Isabel Thériault

Chronique culturelle • Queer joy : le cas Heartstopper

3 août 2023
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Se voir représenter au cinéma, à la télé ou dans la littérature permet de valider son identité. Tu existes, je te vois, tu es là. La représentation culturelle est donc d’une importance capitale. Sauf que, ce ne sont pas toutes les représentations qui sont bonnes. 

Dans son étude sur la représentativité des minorités dans les médias, Clark (1960) identifie quatre étapes de représentativité :

  1. l’absence de représentation où la minorité est presque exclue des médias;
  2. le ridicule où le personnage existe seulement (ou presque) pour faire rire de lui;
  3. la régulation où les membres d’un groupe minoritaire ont des rôles plus socialement acceptables, mais tout de même restreints;
  4. le respect où la représentation des membres d’un groupe minoritaire est beaucoup plus large et est présenté tant positivement que négativement.

En bref, il faut sortir des stéréotypes et des idées attendues par une société cishétéronormative, raciste et capacitiste, mais il faut surtout raconter un grand éventail d’histoires, autant positives que négatives. C’est donc dire que pour la représentation queer, il faut arrêter avec les histoires tragiques où l’une des personne meurt à la fin. Il nous faut représenter une variété d'histoires et parcours queer, qui ne présentent pas uniquement des sorties de placard et des quêtes identitaires. There’s so much more. 

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Arrêtons de bury the gays et célébrons la queerness

La queer joy, c’est la joie d’être queer, d’être une personne de la diversité sexuelle et de genre. Ce n’est pas représenter la joie – ou les émotions positives – d’une personne queer, mais bien de montrer que l’identité queer apporte son lot d’émotions comme le bonheur, l’excitation, la plénitude (Oxfam, 2022). Dans une société cishétérosexiste, la queer joy est un acte de résistance puisqu'on défie ses oppresseur.e.s et on vit sa vie telle qu'on l'entend. Mais aussi, simplement, de dire que les personnes LGBTQ+ ont non seulement droit au bonheur, mais que nous le méritons à juste titre.

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Nos huit exemples préférés de queer joy dans Heartstopper

Heartstopper est une série télévisée, basée sur le roman graphique d’Alice Oseman, qui met en scène la quête identitaire de Nick Nelson et sa relation avec Charlie Spring, deux élèves de Truham Grammar School, au Royaume-Uni. Nick est un populaire joueur de rugby, convaincu de son hétérosexualité jusqu’à sa rencontre avec Charlie. On suit également Isaac, un homme aromantique et asexuel, Tao, leur « token straight friend », Tara et Darcy, des femmes lesbiennes, et Elle, une femme trans. Ces trois dernières se lient d’amitié lorsqu’Elle transfère à Higgs, l’équivalent pour filles de Truham.

Autant la série télévisée que le roman graphique Heartstopper sont truffés d’exemples de queer joy. Certains sont plus évidents, d’autres plus subtils. Ce texte s’intéresse seulement à la saison 1 de la série télévisée, disponible sur Netflix.

Attention : ce texte présente des divulgâcheurs.

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1. « and I love liking you! »

Le moment le plus représentatif de la queer joy se déroule lors du dernier épisode de la série lorsque Charlie et Nick sont à leur première date officielle, à la plage. Nick regarde alors Charlie tout sourire et s’exclame spontanément « and I love liking you! ». Non seulement il aime Charlie, mais il aime le fait de l’aimer. Il n’y a pas de honte intériorisée par rapport à son orientation sexuelle et à son affection pour Charlie, il n’y a pas d’hésitation dans sa déclaration. Il est bien et il est heureux d’être bien. 

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2. « We are such meddling gays and I love it »

Nick, au cours de l’épisode 6, développe une amitié avec Tara et Darcy qui lui proposent de faire une double date avec Charlie. Durant une conversation de groupe, par messagerie texte, Darcy propose d'inviter également Tao et Elle afin de jouer au matchmaker entre les deux. Ce à quoi Darcy réagit en écrivant « we are such meddling gays and I love it ». Nick sourit en lisant ces mots car, d’une part, il vit, probablement pour la première fois, un sentiment d’appartenance à un groupe d’ami.e.s lié au confort d’avoir trouvé ses pairs et de partager des codes sociaux, et d’autre part, il réalise avoir le soutien émotionnel de ce groupe.

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3. « No. I want to do this. »

Lors du dernier épisode, les étudiantes de Higgs se rendent à Truham pour participer à une journée d’Olympiades. L’une des scènes de cet épisode constitue, à notre humble avis, l’une des plus belles scènes de queer joy. Pour la première fois depuis son transfert à Higgs, Elle doit retourner à Truham. Devant les portes de l’école, Darcy à sa gauche et Tara à sa droite s’assurent qu’elle se sent confortable de remettre les pieds dans cet endroit. Elle leur assure que oui, bien qu’une appréhension se détecte dans sa voix. D’un bond, ses deux amies lui attrapent les mains et elles avancent ensemble avec de grands sourires, d’un pas décidé. Pour Elle, Truham est synonyme d’intimidation, de violences transphobes et de traumas. Prendre la décision d’y retourner est un grand acte de courage; y aller, tête levée, soutenue par ses amies, est un acte de résistance vis-à-vis de toutes les personnes qui, dans cette école, lui ont fait du mal par le passé. C’est une magnifique reprise de pouvoir sur son récit.

