Une guerre contre les femmes (couverture) – Photo modifiée par Les 3 sex* – Utilisation équitable

Essai • Une guerre mondiale contre les femmes

8 mai 2021
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Silvia Federici est une militante féministe et professeure émérite à l’Université Hofsra à New York. Depuis plus de 40 ans, elle analyse les mouvements de répression, les violences et les agressions à l’endroit des femmes. De la chasse aux sorcières durant le Moyen Âge aux féminicides à Ciudad Juarez, en passant par les accusations de sorcellerie en Afrique et les mouvements de solidarité féminine, Federici critique, dénonce et tente de mieux comprendre ces phénomènes qui, loin d’être révolus, se multiplient à travers le monde. En trame de fond : des violences intersectionnelles qui trouvent souvent leurs racines dans le capitalisme. 

Une guerre mondiale contre les femmes : des chasses aux sorcières au féminicide revient sur plusieurs des textes de Federici, publiés dans les dernières années. Le résultat est un condensé réflexif qui nous plonge dans l’histoire des violences à l’égard des femmes, d’hier à aujourd’hui. 

Pour Federici, les liens entre accusations de sorcellerie et capitalisme sont évidents : les chasses aux sorcières du XIXe et XVe siècles trouvent leur origine dans le phénomène d’enclosure¹ et de privatisation des terres. En effet, Federici explique que les chasses aux sorcières avaient principalement lieu dans des milieux essentiellement ruraux et ciblaient les femmes ayant perdu leurs droits coutumiers. Beaucoup des « sorcières » étaient ainsi pauvres et le Diable, selon l’argumentaire des tortionnaires, utilisait leur pauvreté à des fins de promesse de richesse. Ces « sorcières » étaient celles qui résistaient à la paupérisation et refusaient l’exclusion sociale engendrée par le développement capitaliste de l’Europe. Ainsi, pour Federici, on ne peut comprendre le phénomène des chasses aux sorcières sans ancrer le phénomène dans les enjeux de classes. Pourquoi les femmes en particulier? Parce que « la restructuration de l’Europe rurale à l’aube du capitalisme détruisait leurs moyens de subsistance et les fondements de leur pouvoir social » (p. 40). De plus, la sexualité des femmes était au cœur des dénonciations : elle était vue comme une menace sociale au développement économique si elle n’était pas canalisée et reléguée au domaine conjugal et matrimonial. La sexualité des femmes était alors conçue comme un élément surnaturel, sujette à la sorcellerie, pouvant engendrer des « comportements obscènes » et « ensorceler » les hommes. 

Pour Federici, il s’avère dangereux de confiner les chasses aux sorcières à un évènement historique révolu. En effet, des chasses aux sorcières ont émergé dans les dernières années un peu partout dans le monde, et particulièrement en Afrique. À nouveau, elles ont fréquemment lieu dans des régions où des projets commerciaux ont été élaborés et où plusieurs femmes vivent de l’exploitation de petits terrains. Les chasses aux sorcières sont ainsi utilisées afin de justifier l’expropriation et la pénurie des terres. Elles visent les coépouses dans les pays autorisant la polygamie (dont les maris peinent à répondre à leurs besoins), les commerçantes dans les marchés, les femmes âgées qui « volent » des emplois aux plus jeunes… Entre 1991 et 2001, on dénombre au moins 23 000 « sorcières » assassinées en Afrique (p. 91). 

Du Moyen-Âge à aujourd’hui, ces féminicides n’ont jamais cessé. Pire encore, elles se multiplient face au capitalisme violent qui gangrène les sociétés. Avec Une guerre mondiale contre les femmes : des chasses aux sorcières au féminicide, Federici nous offre un bref aperçu des enjeux et conséquences de ces mouvements meurtriers à travers le monde et l’histoire. Elle en appelle à une véritable révolution, revendiquant une prise de conscience sociale et des mouvements de solidarité et de sororité. 

La lecture de l’ouvrage permet de mieux comprendre le phénomène des chasses aux sorcières et de l’ancrer dans l’époque contemporaine. On en aurait tout simplement peut-être espéré plus… Plusieurs concepts et idées avancés par Federici ne sont qu’effleurés et les liens tangibles entre sexisme et classisme auraient pu être davantage explicités. Dans tous les cas, on termine la lecture avec un désir profond de découvrir la littérature de Federici et de mieux comprendre le phénomène. C’était peut-être l’objectif, après tout.

¹ Federici définit l’enclosure en tant que « phénomène par lequel les propriétaires terrien.nes et les paysan.nes aisé.es d’Angleterre ont enclos les communaux, les terres cultivées collectivement, mettant ainsi fin aux droits coutumiers et expulsant la population de fermiers et fermières qui dépendaient d’eux pour leur survie » (Federici, 2021 : 28).

Référence 

Autrice : Silvia Federici
Titre : Une guerre mondiale contre les femmes : des chasses aux sorcières au féminicide
Date de parution : 22 mars 2021
Maison d’édition : les éditions du remue-ménage

Ce livre est disponible en version papier à la Grande bibliothèque (BAnQ). Il est également possible de se le procurer en librairie au coût de 18,95 $.

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