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Témoignage • Nous ne sommes que des femmes

6 novembre 2016
Anonyme
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Les témoignages sont des textes produits par des personnes ne provenant pas obligatoirement des disciplines sexologiques ou connexes. Ces textes présentent des émotions, des perceptions et sont donc hautement subjectifs. Les opinions exprimées dans les témoignages n'engagent que leurs auteur.e.s et ne représentent en aucun cas les positions de l'organisme.

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Aujourd’hui a eu lieu une conférence du Département de sociologie à l’UQAM portant le nom de  « Sexes, genres et transidentités : réflexions critiques ». En tant qu’universitaire et en tant que femme trans, j’ai eu l’occasion de lire de nombreux textes qui cherchaient à critiquer le mouvement trans en évoquant la liberté intellectuelle et la nécessité de combattre « l’idéologie progressiste » qui voudrait qu’on accepte toutes les idées trans sans jamais avoir de débat. Traditionnellement, ce genre de débat est mené par des personnalités solides et charismatiques qui ont souvent une argumentation qui, malgré leur côté transphobe, est difficile à déconstruire.


C’est un peu à ce genre de conférence que je m’attendais. Aussi, je m’étais dit, en tant qu’universitaire, que j’allais m’y présenter avec toutes mes compétences intellectuelles et rhétoriques pour exposer ses biais. J’étais nerveuse parce que, ayant souvent débattu avec des personnes qui tenaient ce genre de propos, je savais qu’elles avaient souvent un talent pour avoir l’air intelligentes et pertinentes tout en disant les pires atrocités. Pourtant, ce fut loin d’être mon expérience.


D’abord, il y avait les lectures proposées. Celles-ci étaient, bien sûr, tout à fait transphobes. Cependant, loin de la transphobie insidieuse et subtile qui donne l’impression d’un discours éclairé, c’était plutôt des textes décousus qui exprimaient une vague menace transgenre sans jamais vraiment la définir, poussant même le ridicule jusqu’à comparer les personnes trans aux changements climatiques pour des raisons aussi décousues que non fondées.


Une fois sur place, je m’attendais à une salle remplie de personnes prêtes à être influencées par son « débat d’idées ». Je m’attendais à ce que, par ma présence et par mes arguments, il y aurait sans doute des personnes que je puisse convaincre du ridicule des arguments présentés.

Pourtant, ce ne fut aucunement le cas. La salle était bien bondée, mais bondée en très grande majorité par des protestataires, reconnaissables par leur appartenance aux mouvements LGBT et queer de Montréal. Les seules personnes qui ne correspondaient pas à ce profil étaient des professeurs poussiéreux, véritables icônes de leur tour d’ivoire.


La conférencière elle-même, que j’aurais imaginée grande, charismatique et habile de ses mots, s’est avérée encore plus décevante pour mon imaginaire rhétorique. Petite, tremblante, la voix éteinte et fragile, il était évident qu’elle n’aurait pas le dos assez solide pour supporter la moindre critique. D’entrée de jeu, la voix vacillante, elle a prévenu qu’elle ne voulait pas entendre de protestation avant la période des questions et qu’elle préférait que toute personne qui était en désaccord et qui souhaitait l’exprimer sorte de la salle. Bien évidemment, le public, qui était rempli de protestataires, lui fit savoir assez rapidement que ce ne serait pas le cas.


Malgré tout, et à la suite de quelques rappels à l’ordre des organisateurs, elle entreprit d’expliquer sa démarche. Son intérêt pour ces questions remontait à loin, nous dit-elle, puisqu’il y a 20 ans déjà, elle avait produit un court-métrage pour dénoncer les « dérives transgenres ». Son court-métrage, nous a-t-elle raconté, portait sur « un homme déguisé en femme » qui portait une poupée dans ses bras. C’était, selon elle, une façon artistique de montrer comment « certaines personnes sont incapables de s’accepter comme elles sont ».


D’entrée de jeu, ce simple aveu d’apparence anodine fut pour moi comme un coup de poing au visage. Elle n’avait pas encore présenté sa première diapositive que déjà elle nous révélait que selon elle, les femmes trans, c’est-à-dire moi et toutes les autres femmes trans qui étaient présentes dans cette salle, n’étions que des hommes délirants qui vivaient dans l’illusion.

Par ces seuls mots, elle avait dressé un portrait qui était d’autant plus blessant pour moi dans mon intimité puisque ceux-ci me rappelaient mes propres démarches de questionnement et de transition. À cette époque, une femme trans envers qui j’avais beaucoup d’admiration et de respect avait produit un court-métrage très similaire, dans lequel elle se mettait en scène avec une poupée afin d’exprimer sa tristesse de savoir qu’elle ne pourrait jamais porter d’enfant. Ce court-métrage avait eu un grand impact sur moi et sur mon questionnement.

