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Chronique • Éducation à la sexualité : le cas français (partie II)

22 octobre 2018
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La mise en place progressive de cours d’éducation à la sexualité a, comme il a été vu précédemment, été le résultat d’une longue histoire qui prend sa source il y a plus d’un siècle et qui a fait l’objet, depuis lors jusqu’à aujourd’hui, de nombreux affrontements entre différentes sensibilités politiques. Toutefois, depuis une quarantaine d’années, les textes législatifs se sont multipliés, attestant d’une prise de conscience progressive de l’importance de l’éducation à l’intime au sein des établissements scolaires. Mais au-delà de la loi, qu’en est-il de l’application concrète dans les écoles?

Lors de mon étude menée en 2015 et 2016, je me suis intéressé à la question de la mise en place et de la réception des cours d’éducation à la sexualité et au genre dans un lycée rural du département de la Gironde, en France. Cette étude est constituée de deux composantes : des observations menées au sein de l'établissement et lors d'un cours d'éducation à la sexualité auprès d'élèves de 1ère (soit entre 16 et 17 ans) ainsi qu’une dizaine d'entrevues auprès d'enseignantes (philosophie et Sciences de la Vie et de la Terre (SVT)) et d'élèves âgé.e.s de 17 à 19 ans. Les informations collectées ont ensuite fait l’objet d’une analyse qualitative, complétée par une recherche de la littérature scientifique existante qui s’est avérée difficile tant le sujet est peu étudié. Il m’est apparu que de nombreuses disparités existaient entre l’établissement étudié et les diverses études gouvernementales ou académiques dans la mise en place de cours d’éducation à la sexualité. De plus, une observation poussée de l’organisation même des établissements scolaires – avec la visite de plusieurs d’entre eux – montre que ces derniers sont des institutions de contrôle de la sexualité, loin de l’émancipation nécessaire proposée par ces cours. Enfin, la verticalité de l’institution scolaire est un frein potentiel à la mise en place de ces cours tant le risque de voir un élément de la chaîne d’éducation faire défaut est présent et peut pénaliser les élèves de ces institutions.

Des applications inégales en fonction des établissements

Comme étudié dans la première partie, la France dispose d’un arsenal législatif conséquent en matière d’éducation à la sexualité. Qu’il s’agisse de prévention des infections sexuellement transmissibles (ITSS) ou du VIH, de sensibilisation aux thématiques de genre ou encore de réponses aux questions que peuvent se poser les jeunes, les textes de loi – soit la législation en vigueur au sein des établissements scolaires français – sont suffisamment complets pour permettre aux équipes éducatives de mettre en place des cours efficaces et régissent la totalité du programme applicable sur la sexualité (Eduscol, 2008; Ministère de l’éducation nationale, 2017).

Les textes législatifs prévoient même un minimum de trois séances annuelles soit a minima 27 séances pour les élèves effectuant une scolarité jusqu’à l’âge de 16 ans, et 36 séances pour les personnes allant jusqu’au baccalauréat. Toutefois, dans la pratique, ces objectifs ne sont jamais atteints et aucune école, selon mes recherches, ne respecte la loi. Ainsi, la majorité des élèves français.e.s ne cumulent que deux séances d’éducation à la sexualité lors de l’ensemble de leur scolarité. La première, et la plus mise en avant par les enseignantes et par les élèves interrogé.e.s durant les entretiens, est une séance d’une heure lors de la classe de 4e – soit avec des jeunes entre 13 et 14 ans. Lors de ce cours, quasi-exclusivement donné par des professeur.e.s de SVT, il y est généralement fait mention des différents modes de contraception et de protection contre les ITSS avec, lors de certaines séances, une démonstration sur la façon dont se met un préservatif. Interrogé.e.s à ce sujet, la plupart des élèves déclarent ne pas en garder un souvenir impérissable, soit parce que disposant déjà des informations sur les sujets abordés en cours, soit parce que l’enseignement était trop simpliste à leurs yeux. Ces déclarations font écho aux difficultés auxquelles doivent faire face les intervenant.e.s extérieur.e.s. Ces personnes déclarent ainsi que le discours proposé aux jeunes sur ces sujets, qui concernent essentiellement les questions liées à la santé sexuelle, se retrouvent souvent en décalage avec les attentes des élèves, attentes le plus souvent liées à la relation à l’Autre ou aux aspects concrets de la sexualité (Le Den, 2016).

