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Témoignage • Harcèlement sexuel au travail : la peur de crier au loup

27 avril 2017
Sophie D. Morin
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Les témoignages sont des textes produits par des personnes ne provenant pas obligatoirement des disciplines sexologiques ou connexes. Ces textes présentent des émotions, des perceptions et sont donc hautement subjectifs. Les opinions exprimées dans les témoignages n'engagent que leurs auteur.e.s et ne représentent en aucun cas les positions de l'organisme.

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Pour être honnête avec vous, j’ai hésité longtemps à signer mon nom sur ce témoignage. J’ai eu peur de me faire dire que je l’avais cherché. J’ai eu peur de passer pour une hystérique qui fait tout un plat avec un rien, ou plutôt, avec un « compliment ». En effet, selon la croyance populaire, lorsqu’une femme se fait séduire véhément, elle doit le prendre comme un compliment. Elle doit sourire et se dire qu’elle est « chanceuse » de faire tourner les têtes. Ma réaction face à ces règles de conduite : bullshit. Je peux bien réagir comme bon me semble, indépendamment des intentions de mon interlocuteur. En plus, que se passe-t-il lorsque cette séduction est non désirée, malaisante et, parfois même, anxiogène? Que faire lorsque cette séduction persistante se déroule sur mon lieu de travail?

Après réflexion, je n’ai pas envie de me cacher, puisque je considère que j’ai eu raison de porter plainte pour harcèlement sexuel sur mon lieu de travail.

Avant que je change de poste au sein de la compagnie, un homme bien gentil me saluait en souriant lorsque je passais devant son département. C’était inoffensif et apprécié. Je lui renvoyais son bonjour et son sourire.

Il y a quelques mois, j’ai changé de département à mon travail. À partir de ce moment, ce même homme venait me voir simplement pour me parler. Je trouvais qu’il avait un regard insistant. Cependant, je me disais qu’il n’y avait pas de quoi paniquer et qu’il devait être comme ça avec tout le monde. Je l’avoue, au début, je l’ai pris comme un compliment. Ayant une piètre estime de moi, je prends généralement tout ce que les gens me donnent pour améliorer temporairement l'image que j'ai de moi-même.

J’ai peur que les gens trouvent que je l’ai cherché, sous prétexte que je n’ai pas essayé de mettre fin à la situation dès le début.

Avec le temps, cet homme venait me voir de plus en plus souvent, parfois même plusieurs fois par quart de travail. Il venait souvent lorsque j’étais seule. Une fois, pendant que je servais un client, il est venu me demander si je voulais aller prendre un verre avec lui. Mal à l’aise face à la situation, je n’ai pas su quoi lui répondre. J’ai ri nerveusement. Cela m’avait mise dans une position vraiment inconfortable, surtout devant mon client, que j’ai continué à servir.

Plus tard lors de cette journée, il est revenu me voir lorsque j’étais seule. Il s’est approché de moi et m’a redemandé si je voulais sortir avec lui. Encore une fois, très mal à l’aise, j’ai souri et j’ai refusé son invitation en expliquant que j’avais un conjoint dont j’étais très amoureuse. Il a semblé très déçu et m’a dit qu’on pouvait quand même aller prendre un verre. Il m’a donné des compliments et m’a pris la main pas très longtemps, mais assez pour me la caresser. Embarrassée, je me suis trouvé une excuse pour quitter cette situation.

Les semaines suivantes, il a continué à venir me voir et à me parler. C’était surtout son regard qui me rendait très mal à l’aise. C’était un regard séducteur et insistant. Malgré mon refus et mon embarras évident, il a continué. J’ai commencé à éviter de passer devant son département.

Avant de rentrer à mon travail, je me sentais anxieuse. J’évitais de me retrouver toute seule afin de me sentir moins vulnérable.

Un soir, il m’a dit que c’était son dernier chiffre à la compagnie. J’étais vraiment soulagée. Il est venu me voir à la fin de son quart de travail. Il est venu derrière mon comptoir, ma dernière barrière. Il voulait me donner la bise. Pour m’en sauver, je lui ai dit plutôt de revenir me voir juste avant qu’il parte à la fin de son chiffre. Il a obtempéré. À ce moment, mon autre collègue de travail est parti en pause. Ce fut un très long 15 minutes. J’étais terrifiée à l’idée qu’il revienne me voir alors que j'étais toute seule. Je savais qu’il n’allait rien faire de grave, on s’entend, mais je n’avais VRAIMENT, VRAIMENT pas envie de gérer ça.

