Les marécages de l’utopie (couverture) – Photo modifiée par Les 3 sex* – Utilisation équitable

Roman • Marécages de l’utopie

30 avril 2021
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Après Les argonautes de Maggie Nelson (Triptyque) et For today I am a boy de Kim Fu (Héliotrope), le traducteur Jeannot Clair introduit dans le milieu littéraire québécois une traduction inédite de Sludge Utopia de Catherine Fatima, sous le titre Marécages de l’utopie, publiée chez Héliotrope au début de l’année. Si l’autrice entame à ce jour une maîtrise en traduction à l’Université Concordia, c’est toutefois durant ses études littéraires à Toronto, ville où elle a grandi, qu’elle se lance le défi de consigner toutes ses pensées les plus intimes dans un journal épars qu’elle transformera plus tard en un roman touffu, une « autofiction sur la névrose et la hornyness¹ ».

On suit la narratrice dans le milieu académique à Toronto, dans la vie communautaire avec une bande de communistes à Paris, dans une école de langue à Tours, en visite chez sa famille aux Açores, et en relation amoureuse à Toronto. Au fil des pages, elle raconte ses rencontres sexuelles, ses désirs et ses fantasmes, mais elle décortique de multiples formes de relations platoniques : relations académiques, relations amicales, relations familiales... Ajoutez à cela une prose réflexive, introspective – qui n’hésite pas à aborder des enjeux de santé mentale comme la bipolarité et la dépression –, remplie de phrases incomplètes, de sauts d’idées, d’exclamations en majuscule et, parsemée ici et là, de nombreuses perles de pensée sur l’amour et la sexualité : « Cette chaleur spéciale, je n’arrêterai jamais de la ressentir envers ceux envers qui j’ai été nue, qui ont partagé avec moi une certaine vulnérabilité, et sont arrivés en ma présence à des conclusions impossibles sans moi » (p. 119; je souligne). Pour Catherine Fatima, le privé est politique; elle a de « grandes idées d’intimité publique » (p. 130), où tout est discutable, et Marécages de l’utopie est le substrat de ce dévoilement dans l’espace social. Écriture de la vie en direct, histoires de sexe, géographie internationale : ce roman n’est pas sans rappeler le projet des Carnets de l’underground de Gabriel Cholette

En ouverture, Catherine Fatima pose la question d’une éthique du désir : « Mes désirs constituent un système éthique, non? Si je désire une chose, c’est que je la considère juste » (p. 7). Si l’éthique du désir habite le texte, sous-jacente à toutes les relations décrites dans le livre, elle n’est de nouveau examinée qu’à la toute fin du roman : « Quand je me masturbe, mes pensées ne sont pas “amicales et amusantes”. Je me masturbe en pensant à des dérapages, des malaises. [...] Je peux venir en pensant à quelque chose d'un peu dégueulasse - à n'importe quoi en fait, hors le partage parfaitement équilibré des caresses » (p. 282). Cette question de la continuité entre le « désir sexuel » et « l’intention politique » est l’une des plus intrigantes de l'œuvre – c’est d’ailleurs la citation sur la quatrième de couverture –, mais le lectorat peut se trouver déçu de ne pas la voir traiter plus explicitement. Une approche BDSM de la question aurait peut-être permis de dénouer le nœud d’une sexualité incluant des jeux autour de la domination et de la soumission, avec « des dérapages, des malaises » (p. 282), tout en demeurant consensuel.

Dans tous les cas, il y a, dans l’écriture de Catherine Fatima, une dimension presque miraculeuse : j’ai retrouvé dans les expériences et les pensées intimes d’une subjectivité aussi singulière, des idées que je me souviens avoir écrites dans mon propre journal. Ce serait peut-être là la preuve de ce qu’avance Catherine Fatima avec Marécages de l’utopie, à savoir que « peu de choses [lui] semblent privées [...] » (p. 18) et que l’intimité est peut-être davantage une affaire intersubjective.

¹ Éditions Héliotrope (2021, 3 mars). Causerie autour du roman Marécages de l’utopie de Catherine Fatima, en ligne.

Référence

Auteur.e : Catherine Fatima
Titre : Marécages de l’utopie
Date de parution : 8 février 2021
Maison d’édition : Héliotrope

Ce livre est disponible en version papier et en version numérique à la Grande bibliothèque (BAnQ). Il est également possible de se le procurer en librairie au coût de 25,95 $. 

roman, journal intime, autofiction, désir sexuel, éthique, dépression, intimité, introspection