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Obtenir un avortement au Texas : mission (quasi) impossible

1 septembre 2021
Andréanne Bissonnette, doctorante en science politique et chercheure en résidence à la Chaire Raoul-Dandurand, UQAM, collaboration spéciale
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Ce matin, les Texanes se sont réveillées dans un État qui, une fois de plus, a limité leur autonomie corporelle. À minuit, la loi SB8 est entrée en vigueur. Adoptée au printemps 2021, cette loi interdit les avortements au-delà de la 6e semaine, sans aucune exception pour les cas de viol ou d’inceste, et autorise tout individu à travers le pays à poursuivre toute personne ayant réalisé, aidé ou eu l’intention d’aider une personne à obtenir un avortement au-delà de la 6e semaine de grossesse.

Dans les jours précédents l’entrée en vigueur de la loi, plusieurs groupes de défense du droit à l’avortement ont tenté – sans succès – d’obtenir une suspension d’urgence de l’application de celle-ci. Or, la Cour d’appel du 5e circuit, une des plus conservatrices du pays, a d’abord refusé d’entendre la cause. Puis, la Cour suprême, sollicitée en urgence, a refusé d’émettre une opinion. Suite à ce silence, lourd de conséquences, la loi est entrée en vigueur, affectant simultanément cliniques et patientes.

Les conséquences pour les médecins et les cliniques de santé reproductive

La première partie de la loi, qui interdit l’avortement au-delà de la 6e semaine, s’inscrit dans une vague de projets de loi similaires adoptés dans une poignée d’autres États (et souvent surnommés « Heartbeat bill »). La seconde partie, qui autorise les poursuites judiciaires, est plus inusitée, mais fait écho aux autres tentatives du Texas de criminaliser l’avortement d’une façon ou d’une autre (rappelons ici les projets de loi HB896 de 2019 et HB3326 de 2021 qui prévoyaient la peine de mort pour les femmes obtenant un avortement). Cette possibilité de poursuite par n’importe quel.le citoyen.ne privé.e vise directement les médecins et les fonds d’avortement, qui aident financièrement les patientes. L’objectif ici est d’une part d’intimider les médecins et autres agent.e.s qui soutiennent le droit à l’avortement et, d’autre part, de les ensevelir sous les poursuites et les frais juridiques. En effet, SB8 prévoit qu’outre le geste, la volonté d’offrir un avortement peut également être la base d’une poursuite : il n’y a donc pas de nécessité de lien avec une personne patiente ou une connaissance du dossier médical pour intenter une poursuite. De plus, la loi retire les protections autrement prévues dans les lois texanes, contre les poursuites sans fondement, ouvrant la porte à une pluie de poursuites – fondées ou non. L’objectif final n’est pas de gagner ces poursuites, mais plutôt de surcharger les médecins, instiller un sentiment de peur plus fort que celui qui existe déjà dans les États conservateurs et créer des coûts judiciaires astronomiques pouvant forcer des cliniques à fermer leurs portes.

Les Texanes, victimes directes et victimes collatérales

Bien que les patientes elles-mêmes ne peuvent pas être poursuivies, la restriction de l’avortement à la 6e semaine a un impact direct sur les Texanes désirant mettre un terme à leur grossesse. Or, 84 % des avortements au Texas se produisent après la 6e semaine de grossesse. Depuis minuit, ces patientes ne peuvent plus interrompre leur grossesse. Ce qui était possible hier encore est aujourd’hui interdit – une violation directe de Roe v. Wade, qui stipule que l’avortement doit être légal jusqu’au point de viabilité, établi à 24 semaines. Plus encore, la seconde partie de la loi pourrait entraîner une diminution du nombre de médecins offrant l’avortement et une fermeture de cliniques, qui ont déjà de la difficulté à recruter des médecins en raison du climat restrictif. Cette situation rappelle celle de 2013, lorsque l’adoption de la loi HB2 a entraîné la fermeture de près de 50 % des cliniques dans l’État. Malgré la réouverture de certaines suite à l’invalidation de portions de la loi en 2016 (dans la décision Whole Woman’s Health v. Hellerstedt), l’accessibilité à l’avortement est difficile au Texas, particulièrement pour les personnesen milieu rural, celles ayant un faible revenu, les personnes immigrantes et les personnes victimes de violence conjugale. Depuis minuit, les personnes désirant interrompre une grossesse au-delà de six semaines doivent se déplacer dans un autre État, une solution accessible uniquement aux personnes privilégiées ayant les moyens financiers et physiques nécessaires. De plus, la majorité des États limitrophes au Texas (Louisiane, Arkansas et Oklahoma) sont également le théâtre d’impositions de restrictions à l’accessibilité à l’avortement.

Et la suite?

Malgré l’entrée en vigueur de SB8 – et ses conséquences déjà tangibles – la loi est toujours contestée devant les tribunaux. Or, ce processus peut être long et, sans injonction suspendant l’application de la loi, celle-ci aura des conséquences réelles pour  les semaines – voire les mois à venir. De plus, la loi s’inscrit dans une triade de lois restrictives : deux autres lois pourraient être adoptées dans les prochaines semaines, l’une restreignant les avortements chirurgicaux à la 15e semaine et l’autre interdisant les avortements médicaux après sept semaines, ajoutant aux obstacles à l’accès indépendamment du maintien ou non de SB8. Depuis longtemps laboratoire de lois restrictives en matière d’avortement, le Texas pourrait également inspirer d’autres États dans l’adoption de lois similaires, une situation qui attaque de plein fouet Roe v. Wade, érodant une fois de plus le droit à l’autonomie corporelle des personnes enceintes aux États-Unis. 

IVG, interruption volontaire de grossesse, restriction, États-Unis, politique, anti-choix, répression, avortement

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