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Témoignage • Présumé hétéro jusqu'à preuve du contraire

10 avril 2017
Maude Carmel
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Les témoignages sont des textes produits par des personnes ne provenant pas obligatoirement des disciplines sexologiques ou connexes. Ces textes présentent des émotions, des perceptions et sont donc hautement subjectifs. Les opinions exprimées dans les témoignages n'engagent que leurs auteur.e.s et ne représentent en aucun cas les positions de l'organisme.

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Je ne crois pas être folle lorsque je dis que la non-hétérosexualité gagne en aisance dans la population québécoise. En plus des organismes qui opèrent activement pour sensibiliser la population contre l’homophobie, j’observe que le paysage télévisuel québécois incorpore de plus en plus des personnages aux orientations sexuelles diverses, et ce, avec une très grande fluidité, sans que celles-ci soient au premier plan. On n’a qu’à penser aux personnages de Magalie et Olivier dans Nouvelle Adresse, de Flavie dans Mémoires vives, ou même à plus d’une de ces femmes dans Unité 9.

Toutefois, à force d’entendre des phrases comme : « C’est sur que cette personne-là est gaie. J’ai tellement hâte qu’elle fasse son coming out! », en parlant d’une personne qui s’affiche pleinement hétérosexuelle, j’ai commencé à douter. L’acceptation de son homosexualité serait-elle aussi tolérable qu’on ose le croire? Même si j’ai la perception que la société a parfois tendance à mélanger expression de genre et orientation sexuelle, il se peut que cette supposition soit vraie dans certains cas. Toutefois, est-ce que ce fameux coming out se fera vraiment un jour?

Pour avoir connu des gens qui vivaient encore leur homosexualité dans la totale pénombre, la réponse à cette question semble être : pas nécessairement. Bien que nous ne choisissons pas notre orientation sexuelle, ces personnes avaient possiblement choisi de ne pas l’accepter. J’ose croire que pour elles, la douleur d’une perspective de vie homosexuelle est plus dramatique que celle d’un refoulement éternel.

En tant qu’hétérosexuelle ouverte d’esprit mais un peu naïve en ce qui concerne les difficultés identitaires que la communauté LGBTQIA (lesbienne, gai, bisexuel.le, transgenre, queer, intersexes, asexuel.le.s) peut éprouver, je trouvais difficile de comprendre pourquoi certain.e.s restaient aussi longtemps dans le déni. Je pensais réellement que l’homosexualité de nos jours était très bien acceptée.

« Bonne blague » - que je viens d’entendre du fin fond du village gai.

Alors, puisque je ne dois pas être la seule à me trouver dans la catégorie « candide aux bonnes intentions », j’ai investigué sur ces questionnements à l’aide de témoignages d’Arthur, Francis, Raphaëlle et Mathilde, des vingtenaires de la communauté LGBTQIA. Certains noms ont été changés par souci d’anonymat. Mon but étant de mieux saisir les différents obstacles qui mènent à une entière acceptation, je me suis aussi entretenue avec les organismes Gris et Gai Écoute.

La première question sur laquelle j’ai investigué peut sembler un peu triviale, mais elle me semblait inévitable : qu’est-ce qui empêche une personne homosexuelle ou bisexuelle d’être aussi limpide dans l’expression de sa sexualité qu’une personne hétérosexuelle?

« On vit dans une société où l’on prépare les gens à être hétérosexuels. Alors, quand le contraire arrive, ça peut être un choc, et l’individu peut éprouver un désir de changer », explique Marie Houzeau, directrice de l’organisme Le Gris.

Effectivement, que ce soit pour Francis et Arthur, 22 ans, ou Raphaëlle, 24 ans, l’homosexualité semble avoir été associée à un poids lourd à porter, qu’ils et elle ont cherché à alléger en restant collé.e.s le plus longtemps possible à une perspective d’hétéronormativité.

« C’est con, mais quand j’ai commencé à vraiment ressentir une attirance envers les gars, je pensais que c’était temporaire. J’espérais que ce soit temporaire », explique Francis, qui entretenait encore des relations avec des filles il y a à peine 4 ans.

Parmi les obstacles qui mènent à l’acceptation, Mireille Saint-Pierre, coordonnatrice des services chez Gai Écoute, mentionne celui de la religion : « Certains dogmes religieux interdisent carrément l’homosexualité. Alors c’est certain que c’est plus difficile pour un individu de s’accepter lorsqu’il a été élevé selon ces dogmes. » Raphaëlle, dont le père est très chrétien, en sait quelque chose : « Non seulement chez moi la sexualité était taboue, mais je trouvais aussi illogique d’être attirée par les filles, puisque j’avais toujours appris que l’humain était uniquement fait pour se reproduire. »

Même pour Arthur, qui n’a pas grandi au sein de valeurs chrétiennes, c’est l’abandon de l’idée de la famille traditionnelle qui semblait être un obstacle à son entière acceptation. « Quand je me rendais chez mon premier chum les premières semaines, j’étais vraiment en amour, mais j’avais presque envie de rebrousser chemin. Je me disais que je ne voulais pas ça, moi. Je voulais une femme et des enfants », confie le jeune homme qui a découvert son homosexualité vers l’âge de 10 ans, mais qui n’a commencé qu’à l’accepter 10 ans plus tard.