Une autre séance d’éducation à la sexualité a lieu théoriquement lors de la classe de 1ère – soit avec des jeunes entre 16 et 17 ans. Alors que le cours de la classe de 4e est exclusivement prévu à l’enseignement de la sexualité, le cours de 1ère est en réalité une partie obligatoire du programme scolaire de SVT où les élèves sont supposé.e.s approfondir leurs connaissances sur les processus reproductifs et l’anatomie. Toutefois, cette différence entre les deux cours – l’un étant exclusivement dédié à la question de l’éducation à la sexualité, l’autre étant intégré au programme scolaire avec un aspect scientifique très poussé – a un impact énorme dans la manière qu’ont les jeunes d’aborder ces enseignements. Alors qu’en 4e, les élèves envisagent le cours d’éducation à la sexualité comme une pause dans la temporalité scolaire (Berger, Rochigneux et al., 2015), l’inscrire dans le programme scolaire d’une année du baccalauréat transforme de fait sa finalité.

Il n’est plus question de prendre le temps d’aborder sereinement une question intime et complexe, mais d’inscrire le cours dans une logique d'examen et par conséquent, de réussite.

Les élèves ne voient dès lors plus ces cours comme un moyen d’en apprendre sur cette thématique, mais comme une somme de savoirs à maîtriser en vue d’un examen (Dusseau, 2016) – bien que l’enseignante de SVT interrogée pour notre étude déclara qu’il était impossible qu’une telle thématique soit sélectionnée comme sujet du baccalauréat, les inspecteurs et inspectrices d’académie redoutant la réaction des parents.

De plus, des inégalités voient le jour entre les établissements situés dans les quartiers favorisés des grandes villes et ceux situés dans des zones socialement et économiquement tendues. Si les quartiers favorisés peuvent jouir de la présence d’associations locales comme le Planning Familial ou des associations LGBT+, les écoles situées dans des territoires ruraux ne disposent pas des mêmes possibilités, quand bien même que celles-ci font régulièrement face à des problématiques comme la grossesse à l’adolescence et la discrimination allant à l’encontre des populations LGBT+ (De Luca Barrusse et Le Den, 2016). Enfin certains lycées privés, notamment religieux, rechignent à mettre en œuvre l’obligation qui leur est imposée d’organiser des cours d’éducation à la sexualité. Plus encore, ces établissements sont régulièrement épinglés par les médias pour la mise en place des enseignements allant à l’encontre de la liberté sexuelle (L’Union, 2018).

L’école : un lieu de contrôle de la sexualité

Malgré une présence toujours plus grande dans la législation française, l’éducation à la sexualité est cependant loin d’être une réalité dans l’ensemble des établissements du pays. Mais au-delà de la loi, c’est l’organisation même de l’École qui est problématique dans l’enseignement de l’intime (comprendre ici l’éducation à la sexualité).

