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Tapas, talons hauts, bulles et musique d’ambiance : 5 à 7 de filles qui laisse une impression de déjà-vu. Plus les flûtes descendent, plus les confidences, légères ou profondes, fusent. Ça rigole jusqu’à ce que la plus prude de la gang siffle son verre avant de nous avouer qu’elle et son mec regardent pas mal de porn ensemble ces temps-ci. Un malaise vient soudainement enterrer le brouhaha ambiant. Un silence radio complet s’ensuit avant d’être brisé par Amé, la plus chaudaille d’entre nous. C’est avec un: « Ben coudonc, Julien est plus wild que je pensais! » qu’elle redémarre le tempo de la conversation. Un éclat de rire général et une tournée de shooters sont alors arrivés au bon moment pour nous faire oublier le tout.
En 2016, la pornographie est-elle encore taboue?
Au regard de cette soirée, je n’ai d’autre choix que de répondre oui.
La pornographie est-elle trop taboue pour s'y intéresser scientifiquement? Pas du tout! Sur le chemin du retour, en sillonnant les rues et les ruelles, je n’avais qu’une seule envie en tête : démystifier l’expérience de la pornographie des filles qui vivent en couple. L’objet de cette recherche devait se fonder uniquement sur l’expérience hétérosexuelle, afin de faire écho à mon aventure qui venait de créer, selon moi, un malaise assez révélateur. Aussitôt entrée dans mon appartement rue Bélanger, je me suis rivée sur mon écran pour élucider le mystère entourant le malaise soulevé par Béatrice. Il m’a suffi de quelques mots tronçonnés commençant par la lettre p et d’un café colombien corsé pour réaliser que plusieurs audacieux en sarraus blancs s’étaient déjà penchés sur la question. Bonne nouvelle: il n’y a pas que l’amie prude et son mec plus hot que prévu qui consomment de la pornographie ensemble. Il y en a d’autres comme eux qui laissent tourner des films XXX en background dans le but d’ajouter du punch et du piquant à leurs ébats sexuels (Olmstead et al., 2013; Mckee, 2006). Outre l’envie de pimenter les parties de jambes en l’air, le XXX peut prendre une tangente plus éducative: les acteurs inspireraient chez certains de nouvelles positions (Olmstead et al., 2013, Mckee, 2006). Quelques-uns se la joueraient donc plus olé olé en essayant des figures dans un style de Kamasutra new age.
Qui seraient ces spectateurs illicites?
Selon une étude assez récente, les plus grands consommateurs sont les couples qui partagent le même toit et ceux qui vivent hors de l’union du mariage (Maddox et al., 2009). Les couples qui n’ont jamais osé l’expérience pornographique s’identifieraient plutôt comme étant traditionnels dans leurs scénarios sexuels et avoueraient avoir une vie érotique peu permissive (Daneback et al., 2009).
La pornographie en couple serait-elle la panacée de tous les problèmes sexuels et une pure révolution du deuxième millénaire? Non, mais les couples qui s’allument devant un Bleu nuit ou autres scènes cinématographiques du genre présenteraient moins de dysfonctions sexuelles que ceux où l'un des partenaires préfère regarder ces images seul (Daneback et al., 2009). Selon la littérature, la version solo du cinéma XXX n’a définitivement pas la cote: la consommation lourde et solitaire de pornographie par leur partenaire provoquerait chez les filles une plus grande détresse, une baisse d’estime personnelle et une impression de désintérêt envers elles (Bechara et al., 2003; Bergner et Bridges, 2002). Cette utilisation solo jugée excessive serait perçue comme étant une preuve d’insatisfaction sexuelle de la part de leur partenaire (Olmstead et al., 2013). Les résultats de Doran et Price (2014) et ceux de Daneback et ses collègues (2009) abondent dans le même sens puisque ceux-ci ont montré que les femmes vivaient de la colère et des conflits conjugaux lorsque leur partenaire faisait usage de pornographie seul.
En fait, l’utilisation solitaire de la pornographie, que ce soit la fille ou le gars qui s’y prête secrètement, serait en réalité nuisible pour le couple (Daneback et al., 2009).
Selon l’étude d’Olmstead et son équipe (2013), autant l’homme que la femme s’opposent au plaisir solitaire alimenté par la pornographie. Ils le percevraient à la fois comme une activité nuisible à leur intimité et comme une sonnerie d'alarme venant indiquer un problème sous-jacent dans le couple (Olmstead et al., 2013). Cooper, Galbreath et Becker, (2004) ajoutent qu’il y aurait même une baisse d’activité sexuelle chez les couples où l’homme en fait usage solo.
La pornographie, une affaire de gars?
Ce ne l’est pas nécessairement. Une étude qualitative réalisée aux États-Unis révèle que près de la moitié des femmes interviewées accepterait l’usage de la pornographie au sein de leur couple sous certaines conditions établies dans le but d’éviter la dépendance (Olmstead et al., 2013). D’ailleurs, celles qui partagent ce petit plaisir coquin avec leur tendre moitié auraient découvert la pornographie par elles-mêmes (Mckee, 2006). Contrairement à la croyance populaire, ce ne serait donc pas sous les pressions de leur partenaire que les femmes participeraient au monde fantasmatique de la pornographie. Les utilisatrices ne se sentiraient pas dégradées ou inférieures devant les images sexuellement explicites qui sont véhiculées par la pornographie (Bridges et Morokoff, 2011).