C’est ainsi que, malgré le fait que je m’étais juré de me contenir jusqu’à la période des questions afin de déverser sur elle mon savoir-faire académique, je n’ai pas pu m’empêcher de rejoindre les protestations. Parce que face à une attaque aussi évidente contre mon vécu le plus intime, prendre une distance académique m’était tout simplement impossible.


La suite, bien que prévisible, fut tout aussi laide et peu glorieuse. C’est ainsi que, face aux protestations soulevées par son propos, elle déclara que les personnes transgenres l’attaquaient dans son identité de femme. Plus encore, elle déclara même que Caitlyn Jenner, une femme qu’elle n’avait très certainement jamais rencontrée, était une menace à toute son identité par sa seule existence publique en tant que femme.


Devant les protestations grandissantes, mais tout de même assez contenues, que ses paroles avaient engendrées, la conférencière décida rapidement d’abandonner sa conférence puisque, selon elle, aucune discussion n’était possible. Et pourtant, c’était bien la discussion que nous étions venu.e.s chercher. Les profs poussiéreux, décidément outragés qu’on ose remettre en question le cadre de cette conférence, se sont mis à vociférer sur la liberté d’expression, exprimant plus de violence et d’agressivité qu’aucun.e protestataire n’en avait montré. Devant l’absurdité de la situation, le public s’est mis à applaudir ironiquement ce débordement d’agressivité et le petit cocon formé des organisateurs, de la conférencière et des professeurs est rapidement sorti de la classe, dépité, sans aucun doute avec la ferme intention d’aller présenter la conférence dans une autre salle de façon incognito.

C’est ainsi que se termina la conférence « Sexes, genres et transidentités : réflexions critiques » avant même d’avoir commencé. Dans une tentative de dresser un portrait pathétique des femmes trans, de les peindre comme des hommes délirants n’ayant pas la légitimité de demander des droits, c’est sur elle-même que la conférencière a fait rejaillir le ridicule. La transphobie qu’elle a présentée n’était pas une transphobie triomphante, charismatique et dangereuse, mais plutôt une transphobie fragile, poussiéreuse et souffrante.

Au final, il faut admettre qu’elle aura réussi à démontrer ce qu’elle voulait démontrer. Les « violent.e.s transgenres » l’auront empêché de donner sa conférence par leur seule présence dans la salle en tant qu’êtres dotés d’émotions. Malgré la violence intime qu’elle a fait subir aux femmes trans par ses propos et malgré l’humiliation du portrait « théorique » qu’elle cherchait à dresser, elle aurait voulu qu’on l’écoute jusqu’à la fin et qu’on entende sa souffrance. Parce que, de toute évidence, elle portait en elle une immense fragilité que la seule existence des femmes trans venait menacer. Sa conférence n’était pas destinée à être entendue par nous. Elle devait être partagée avec d’autres personnes fragiles qui, comme elle, ne peuvent supporter notre existence et ressentent le besoin de la remettre en question. Elle aura finalement réussi à se faire passer pour la pauvre victime souffrante en se contentant de répéter les mêmes stéréotypes désuets que j’ai portés en moi toute ma vie et qui me font encore souffrir dans mon quotidien.


J’aurais aimé entendre ses arguments. J’aurais aimé être une grande universitaire académique capable de débattre froidement des enjeux les plus importants. Mais dans cette salle, devant cette conférencière désarçonnée de nous voir, je n’étais plus que cette femme trans délirante qu’elle tentait de dépeindre. Et ma colère, lorsqu’elle s’ajoutait à la colère légitime des autres protestataires, n’était plus qu’une arme à retourner contre moi et contre toutes les autres femmes trans présentes dans la salle.

J’aurais préféré qu’elle soit plus forte. J’aurais préféré que son public lui soit plus sympathique et que ses arguments soient mieux entendus. J’aurais préféré qu’elle ait eu une chance de se battre parce que ça aurait été notre seule chance de sortir gagnant.e.s ; de lui montrer notre intelligence, notre sensibilité et de lui faire voir que nous ne sommes pas une menace pour elle ou pour son public. Nous sommes des femmes, avec un vécu intime et une fragilité humaine au même titre qu’elle et que n’importe qui d’autre. Nos droits méritent d’être respectés pleinement sans être dépeints comme une attaque à l’intimité ou à la féminité des autres femmes.

Nous ne sommes pas des armes ou des arguments politiques.

Nous ne sommes que des femmes.

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