Michel Foucault, pour qui l'apparition d'une morale bourgeoise a amené au refoulement et à la répression de la sexualité (Reich, 1970), considère pour sa part que l’Occident est loin d'avoir tu le sexe (Foucault, 1994). L’émergence du bio-pouvoir à la fin du XVIIIe et au début du XIVe siècle (Genel, 2004), un pouvoir s’intéressant aux vivants dans le but de tirer les bénéfices d’une population bien gérée, va permettre la structuration de ce dernier autour de deux pôles, celui du « corps-machine » et celui du « corps-espèce » (Jacomino, 2014). Le premier vise ainsi à dresser le corps par des dispositifs disciplinaires, notamment dans les écoles ou encore dans l'armée, alors que le second vise davantage à administrer le corps et les pratiques quotidiennes par de nombreuses analyses et interventions et un ordre du discours savamment dosé. Ainsi, dans les écoles, si aucune référence explicite n’est faite à la sexualité, les règlements intérieurs ainsi que l'organisation spatiale même de cette institution multiplient les références à cette dernière. Tout est donc fait pour que les individus y soient surveillés de manière permanente, les élèves strictement contrôlé.e.s et chaque étape de la journée parfaitement balisée afin que, selon Foucault, « tout cela renvoie, de la manière la plus prolixe, à la sexualité des enfants » (1994, p. 39).

Dans l’établissement analysé lors de mon étude (Dusseau, 2016), le règlement intérieur régit de manière stricte et extrêmement précise son organisation, de son ouverture à sa fermeture, ainsi que les déplacements au sein de celui-ci, le tout étant constamment soumis à la surveillance d'un.e adulte. Il est intéressant de noter que chaque tentative des élèves d'échapper à cette surveillance afin d'avoir un peu d'intimité est quasi-impossible, les adultes étant constamment sur le qui-vive. Il m'a été possible d'observer un certain nombre d'élèves, notamment des couples, tentant de s'isoler dans des recoins de la cour ou sous les escaliers, pour échanger quelques rapides baisers ou gestes d'affection. Toutefois, les adultes passant près d'eux les rappelaient systématiquement à l'ordre ou, si les comportements n'étaient pas de nature à recevoir un avertissement verbal, notaient mentalement ces sortes de micro-manifestations d'intimité dans le but d'appliquer une surveillance constante, même si les observations des professeur.e.s ou de l'équipe administrative n’étaient pas toujours suivies de sanctions. Il m’a également été possible d’observer ce contrôle lors d’un cours d’éducation à la sexualité avec des élèves de 1ère. La disposition de la salle de classe est était faite de telle façon que rien n’échappe à la vigilance de l’enseignante et même des élèves, chacun.e pouvant épier les réactions des autres. Tout y est scrupuleusement observé, décortiqué et analysé, en particulier ce qui touche aux questions de sexualité et d'intime. Preuves en sont les discussions entre les élèves commentant les relations amoureuses des un.e.s et des autres (par exemple « tu savais que X n’est plus avec Y? La pauvre! ») ou encore les stratégies de séduction entre eux et elles, comme lorsqu’une élève, regardée avec insistance par un autre, sera informée de la situation par sa voisine de table qui lui fera discrètement remarquer l’attitude du garçon à son égard. Les tenues, notamment en ce qui concerne celles des adolescentes, sont un autre bon exemple de cette surveillance et d’une normativité qui s'appliquent constamment. Une tenue un peu trop osée ou provocante, signe d'une sexualité naissante ou active, sera ainsi abondamment commentée par l'ensemble des élèves. Dès lors, on peut se demander comment une institution qui contrôle aussi strictement et en permanence la sexualité est en mesure d’offrir des enseignements à ce sujet et pas uniquement dans son aspect biologique, mais dans toute sa diversité (Pelège et Picod, 2006), notamment amoureuse (Jasmin, 2007).

La verticalité de l’institution scolaire comme frein à la mise en place de cours d’éducation à la sexualité