Il y a toutefois une ombre au tableau; selon Bridges et Morokoff, les dames préféreraient de loin visionner le tout avec leur homme plutôt que de réserver cette activité pour des moments solitaires. D’ailleurs, ces mêmes femmes qui visionnent de la pornographie avec leur partenaire pendant l’acte seraient plus satisfaites des relations sexuelles avec leur partenaire et auraient plus de relations que celles qui ne partagent pas cette activité commune (Bridges et Morokoff, 2011). Maddox, Rhoades et Markman (2009) confirment que d’écouter de la pornographie avec son partenaire serait plus satisfaisant que d’en écouter seule ou de savoir que son partenaire en fait un usage solo.
Et la fidélité dans tout ça?
Ici, les résultats sont loin d’être unanimes. Certaines ont tout simplement éliminé la pornographie du registre de l’infidélité, d’autres s’entendent pour dire que c’en est une forme plutôt tolérable tandis que les dernières sont catégoriques: l’utilisation de la pornographie est inacceptable (Olmstead et al., 2013). En cas d’absentéisme prolongé, où les deux partenaires sont dans l’impossibilité d’unir leurs corps, certains considèrent l’utilisation de matériel sexuel explicite comme une alternative acceptable et intéressante (Bridges et Morokoff, 2011).
En revanche, des résultats démontrent que les couples qui regardent de la pornographie ensemble sont plus susceptibles d’être infidèles comparativement à ceux qui n’en regardent pas ou qui en regardent de façon solo (Maddox et al., 2009).
D’un côté plus relationnel, les résultats sont univoques, les filles qui visionnent de la pornographie se disent plus satisfaites de leur relation que leurs consœurs qui n’en consomment pas (Bridges et Morokoff, 2011; Daneback et al., 2009; Manning, 2006). On parle d’ailleurs d’une meilleure connexion (Olmstead et al., 2013), d’une meilleure solidité relationnelle (Mckee, 2006) et d’un plus grand dévouement envers le partenaire (Maddox et al., 2009). De surcroît, les abonnés aux chaînes adultes auraient plus confiance en leur partenaire, une meilleure estime personnelle et plus d’intérêt envers le sexe en général (Bridges et Morokoff, 2011). Toutefois, chez les Canadiennes, écouter des vidéos pornographiques avec son petit copain n'augmenterait pas nécessairement la satisfaction du couple (Resch et Alderson, 2014).
Tout compte fait, écouter un film XXX en couple serait associé à une sexualité plus ouverte qui demande la communication de ses fantasmes et de ses désirs (Daneback et al., 2009; Maddox et al., 2009). En effet, regarder de la pornographie ensemble exigerait un processus de communication qui peut être difficile dans un environnement relationnel où la sexualité est taboue (Gagnon et Simon, 2011). Des thérapeutes vont même jusqu’à proposer à certains partenaires de s’abandonner devant une version érotique du 7e art dans le but d’améliorer leur intimité (Manning, 2006).
La pornographie pourrait donc être une source potentielle de plaisir, mais son appréciation dépend de son contexte d’utilisation. En faire un usage commun devant des images où les deux se sentent à l’aise peut s’avérer être une pratique excitante pour les amants qui le désirent.
Cette chronique n’ayant pas la prétention de répondre à tous les enjeux entourant la pornographie a tout de même permis d’avoir une vue d’ensemble sur un aspect précis de la consommation de ces images, soit l’expérience féminine de l’usage de pornographie en couple. L’affaire est en réalité plutôt complexe dans la mesure où la pornographie n’existe pas au singulier (Mimoun, 2007). Il existe en effet des pornographies diverses par leur type de contenu, mais aussi par les climats qu’elles peuvent installer chez leurs spectateurs (Mimoun, 2007). De là la pertinence pour les couples de négocier le type d’images qu’ils souhaitent regarder ensemble (Daneback et al., 2009; Maddox et al., 2009).
À la difficulté de définir les contours de la pornographie (Mimoun, 2007) s’ajoute l’évaluation clinique de l’usage de la pornographie qui peut être complexe en raison d’un flou conceptuel et à une absence de langage commun (Messier-Bellemare et Corneau, 2015). Certains auteurs comme Cordonnier (2006) et Voros (2009) questionnent les arguments moraux entourant le potentiel addictif de la pornographie qui pourraient cacher un discours normalisant la bonne sexualité. Cordonnier (2006) ajoute que la consommation de pornographie n’est pas nécessairement liée à une dépendance et il invite les cliniciens à voir la pornographie comme étant un nouveau mode d’expression.
Que ce soit par le biais de la pornographie utilisée dans un contexte consensuel ou par d’autres fantaisies, le lien érotique du couple gagne à être alimenté chez ceux qui souhaitent préserver le désir au sein de leur union. À ce sujet, Perel (2006), invite les couples à explorer une sexualité plus libérée qui allie jeux, sensualité, créativité, plaisirs furtifs et séduction. Elle rappelle que l’érotisme va au-delà de l’acte sexuel et qu’il y a autant de manières d’entretenir le désir d’un couple qu’il y a d’amants. Après tout, être acteur ou spectateur, l’important n’est-il pas de jouer?
* À noter que Myriam Pomerleau, finissante à la maîtrise clinique en sexologique, a participé à la recension et à l’analyse des études utilisées dans cette chronique *
Pour citer cette chronique :
Bergeron, M. (2016, 25 novembre). La pornographie, une affaie de gars? Les 3 sex*. https://les3sex.com/fr/news/233/chronique-la-pornographie-une-affaire-de-gars-
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