes ayant subi des inconduites sexuelles, soit des agressions, de la coercion ou des attouchements.

Un contexte bien particulier
Le ravivement du mot-clic #MeToo par l’actrice Alyssa Milano en 2017, introduit une décennie plus tôt par l’activiste Tarana Burke, a pu prendre de telles proportions puisque l’élection du président Donald Trump a créé un climat de désarroi et de rage propice aux contestations (Pellegrini, 2018). Des versions francophones, telles que #MoiAussi au Québec et #BalanceTonPorc en France, s’étaient également popularisées durant cette période.

En juillet 2020, le contexte économique de la pandémie a disproportionnellement affecté la situation d’emploi et économique des femmes. Il est donc normal qu’elles soient nombreuses à porter des réflexions sur leurs expériences dans le milieu professionnel ainsi que sur la valeur qui leur est accordée en société.

Les dénonciations d’inconduites sexuelles au Québec cet été ont particulièrement touché les gens des industries à employabilité précaire, lourdement affectées par la crise économique engendrée par les restrictions de la pandémie de COVID-19 (Schmouker, 2020), avant de se répandre dans d’autres milieux. 

Ces industries incluent, sans s’y limiter, les milieux artistiques et culturels, l’industrie du divertissement, du tourisme et de la restauration. Ayant moins à perdre durant une période de gel dans leur industrie, les victimes prennent l’opportunité de « sortir les vidanges ». Les premières dénonciations du mouvement ont visé à briser la culture du silence souvent omniprésente dans ces industries et à rendre publics les systèmes de protection et de mise en garde contre les inconduites sexuelles, répandus par le bouche-à-oreille entre victimes potentiel.le.s (Duchaine, 2020). 

Les personnes dénoncées se permettaient ces inconduites en se cachant derrière la fausse immunité que leur procurait leur statut social, puisque plusieurs de ces personnes avaient une grande influence sur leurs cercles social et professionnel. Les dénonciations ont tenté de faire éclater ce pouvoir social et d’enrayer le fléau que sont les inconduites sexuelles.

De nombreuses personnalités publiques et du Web visées par les dénonciations ont réfuté les accusations, se sont excusées ou ont annoncé qu’elles quittaient leurs fonctions, parfois de façon permanente, parfois pour une période indéterminée (Pineda, 2020). Des compagnies ont retiré leurs commandites, ne désirant plus être associées avec les accusé.e.s (Girard, 2020). Il semblerait que le ras-le-bol de la situation que nous vivons en 2020 ait provoqué un mouvement de changement, mais surtout de prise de conscience sociale.

Une protection virtuelle
Mais pourquoi se tourner vers le Web? Bien que les recommandations de distanciation physique de l’année en cours aient facilité ce processus, se tourner vers le monde virtuel pour amplifier sa voix n’est pas nouveau. L’anonymat que procure un pseudonyme en ligne sur de nombreuses plateformes de réseaux sociaux est depuis longtemps utilisé pour menacer les femmes, les personnes LGBTQ+, les personnes racisées, les personnes vivant avec un handicap et d’autres groupes marginalisés (Buni, 2014). 

Le rapport Toxic Twitter d’Amnistie Internationale, publié en 2018, demandait au géant américain des réseaux sociaux, Twitter, d’en faire plus pour protéger les femmes sur sa plateforme, mais le manque de réponse adéquate pour y protéger particulièrement les femmes lui a valu une autre intervention récente de l’organisme (Amnistie, 2020). Le site Web d’hébergement et média social YouTube se fait reprocher depuis des lustres d’avoir un algorithme encourageant la radicalisation des personnes utilisant sa plateforme, en évitant de les exposer à des idées divergentes par le biais de la répétition de contenu et en ignorant la vérification des faits (Basu, 2020). Facebook et Instagram nagent dans une mer de critiques de leurs politiques d’utilisation. 

Il est donc très significatif que les survivant.e.s d’inconduites sexuelles, surtout les jeunes femmes, récupèrent ces espaces qui n’en font pas assez pour les protéger, notamment lorsque le monde virtuel prend une telle importance avec les recommandations de distanciation physique. Au Danemark, de nombreuses jeunes femmes se sont tournées vers les réseaux sociaux pour trouver du soutien, suite aux déclarations de l’animatrice de télévision Sofie Linde, ayant partagé ses expériences lors d’un gala télévisé cet été. Les déclarations ont propulsé un mouvement #MeToo et #NejTilSexisme (#NonAuSexisme) dans le pays qui n’avait pas été grandement affecté par le mouvement #MeToo en 2017 (Murray, 2020). Des campagnes en ligne pour le soutien des survivant.e.s et contre les inconduites sexuelles se multiplient à travers les industries. Là-bas aussi, la goutte a fait déborder le vase et se libérer en dénonçant les agressions en ligne devient contagieux. 