Même si j’observe la prévalence de périodes de déni dans l’acceptation de l’orientation, je remarque surtout que tous les coming out sont différents. Mathilde, 25 ans, a quant à elle pu le vivre d’une façon plus fluide, mais non sans éviter les conséquences de l’hétérocentrisme : « Moi, ce n’était pas du refoulement, mais je n’avais même pas pensé que j’aurais pu être lesbienne. Je voyais des gars sans me poser de questions, mais sans jamais être satisfaite. C’est seulement à 22 ans, quand une fille m’a embrassée, que j’ai découvert que j’aimais peut-être plus les filles, en fait. »

« Tout le monde est présumé hétéro jusqu’à preuve du contraire », ajoute Marie Houzeau. « Lorsque quelqu’un fait son coming out, ce n’est pas pour qu’on lui mette l’étiquette d’homosexuel. C’est plutôt pour qu’on lui enlève son étiquette d’hétérosexuel. »

Une étiquette d’hétérosexuel. Voilà un concept auquel je n’avais jamais songé. Que l’on présume une orientation « traditionnelle » chez un individu jusqu’à ce qu’il nous prouve qu’il n’en est rien, c’est une notion que je trouve soudainement dissonante. Et je me questionne de plus belle : serait-ce pour justifier une orientation non normative que le coming out existe?

C’est du moins le cas pour Raphaëlle, qui s’impose l’explication de son homosexualité à chaque party de famille: « J'haïs ça faire mon coming out. Mais ce n’est pas toute ma famille qui sait que je suis aux filles, alors si je ne le fais pas, j’ai l’impression de mentir par omission. »

Par contre, il est de ces fois où certain.e.s devinent l’orientation d’un proche et l’acceptent même avant celui-ci ou celle-ci. C’est le cas d’Arthur : « Ce sont mes amis qui ont forcé mon coming out. Ils m’ont arrangé une “date” en me disant qu’ils avaient quelqu'un à me présenter, et moi, bel innocent, je me disais que dans le meilleur des cas, cette fille sera une bonne amie puisque je savais déjà secrètement que j’aimais les hommes. Finalement, ils ont été plus malins que moi, car c’est un garçon qu’on m’a présenté. J’ai été en couple avec lui pendant 4 ans après ça. »

Francis a lui aussi pu vivre cette ouverture d’esprit de la part de son entourage. Son père avait commencé l’acceptation de son homosexualité avant même qu’il fasse son coming out : « Quand je lui ai dit, je me suis rendu compte qu’il le savait déjà, puisqu’il suivait déjà une thérapie pour mieux accepter mon homosexualité! C’était vraiment un poids de moins ».

L’acceptation de l’entourage de mes témoignant.e.s avant même la leur est l’un des paramètres que j’ai trouvé le plus inspirant dans mon investigation.

Au-delà du malaise de porter à tort une étiquette d’hétérosexuel.le, le fait de se faire coller une étiquette d’homosexuel.le dès son coming out semble avoir été ardu pour certain.e.s de mes répondant.e.s : « Je ne voulais pas qu’on me catégorise en gai typique, en gai de service. Même aujourd’hui, ça m’énerve quand on me moule dans ce que je ne suis pas. Des filles viennent me parler de leurs cheveux, pensant que ça va m’intéresser parce que je suis gai, mais je m’en balance de leurs cheveux », met au clair Francis.

Quant à Arthur, cette angoisse de comparaison a été tellement forte qu’il a dû modifier son parcours scolaire : « Avant mon coming out, j’étais en théâtre au cégep. Dans ma cohorte, il y avait beaucoup de gais très, très assumés et ça m’a fait capoter de voir du monde qui s'assume autant. Je ne voulais pas ressembler à ça, alors j’ai lâché le programme pour aller en architecture. »

Raphaëlle explique qu’elle aussi, cette peur l’a longtemps habitée, redoutant d’être associée à LA lesbienne du groupe.

Une autre question me vient à l’esprit : « Y a-t-il des différences entre les sexes dans l’acceptation de l’homosexualité? »

« Même si les différences ne sont pas tranchées au couteau, le coming out peut se présenter de façons très différentes », démystifie Mireille Saint-Pierre. « Par exemple, la sexualité des femmes est moins prise au sérieux; leur coming out peut donc prendre plus de temps. Par contre, les hommes ont plus tendance à subir une homophobie directe et violente. » Effectivement, Mme Saint-Pierre ajoute que, même si l’affection entre femmes est visiblement plus acceptée en société que celle des hommes, voire plus fétichisée, on peut remarquer que la communauté lesbienne se fait davantage invisibiliser. Elle explique que la société a tendance à ne pas prendre la sexualité des femmes au sérieux, ce qui a pour conséquence de les laisser dans l’ombre : « Statistiquement, les femmes font moins leur coming out en milieu de travail, surtout envers leurs supérieur.e.s, car elles ont peur de subir une double discrimination. »

À la lumière de ces témoignages, je réalise qu’au-delà de l’ouverture d’esprit dont le Québec peut faire preuve, ce sont nos constructions sociales qui mènent à ces gestes d’homophobie au quotidien. Des petits gestes qui semblent inoffensifs, dont on ne se rend même plus compte, tant nos inconscients se fondent dans l’hétéronormativité dès notre naissance.

Ces éclaircissements m’ont donc fait cheminer vers des questionnements plus grands. La construction de genre serait-elle un des éléments à l’origine de l’homophobie ? Par exemple, est-ce que le fait d'attribuer des caractéristiques précises aux hommes et aux femmes à travers les siècles aurait fait rétrécir la capacité de nos esprits à accepter les différentes fluidités dans les orientations, les personnalités, les choix vestimentaires, sociaux, etc.?

Dans ce cas-là, peut-être que le coming out deviendra vraiment futile lorsque les exemples et illustrations de situations familiales et amoureuses montrés dès l’enfance pourront naturellement et sans questionnement être non hétérosexuels et peut-être même, non binaires.

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