Le fruit de la puanteur (surface du livre) – Photo modifiée par Les 3 sex* – Utilisation équitable

Roman • Le fruit de la puanteur : somptueuse pestilence

5 novembre 2021
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Le fruit de la puanteur est un roman qui étend sa trame narrative des temps mythiques jusqu’à un futur pas si lointain, dans la deuxième moitié du XXIe siècle, entre la côte Ouest du Canada et la Chine, avec une incursion dans le territoire qui est maintenant Terre-Neuve. Deux narratrices, Nu Wa et Miranda, portent la voix du récit : des créatures humaines et fluides, dont les histoires entretiennent des échos. Miranda naît avec une étrange maladie qui lui colle à la peau, dont son père tente de la guérir et qui la mènera à entrevoir les rouages de mystérieuses et puissantes compagnies s’érigeant dans des cités murées. Quant à Nu Wa, son parcours naît dans la mer et fait voyager bien au-delà de la Chine méridionale, où il prend principalement place.

C’est un récit sensuel, au sens où les sensations règnent : olfactives (surtout), visuelles (bien sûr!), mais aussi kinesthésiques (mouvements et textures y foisonnent) et somatiques (on y décrit avec précision jusqu’aux sensations corporelles internes). Avec une lancinante odeur de durian, l’histoire prend place dans l’atmosphère aqueuse, poisseuse et technocapitaliste d’un futur proche. Les oppositions qui l’animent, entre l’industrie désincarnée et l’animation chaotique et organique de la rue, entre les règles et la liberté, la maladie et la santé, ne tombent pas pour autant dans un manichéisme primaire. Rien n’est martelé, les questions soulevées circulent aisément dans le flot de la lecture. Les personnages ne sont d’ailleurs pas des modèles moraux; les héroïnes sont faillibles, parfois fortes, parfois lâches, parfois révoltées, toujours crédibles et complexes. Les personnages masculins n’ont pas la même chance : le Dr Flowers semble plutôt caricatural dans sa recherche de pouvoir et de gloire… mais pour un roman où c’est le cas, avec en contrepoids la quasi-totalité des productions littéraires, va-t-on vraiment bouder notre plaisir? De la même manière, les représentations de l’amour entre les personnages féminins s’infiltrent fluidement dans le récit : là n’est pas le propos principal, et les occurrences d’homophobie, dépeintes réalistement, ne fonctionnent pas non plus comme un enjeu majeur du récit. Sans vouloir divulgâcher, on pourrait aussi dire que l’autrice aborde la question de la reproduction humaine sous un angle surprenant. En résulte une fiction passionnante, qui tient en haleine jusqu’à la fin.

L’autrice, Larissa Lai, est écrivaine, critique littéraire et professeure de littérature à l’Université de Calgary. Le fruit de la puanteur est son premier livre traduit en français, près de 20 ans après sa publication originale. Dans The Tiger Flu (2018) et When Fox is a Thousand (2004),  ses autres romans publiés, elle s’attache aussi à représenter des protagonistes féminines, des dystopies, des représentations de dérives possibles du technocapitalisme sauvage, des réalités diasporiques ou des références à la Chine, aux gens qui y habitent, à des mythes qui proviennent de cette contrée. La postface des traductrices offre des réflexions à partir des toponymes du roman et de leur traduction, poursuivant les questions de (dé)colonialité et de réseaux de sens ouverts par l'œuvre. L’ensemble constitue une superbe addition à la collection Queer de Triptyque, qui comprend également Les carnets de l’underground.

Référence

Auteure : Larissa Lai
Traductrices : Sylvie Bérard et Suzanne Grenier
Titre : Le fruit de la puanteur
Date de parution : 4 octobre 2021
Maison d’édition : Triptyque (coll. Queer)

Ce livre est disponible en version papier à la Grande bibliothèque (BAnQ). Il est également possible de se le procurer en librairie au coût de 29,95 $.

Roman, science-fiction, écoféminisme, intersectionnalité, Chine, Canada, lesbianisme, clonage, queer