Il semblerait que l’on atteigne notre niveau de saturation de la culture du viol. L’anonymat, outil tant choyé pour les agressions en ligne, se retourne contre les personnes présumées coupables d’inconduites sexuelles et devient une arme pour dénoncer les comportements déplacés dans le monde réel. Selon Josée Belisle, coordonnatrice administrative du Centre d'aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel Abitibi (CALACS-Abitibi) à Amos, « les victimes y retrouvent du réconfort [sur les réseaux sociaux], y retrouvent d'autres personnes qui ont vécu sensiblement les mêmes crimes qu’elles-mêmes. Il semble qu'elles sont crues, qu'elles sont soutenues, qu'elles ne sont pas jugées ». Réconfort de courte durée puisque, souvent, elles continuent de vivre de la violence en dehors de ces communautés de soutien (Desfossés, 2020).

Des lacunes judiciaires
La raison majeure de se tourner vers des comptes anonymes pour dénoncer des inconduites sexuelles demeure le fait que le système judiciaire n’est pas adapté aux victimes d’agression, de coercion ou d’attouchement à caractère sexuel. 

Bien que le délai de prescription pour les agressions à caractère sexuel ait récemment été aboli par le gouvernement, permettant aux survivant.e.s d’agressions sexuelles de porter plainte, même plusieurs années suivant leur prise de conscience des faits (Girard, 2020), le processus légal d’accusations n’est pas adapté à toutes les situations. Éloïse Gratton, avocate en matière de respect de la vie privée et de protection des renseignements personnels, pense que « le phénomène [de dénonciations sur les réseaux sociaux] est une réaction aux plaintes qui ont été ignorées pendant des années dans le passé » (Duchaine, 2020). 

Selon une des cofondatrices d’une page Facebook de dénonciations, interviewée anonymement par Radio-Canada en juillet, la création de comptes anonymes pour partager ces allégations d’inconduites ou de violences sexuelles visent à donner une parole aux survivant.e.s et à provoquer une prise de conscience sociétale (Papillon, 2020). Ce phénomène de ras-le-bol collectif laisse transpercer l’existence de lacunes dans le processus judiciaire de plaintes et suscite des questions sur la définition de ce que constitue une inconduite sexuelle et sur ce qu’on doit cesser de tolérer en société.

Les méthodes employées sur les réseaux sociaux, incluant l’anonymat des personnes, ne font pas l’unanimité, malgré les motivations de libération et non pas de vengeance derrière ces dénonciations (Papillon, 2020). La cofondatrice de la page Facebook en question affirmait avoir reçu plusieurs mises en demeure et s’attendait à des poursuites pour diffamation (Papillon, 2020). 

Une des pages majeures de dénonciations, intitulée  « Hyènes en jupon », a éventuellement cessé ses activités « suite à des menaces violentes à l’égard du collectif » et afin de « protéger la sécurité et l’anonymat de tous.tes les survivant.e.s » (Marquis, 2020). Les faits semblent être reliés aux commentaires du chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, qui déplorait les méthodes de dénonciation de la page et menaçait d’entamer des poursuites judiciaires pour diffamation (Marquis, 2020).

Conclusion
Au cours des derniers mois, un mouvement de dénonciations conduit majoritairement par des jeunes femmes (Pineda, 2020) a forcé des personnes présumées coupables d’avoir commis des inconduites sexuelles à rendre des comptes. Rappelant le mouvement #MeToo en 2017, la réappropriation en masse des réseaux sociaux et du monde virtuel par les survivant.e.s s’est faite cette fois-ci sous le voile de l’anonymat via des pages de dénonciations.

Cette culture du viol, enfouie sous des strates de tabou et de honte, que dénonce le mouvement féministe demeure un fléau. Cependant, la prise de conscience du public sur ses propres agissements et ceux des personnes qui les entourent a soulevé des points importants sur le consentement. Les questions relatives à la définition d’une agression sexuelle, de la coercion, du harcèlement ou d’un attouchement ou de ce que constitue l’abscence ou l’existence du consentement flânent dans la tête du grand public.

Le mouvement n’est pas constitué uniquement de victimes femmes, mais l’exaspération sociale est clairement liée à la condition féminine. Pour citer la journaliste Francine Pelletier, « alors que les femmes ont encore des difficultés à accéder à des postes de pouvoir, voici qu’elles ont soudainement suffisamment d’influence pour démettre quelqu’un de ses fonctions » (Pelletier, 2020). S’il est possible de tirer une leçon du contexte de pandémie, de la réappropriation du monde virtuel par les victimes et des dénonciations anonymes de l’été 2020, c’est que le démantèlement de la culture du viol est un effort collectif et que chaque bris de silence nous rapproche du but.

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