Pour le sociologue Émile Durkheim, l’École, dont les origines universalistes sont à chercher du côté de l’Église catholique, se doit d’être un lieu moralement uni qui envelopperait l’élève pour agir sur sa nature tout entière (Durkheim, 1990). Ce modèle de l'école sanctuaire comme lieu d’éducation à la morale restera en place jusqu’en 1985, où l'expression d'éducation morale sera remplacée par les programmes d’instruction civique. C'est précisément à cette époque, alors que les cours d'instruction morale disparaissent, que se développeront ceux liés à l'enseignement de la sexualité (Lelièvre, 2006). La loi et la morale républicaine, qui mènent à une « indifférence aux différences » (Alessandrin et Dagorn, 2016), sont donc au fondement même de l’organisation de l’école : impulsées par les instances dirigeantes, celles-ci vont s’appliquer progressivement de l’administration jusqu’aux élèves. Mais cette verticalité de l’institution scolaire n’est pas sans risques sur l’organisation des cours d’éducation à la sexualité. Si l'inflation législative dénote une prise de conscience sur ces thématiques, leur traitement par l'institution scolaire dépend fortement de la volonté des acteurs et actrices. Cela a pour conséquence une inconstance dans les heures d'éducation à la sexualité offertes dans les écoles. Une chargée de mission « égalité filles-garçons » (membre de l’administration employé pour mettre en place et superviser une politique publique spécifique, ici l’éducation à la sexualité et l’égalité entre les genres) le reconnaîtra d'ailleurs durant l'entretien : « Vous dire qu'à chaque étape du continuum scolaire il y a une éducation à la sexualité… (rire), à raison par exemple de deux heures par an ou trois heures… depuis la maternelle, là je suis dans l'incapacité de vous le dire à ce stade parce que je n'ai pas une vision panoramique ».

Il suffit qu'un seul rouage de l'organisation fasse défaut et c'est l'ensemble des échelons inférieurs qui en pâtiront. La loi invite fortement la direction des établissements scolaires à établir le programme des cours d'éducation à la sexualité. Toutefois, de par le caractère de sanctuarisation de l’École, si l'un.e d'entre eux ou elles refuse d'appliquer les textes à la lettre, il dispose alors d'un éventail de moyens pour freiner considérablement l'enseignement de la sexualité. Cette situation est confirmée par un membre de l'association « SVT - Égalité » qui m’a relaté son expérience : désirant mettre en place une éducation non sexiste et non hétéronormée dans ses cours, celui-ci présenta son projet à l’inspecteur d’académie (cadre supérieur de l’Éducation nationale en charge du système éducatif dans chaque région) ainsi qu’à ses deux directeurs d’établissement successifs. Si les acteurs institutionnels ont systématiquement salué la pertinence du projet, ceux-ci finissent fatalement par disparaître et ne plus donner suite aux sollicitations de l’association. Le problème de la verticalité de l’institution scolaire peut également se retrouver jusqu’au niveau des professeur.e.s qui, s'ils et elles refusent d’enseigner la sexualité à leurs élèves et ce peu importe la raison, pénaliseront les élèves qui ne recevront pas un enseignement pourtant obligatoire.

La loi ne fait pas tout

Si les textes législatifs ne manquent pas en matière d’éducation à la sexualité, leur application est loin d’atteindre les objectifs recherchés. Les inégalités entre établissements montrent que si certain.e.s élèves reçoivent des cours complets répondant à leurs attentes, d’autres, en revanche, n’ont pas cette chance et doivent se contenter d’enseignements minimaux, voire n’avoir accès à aucun cours. Enfin, de par sa structure même, l’école tend à contrôler la sexualité davantage qu’à l’enseigner. Cela se traduit par un potentiel frein dans l’organisation des cours si quelqu'un dans la chaîne éducative – qu’il s'agisse d'un.e inspecteur ou inspectrice d’académie, directeur ou directrice d’établissement ou encore professeur.e – refuse de mettre en place ces enseignements. Cependant, qu’en pensent les professeur.e.s interrogé.e.s et, surtout, les élèves? Cela sera l’objet de mon propos dans la troisième partie de cette chronique.

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Références
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Pour citer cette chronique :

Dusseau, F. (2018, 22 octobre). Éducation à la sexualité : le cas français (partie II). Les 3 sex*https://les3sex.com/fr/news/261/education-a-la-sexualite-le-cas-francais-partie-ii 

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