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4. « Hi »

Lors de l’épisode 4, pendant près d’une minute, nous suivons Charlie dans les corridors jusqu’à son siège de classe aux côtés de Nick, le sourire aux lèvres et les yeux pétillants. Nick et Charlie se retrouvent en classe pour la première fois depuis qu’ils ont échangé leurs premiers baisers. Lorsque les deux protagonistes sont côte à côte, ils ne font qu’échanger un simple « Hi » tout en se regardant tendrement. Cette scène est importante pour la queer joy puisqu’elle représente, d’abord, la naïveté d’un premier amour adolescent, mais aussi puisqu’elle se déroule à l’école, un établissement qui n’est que très rarement synonyme de safe space pour les personnes queer. Un endroit où les personnes queer ne voient que très peu des représentations queer légères, simples et positives.

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5. « Will you meet me more than halfway up? »

À l’épisode 3, lors du party d'anniversaire d’Harry, un ami de Nick, un moment très marquant a lieu pour trois des personnages de la série. Sur le plancher de danse, Tara et Darcy, en train de vivre un moment de pur bonheur, s’embrassent, présumément pour la première fois en public. Elles sont aux anges, elles sourient jusqu’aux oreilles, il n’y a rien d’autre au monde qu’elles et leur amour réciproque à cet instant. Nick, toujours en questionnement sur son orientation sexuelle et ne comprenant pas les émotions qu’il vit à l’égard de Charlie, est témoin de ce moment. L’éclairage, aux couleurs du drapeau bisexuel, l’englobe et son sourire en dit long sur son ressenti. Non seulement semble-t-il heureux pour Tara et Darcy, mais également calme et serein. Il vient de voir, pour la première fois, une vraie relation queer, et cela va avoir une conséquence très positive sur les prochains évènements de la série.

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6. « It’s called bisexuality. If you’ve heard of that? »

La saison 1 se conclut sur le coming out de Nick à sa mère. La scène est chargée en émotions et pendant presque l’entièreté de la scène, la mère de Nick est en posture d’écoute, maintient le regard de son fils et le laisse s’exprimer à son rythme. S'ensuit une touchante accolade où tout l’amour qu’elle porte pour son fils transparaît à l’écran. Elle lui donne tout le temps nécessaire pour s’exprimer et admet qu’elle a pu avoir des maladresses hétéronormées qui ont pu rendre son fils mal à l’aise et s’en excuse. Elle lui dit qu’elle l’aime, tout simplement, sans ajouter quoique ce soit et le remercie de lui faire confiance : « Oh baby! Thank you for telling me. I’m sorry if I ever made you feel like you couldn’t tell me that. »

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7. « We’re finally taking the opportunity to kiss as much as possible »

À l’épisode 4, Tara embrasse pour la première fois sa partenaire Darcy à l’école. Cette dernière est agréablement surprise de l’initiative. Elles s’échangent de grands sourires amoureux et leur amie Elle, qui a assisté à l’échange, leur fait une petite blague, accompagnée d’un regard attendri et rempli de fierté. Ce moment de complicité entre Tara et Darcy, mais également avec Elle, est un important moment de queer joy. On assiste à une nouvelle étape du coming out de Tara qui constitue, le temps de ces quelques secondes, un doux moment de bonheur partagé entre les amoureuses, mais également avec leur meilleure amie. 

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8. « We’re in the corridor. »

Après une enfilade où Nick fait part de toute son affection pour Charlie – en lui disant notamment que ça vaut la peine de faire face à des adversités pour être en couple avec Charlie –, les deux s’embrassent. Après un moment, Charlie fait remarquer à Nick, encore dans le placard, qu’ils sont dans un lieu public, bien que désert, soit un corridor de l’école. Nick le regarde en souriant et répond « oh, so what? » démontrant ici qu’il fait maintenant preuve d’une attitude détendue par rapport à sa queerness. Il est maintenant confiant dans son identité sexuelle.

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Ce n'est ici qu’un court échantillon des moments de pure queer joy de cette série télévisée; il y en a très certainement une dizaine d’autres, mais on vous en présente quelques-uns en rafale : 

  • Tao qui confirme à Elle que sa transition « is a good change »;
  • la pure joie et l’excitation qu’Elle exprime quand elle apprend que Nick et Charlie sont en couple;
  • le sourire ébahi de Nick après son baiser avec Charlie sous la pluie;
  • la joie et la fierté que ressent Charlie lorsque Nick lui annonce qu’il a dit à Tara et Darcy qu’ils sont ensemble;
  • la mère de Nick lorsqu’elle mentionne que Charlie est « a very special friend », ouvrant subtilement la porte à son fils pour qu’il soit confortable de se confier à elle;
  • lorsque, encore une fois, la mère de Nick lui souligne qu’il semble être beaucoup plus lui-même lorsqu’il est avec Charlie.
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On veut plus de Heartstopper!

Heartstopper est non seulement une série – et un roman graphique – où la queer joy est présente, mais dépeint aussi une multitude de représentations sur l’identité et les vécus queer. On y retrouve une plénitude de personnages LGBTQ+. Les réalités de ces personnages ne sont pas présentées comme un monolithe de l’identité queer, et il est important que la représentation, particulièrement dans les produits culturels présentés en milieu scolaire, se distance de cette vision que l’expérience queer est la même pour tou.te.s (Allen, 2022).

Ne manquez pas la saison 2 d’Heartstopper, disponible dès maintenant sur Netflix, ainsi que notre critique culturelle sur la saison 1.

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Références
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