La guerre est dans les mots et il faut les crier (surface du livre) – Photo modifiée par Les 3 sex* – Utilisation équitable

Essai • La guerre est dans les mots et il faut les crier

11 mars 2022
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« [L]es lieux comme The Pulse Nightclub ne sont justement pas que des endroits de divertissement, où l’on se retrouve certes pour boire une verre, danser, parler, draguer, baiser parfois; ce sont des refuges et des endroits d'échanges passagers ou de première nécessité permettant aux individus de se construire une famille de remplacement, de se constituer un paravent contre des sociétés et des institutions hétéronormatives qui ne les acceptent pas complètement ou pas du tout, qui les “tolèrent” souvent en faisant la gueule, et parfois qui les harcèlent et les tuent, même. » (p. 8)

Nouvel opus de l’excellente collection queer de la maison d’édition Triptyque (après La Minotaure de Mariève Maréchale, Ceci est mon corps de Michael Smith, Désormais ma demeure de Nicholas Dawson, Cette blessure est un territoire de Billy-Ray Belcourt et d’autres livres dont vous avez pu lire les critiques ici et ici), La guerre est dans les mots et il faut les crier emprunte la forme de l’essai pour déployer une réflexion créative sur le poids des mots dans la (re)politisation de la pensée queer. 

Alors qu’on pense encore le vivre-ensemble, sociétalement parlant, en termes de tolérance, l’attrait de la normalité ne représente pas une stratégie gagnante sur le long terme pour promouvoir l’inclusivité. La queerphobie tue, les luttes sont intersectionnelles. Le champ de bataille est, entre autres, langagier. Et les meilleures défenses des auteurs sont dans leurs mots. 

L’ouvrage est le fruit d’un duo d’auteurs formé par Pierre-Luc Landry (il/iel) et Florian Grandena (il/lui), tous deux professeurs d’université spécialisés dans les études queer : Landry au département de français de l’Université de Victoria et Grandena à la faculté des arts à l’Université d’Ottawa. Leur positionnalité est clairement posée dans l’ouvrage : universitaires, blancs, en dialogue avec la pop culture et marqués par les luttes qui les ont précédés (comme celles menées par le Front homosexuel d’action révolutionnaire). Ils écrivent depuis « une certaine marge » (p. 11), tout en étant activement solidaires d’autres communautés marginalisées.

Même si la tuerie à The Pulse Nightclub (12 juin 2016) constitue le déclencheur de l’écriture, le livre, après une tentative de définition du queer joliment nommée « Queer-ce que c’est? », se focalise sur la politisation du concept, notamment par des analyses critiques de figures connues (Ellen De Generes, Neil Patrick Harris, Eric Duhaime) et de discours essentialisants ou homonationalistes, c’est-à-dire qui enjolivent la situation des queers occidentaux pour pernicieusement nourrir des thèses racistes. 

Leur écriture naît de la colère. Leur voix s’adresse à un.e destinataire pluriel.le mouvant.e, un « vous », désignant différentes personnes, straight ou homonormatives. Les mots s’adjoignent les magnifiques illustrations d’Antoine Charbonneau-Demers, créatures grotesques, étranges et vulnérables rendues par un trait fin et hésitant, compositions pleines d’humour, de vulgarité, de violence et de magie. Cette charge portée par un souffle anticonformiste, antiassimilationniste et autonomisant peut provoquer, pour un lectorat queer, un sentiment de libération.

Référence :

Auteur.e.s : Florian Grandena et Pierre-Luc Landry
Titre : La guerre est dans les mots et il faut les crier
Date de parution : 2 mars 2022
Maison d’édition : Triptyque, coll. queer

Ce livre est disponible en version numérique à la Grande bibliothèque (BAnQ). Il est également possible de se le procurer en librairie au coût de 26,95 $.

Queer, LGBTQ+, homosexualité, homonationalisme, assimilationnisme, critique, essai, intersectionnalité