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Bilan • L’affaire Pornhub : quand un géant de la pornographie rend des comptes

1 mars 2021
Kelly Asselin-Tousignant
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À l’ère numérique où le contenu pour adultes est à quelques clics de notre jouissance érotique, qu'en est-il de la responsabilité des plateformes en ligne quant au contenu qu’on peut trouver sur leur site? Pornhub, un géant de la pornographie en ligne, se retrouve dans la mire depuis plusieurs mois en raison des allégations de vidéos illégales téléversées sur sa plateforme. Des questions de responsabilité se posent devant l'ampleur du problème.

Des scènes illégales hébergées en ligne

Pornhub est une plateforme de publication de vidéos pour adultes en ligne gérée par le géant MindGeek, ce dernier officiellement installé au Luxembourg, mais dont les bureaux se trouvent en majorité à Montréal (MindGeek, 2021; Reynolds, 2021). MindGeek est également propriétaire de nombreux autres sites pornographiques populaires, dont RedTube et YouPorn (Akhtar, 2020). Le site pornographique Pornhub est hautement fréquenté, ayant enregistré, selon Pornhub, plus de 42 milliards de visites sur son site en 2019 seulement (Pornhub, 2019). 

Au cours des derniers mois, des problématiques liées au contenu hébergé sur Pornhub ont été mises en lumière. Le géant profiterait financièrement d'innombrables vidéos illégales. Des vidéos qui se sont retrouvées sur le site incluent du contenu mettant en scène des mineur.e.s, des scènes de viols ou d’abus, ou des scènes dont l'un.e ou plusieurs des participant.e.s n'ont pas consenti à la publication publique (Kristof, 2020). 

Effectivement, les politiques très larges de téléchargement du site Web permettaient aux personnes dont le profil et le contenu n’étaient pas vérifiés de publier des vidéos sur le site. Ces personnes, de même que Pornhub, pouvaient profiter financièrement du téléchargement de ces vidéos illégales à travers les abonnements et les publicités (Dion, 2021), bien que ce fait ait été nié par l’entreprise. 

Bien que les critiques envers le site populaire de MindGeek se multipliaient depuis des lustres, un article du New York Times fut la goutte qui fit déborder le vase. Le reportage a éclairé les problématiques liées au contenu mis en ligne par des comptes non vérifiés ainsi que les possibilités de téléchargement des vidéos directement à partir du site, rendant la suppression permanente de contenu quasiment impossible (Kristof, 2020). Ce même article a clarifié que le site avait sa part de responsabilité en facilitant l'accès et la propagation de contenu problématique d’exploitation sexuelle et de revenge porn.

Quelques changements

En décembre, en pleine polémique concernant les activités de la plateforme, de nombreux changements ont suivi le fameux article du New York Times pour rectifier la situation. Plusieurs compagnies ont décidé de couper leurs liens financiers avec Pornhub. 

Des compagnies de carte de crédit, dont Discover, Mastercard et Visa (Goodwin, 2020; Radio-Canada, 2020), ont cessé de traiter les paiements sur Pornhub jusqu’à nouvel ordre. Plus spécifiquement, la compagnie de carte de crédit Mastercard a décidé de suspendre ses activités suite à une enquête. La compagnie Visa, quant à elle, a décidé de ne plus gérer les paiements passant par le site le temps de mener à bien sa propre recherche sur les activités de Pornhub (Radio-Canada, 2020).

Quelques jours suivant la distanciation de ses partenaires de crédit quant à ses activités, Pornhub a finalement pris ses propres décisions afin de contrer l’exploitation sexuelle sur sa plateforme. Une mise à jour de ses politiques a mené à la suppression de plus de la moitié du contenu de son site, soit l’entièreté du contenu téléchargé par des entités dont le profil n’avait pas été vérifié (Bera, 2020; La Presse canadienne, 2020). 

De plus, dans le but de limiter la propagation des vidéos, il est devenu impossible de télécharger des médias directement à partir de Pornhub (Bera, 2020). Le contenu ne peut donc maintenant qu’être visionné en continu sur le site (Radio-Canada, 2020).

