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Lettre ouverte • Big Brother apprend le français inclusif

16 février 2021
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En réponse au texte critiquant l’écriture inclusive « Le genre noble et la novlangue » de Raphaël Guérard, étudiant au baccalauréat en sciences économiques à l'Université de Montréal, publié dans le Journal de Montréal le 25 janvier 2021, notre vice-présidente et consultante linguistique Magali Guilbault Fitzbay a formulé le présent texte. L’ayant soumis au Journal de Montréal, à TVA Nouvelles, à La Presse ainsi qu’au Devoir sans toutefois recevoir d’intérêt de leur part, nous le publions sur notre plateforme.

 

Remise en contexte de la novlangue

- « Cette minorité travestit la langue française en une novlangue, une langue qui dénature la réalité. »

Dans 1984 de George Orwell, la novlangue apparaît comme un outil de censure et d’abrutissement auprès de la population. Une comparaison de la novlangue avec l’écriture inclusive, comme dans le texte de Raphaël Guérard, apparaît complètement indésirable et inadéquat. Ce qu’on nomme aujourd’hui « écriture inclusive » serait plutôt l’opposé de la novlangue : elle propose la création de mots, motivée par une réflexion sur la langue et ses enjeux de genre, et non un contrôle sur la langue, motivé par un régime autoritaire voire totalitaire, comme l’ont étudié Orwell, mais aussi Klemperer et Arendt. 

« Nous détruisons chaque jour des mots, des vingtaines de mots, des centaines de mots. (…) Ne voyez-vous pas que le véritable but du novlangue est de restreindre les limites de la pensée? » (1984, George Orwell)

Avancer que « [l]es non binaires » sont derrière cette pratique et que ces personnes « imposent leur norme à la société » expose une piètre compréhension historique, identitaire et sociale. D’une part, les premières personnes à proposer la féminisation (une des techniques de l’écriture inclusive) sont des femmes, principalement en réaction à l’absence de termes pour refléter leur statut professionnel (Cerquiglini, 2018). D’autre part, faut-il rappeler que les avancées sociales sont toujours portées par les personnes concernées avant de concerner la société : ce sont les esclaves, qui souhaitaient s’affranchir, qui ont changé la norme de la société dans la reconnaissance de leurs droits. 

Une bonne compréhension

- « La hiérarchie des genres n’existe pas dans la langue française. Bien entendu, il existe des individus qui croient en une hiérarchie des genres, mais la langue française n’est pas conçue ainsi. »

La langue française est une langue genrée. La hiérarchisation des genres reflète l’histoire du monde où l’homme s’est toujours imposé comme le « sexe fort », ce qui s’est transmis dans le genre grammatical masculin.

C’est entre autres ce qui invalide le discours selon lequel il faudrait différencier le genre grammatical et le genre en français puisqu’ils ne seraient pas reliés. Au contraire, la supériorité de l’homme n’est pas sans influence sur le genre grammatical masculin.

- « Si l’individu formule ‘‘ils/elles marchent’’, il se rapporte au genre masculin et au genre féminin. Toutefois, s’il utilise la formulation ‘‘ils marchent’’, il rassemble toutes les personnes qui marchent et il abonde dans le même sens que la première formulation ‘‘il pleut’’, mais avec un sujet logique, car le référent est concret. »

Au sujet du il explétif (ou impersonnel) (comme dans « il pleut »), il ne constitue pas un sujet logique, en effet. Toutefois, il est important de spécifier qu’il ne relève pas d’un genre et ne peut donc pas constituer un « genre noble ». Il est un pronom impersonnel, par opposition aux pronoms personnels (je, tu, il, elle, nous, vous, ils, elles) et par opposition au pronom indéfini on. Si en anglais on retrouve effectivement un troisième genre (le it dans « It rains » joue effectivement le rôle d’un pronom neutre), ce n’est pas le cas du pronom impersonnel français il dont il est question ici. Le français ne possède malheureusement ni genre neutre ni pronom neutre (« on » est dérivé de « homme »).

Une mésinformation

- « Or, la langue française est composée de deux genres, le masculin et le féminin, et possède un genre noble, qui n’est ni masculin ni féminin et qui est employé dans des phrases ou avec des verbes sémantiquement faibles. »

Quittons le pronom pour le verbe. Les verbes utilisés dans des phrases impersonnelles (comme données en exemple par l’auteur) sont des verbes ne nécessitant pas d’agent : personne ne pleut, neige ou faut. Et non, ce ne sont pas des « verbes sémantiquement faibles ». Fortement théorisés par la linguiste Claire Blanche-Benveniste, les verbes sémantiquement faibles (croire, penser, trouver, etc.) ne sont pas du tout ce que présente Raphaël Guérard (Blanche-Benveniste, C. et Willems, D., 2016).

Du « genre noble »

- « Certain[.e.]s enseignant[.e.]s simplifient le genre noble en disant que ‘‘le masculin l’emporte sur le féminin. Évidemment, il serait complexe d’enseigner à un[.e] élève la subtilité du genre noble, alors que les mots employés sont similaires et que leur signification dépend du contexte. »

La terminologie du « genre noble » en français provient principalement de l’œuvre de deux grammairiens : Vaugelas (« Le genre masculin étant le plus noble doit prédominer toutes les fois que le masculin et le féminin se retrouvent ensemble. ») et Beauzée (« le genre masculin est réputé plus noble que le féminin, à cause de la supériorité du mâle sur la femelle. »), respectivement du XVIIe et du XVIIIe siècles. Absolument rien de linguistique ne justifie cette noblesse et cette supériorité accordées au genre masculin. 

Mon genre c'est mon genre ce n'est pas le tien

- « Elles nous disaient auparavant que seul[.e.]s ceux [et celles] qui désirent utiliser l’écriture inclusive en feraient l’usage, mais ce libre-choix s’est transformé en obligation dans les communications des universités, des journaux universitaires, des organismes, etc. »

Je tiens à terminer avec le fait que l’écriture inclusive est un vaste concept, possible par diverses techniques qui diffèrent grandement entre elles. Le fait que des universités et des organismes, pour une grande part autonomes et apartisanes ont fait le choix personnel de l’adopter ne prouve en nul point qu’il y ait là obligation.

Pour la recension d'outils sur l’écriture inclusive, cliquez ici.

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Références
écriture inclusive, inclusivité, genre noble, Raphaël Guérard, non binaire, hiérarchie des genres, français

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