Avant le retour de l’homme, mon collègue est revenu de pause. Il a bien vu que quelque chose n’allait pas. Je lui ai expliqué la situation rapidement, avant d’aller moi-même en pause. Je voulais éviter de croiser l’homme insistant.

Pendant ma pause, j’ai mangé dans le vestiaire des femmes. Oui. Le vestiaire.

Tout ça pour éviter qu’il me trouve.

À mon retour, mon collègue m’a dit que l’homme était venu au département pour savoir où j’étais. Il m’a dit qu’il lui avait menti, en disant que j’étais partie aux toilettes. Selon mon collègue, l’homme a fait le tour du magasin plusieurs fois pour me retrouver. Par la suite, il a quitté les lieux. J’ai remercié profusément mon collègue de son mensonge et de son soutien.

Néanmoins, j’étais soulagée de ne plus jamais revoir cet homme… Jusqu’à ce que je le recroise deux mois plus tard, à mon travail. J’étais en train de servir un client. Lorsque je me suis retournée, il était là. Très surprise, je lui ai dit bonjour. Je lui ai demandé pourquoi il était ici. Il m’a dit qu’il avait recommencé à travailler les jeudis. Ainsi, nous ne sommes jamais revu.e.s puisque je ne rentrais pas au travail les jeudis normalement. Malheureusement, il avait encore son regard insistant, qui me rendait profondément mal à l’aise. Ma tactique pour me sortir de cette situation, sans pouvoir quitter les lieux : l’ignorer.

Lorsqu’il est parti, je suis allé voir mon assistante-gérante. Je lui ai expliqué la situation. Très compréhensive, elle m’a conseillé fortement d’aller en discuter immédiatement avec le gérant de la compagnie. Ainsi, je suis allée cogner au bureau du gérant, un peu nerveuse : je ne le connaissais pas tellement. J’avais des appréhensions quant à sa potentielle réaction. J’avais peur de me faire dire que je l’avais cherché. J’avais peur de passer pour une hystérique qui a fait tout un plat avec un rien, ou plutôt un « compliment ».

En toute honnêteté, j’écris particulièrement ce témoignage afin de vous partager la réaction formidable de mon gérant, mais aussi de toute la direction. Durant cette rencontre, il a été très compréhensif. Il a été choqué de la situation et a reproché vivement les comportements de l’employé insistant. Il n’y a pas eu de questions quant à savoir si j’avais provoqué ou encouragé la situation. Mon gérant m’a rapidement rassurée qu’il prenait la situation en main à l’instant même et de ne pas m’inquiéter. Il m’a dit que le harcèlement, c’était tolérance zéro. Il a garanti qu’il allait mettre au courant le supérieur de cet employé afin que cela ne se reproduise plus. Il m’a aussi demandé de revenir le voir si jamais l’homme insistant recommençait. Si c’était le cas, il m’a certifié qu’il le congédierait sur-le-champ.

J’ai quitté le bureau du gérant, plus légère. Je me suis sentie entre de bonnes mains. À peine une heure plus tard, le supérieur en question est venu me voir à mon département pour me dire que mon gérant l’avait mis au fait de la situation. Il a réitéré que le harcèlement au travail n’était pas toléré. Il m’a rassurée en me disant que l’homme serait rencontré très rapidement. La gérante de mon département est aussi venue me voir pour me rassurer.

Cette collaboration parmi les membres de la direction m’a beaucoup réconfortée. J’étais contente d'avoir été prise au sérieux, alors que moi-même, j’avais craint de faire une tempête dans un verre d’eau. Je peux vous rassurer en vous disant que l’homme en question n’est jamais revenu me voir. Je suis soulagée de pouvoir venir travailler sans appréhender une situation anxiogène.

Je veux terminer mon témoignage en encourageant les femmes ou les hommes victimes de harcèlement sexuel au travail à dévoiler la situation. Je sais que ça peut faire peur de dénoncer, puisque l’on peut craindre la réaction de nos collègues ou de nos supérieur.e.s. Cependant, si on ne fait rien, la situation risque de persister ou même de s’aggraver. Je crois qu’il faut prendre cette chance, parce que les bénéfices potentiels en valent la peine, surtout lorsqu’on est bien accueilli.e et pris.e en charge par nos supérieur.e.s, comme je l’ai vécu. Je souhaite sincèrement que mon témoignage incitera d’autres compagnies à gérer une plainte d’harcèlement sexuel comme l’a fait mon milieu de travail. Je ne peux que faire l’éloge des mesures qui ont été mises en place.

Peu importe la situation, une plainte d’harcèlement sexuel
au travail n’est JAMAIS une tempête dans un verre d’eau.

emploi, dénoncer, marché du travail, inconfort, employé

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