Rendre des comptes

Cependant, le retrait d’une majorité des vidéos hébergées sur Pornhub dans le but de prévenir que sa réputation ne s'envenime encore plus n’invalide en rien les difficultés encourues par les victimes d’exploitation sexuelle et de revenge porn dont la vie a déjà été affectée par le téléchargement et le partage de vidéos sur la plateforme pour adultes. 

Dans le but de forcer MindGeek à rendre des comptes, une action collective a été présentée par des résident.e.s du Québec et de l'Ontario devant la Cour supérieure du Québec contre l’entité mère du site Pornhub. Selon la firme d’avocats Siskinds Desmeules ayant intenté, en collaboration avec Sotos Class Actions, l’action collective contre la société, l’action collective accuse MindGeek « d’avoir diffusé des représentations d’abus sexuels sur des enfants, des agressions sexuelles d’adultes, ainsi que des images intimes d’adultes qui n’ont pas consenti à la diffusion publique de leurs images » (Siskinds Desmeules, 2021). L’action collective vise à apporter une indemnisation à toute personne dont des médias ont été illégalement diffusés sur le site Pornhub depuis 2007 (Siskinds Desmeules, 2021). Cette action collective s’ajoute à une poursuite dont fait l’objet MindGeek par quarante femmes en Californie pour des raisons d’exploitation sexuelle (Ouellette-Vézina, 2021).

Bien que l’entreprise ait entrepris des démarches pour responsabiliser son contenu suivant directement le retrait financier des compagnies de carte de crédit durant les derniers mois, MindGeek a tout de même dû comparaître devant le comité de l’éthique de la Chambre des communes au début du mois de février (La Presse canadienne, 2021). 

De nombreuses personnes ayant souffert de la publication de contenu les mettant en scène sur la plateforme ont comparu devant le comité pour faire valoir leurs expériences et leurs traumatismes en lien avec la diffusion non consentie d’images intimes, de viols ou d’abus sexuels, incluant des images publiées lorsque les participant.e.s étaient encore mineur.e.s (La Presse canadienne, 2021). 

Cette démarche devant le comité vise à amplifier la voix des personnes dont la vie a été affectée par le partage de vidéos sur le site, incluant des victimes de revenge porn et d’exploitation sexuelle, afin de plaider à des règles plus strictes entourant la diffusion d’images intimes (Reynolds, 2021).

La société de Mindgeek, quant à elle, maintient que malgré les changements apportés à ses politiques, elle continue d’être ciblée par le militantisme stigmatisant la pornographie et le travail du sexe (Caruso-Moro, 2021). Le directeur des opérations de MindGeek, David Tassillo, affirme que Pornhub est « l’endroit le plus sécuritaire présentement pour consommer du contenu pour adultes » (Dion, 2021). À qui donc la responsabilité de ce contenu illégal diffusé sur Pornhub?

Conclusion

Cette chaîne d'évènements amène à se questionner sur la responsabilité des plateformes en ligne quant au contenu qu’elles logent sur leur site : non seulement la valeur criminelle déterminée en cour, mais la responsabilité de prioriser le consentement et le bien-être intime sur les plateformes Web. Pour citer la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, sur la responsabilité des plateformes en ligne, ce qui est illégal hors ligne devrait être illégal en ligne également (Carbonaro, 2020). Le pouvoir découlant du trafic élevé du site Pornhub s’accompagne de responsabilités quant au contenu hébergé sur la plateforme. 

L’enjeu ne relève pas de la pornographie et du travail du sexe, mais bien du viol et de l’exploitation sexuelle des adultes non consentant.e.s et des mineur.e.s. Ce n’est guère la pornographie qui est en jeu, mais bien la responsabilité de MindGeek dans l’affaire. Il est légitime de s’attendre à ce qu’une entreprise ayant un tel impact sur la pornographie en ligne fasse ce qui est en son pouvoir pour interdire les contenus illégaux sur sa plateforme et ne promeuve pas leur partage.

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Références
MindGeek, Pornhub, crime sexuel, pornographie juvénile, consentement, abus sexuel, Montréal, action collective

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