Les témoignages sont des textes produits par des personnes ne provenant pas obligatoirement des disciplines sexologiques ou connexes. Ces textes présentent des émotions, des perceptions et sont donc hautement subjectifs. Les opinions exprimées dans les témoignages n'engagent que leurs auteur.e.s et ne représentent en aucun cas les positions de la revue.
J’ai été banni.e de Tinder.
Pour quelles raisons? Je l’ignore, et c’est bien pour ça que la politique de bannissement de Tinder ne protège personne de ce qui m’est reproché.
Bien que je sois persuadé.e de n’avoir pas eu de comportements répréhensibles et de n’avoir enfreint aucune règle, il se peut que je me trompe et que j’aie causé du tort à une personne ou à ce que Tinder désigne comme sa « communauté ». Si tel est le cas, j’estime qu’il est de ma responsabilité et de mon devoir moral d’en prendre conscience, de réparer les pots que j’ai pu casser, si c’est pertinent et aidant, et surtout de ne pas recommencer.
Par conséquent, j’ai tenté de communiquer avec l’équipe d’assistance de Tinder. Voici ce que ça a donné :
Moi : « Bonjour! Il y a plusieurs années maintenant que je ne m'étais pas connecté.e à mon compte Tinder. Lorsque j'ai tenté d'y accéder il y a quelques minutes, un message m'informait que mon compte avait été banni. S'agit-il d'une erreur? Je n'avais jamais eu de problèmes lorsque je l'utilisais autrefois, et comme je ne l'ai pas du tout utilisé pendant plusieurs années, je ne comprends pas bien comment ceci a pu arriver. Pouvez-vous m'aider? »
Tinder : « Bonjour, Merci d'avoir contacté notre équipe. Votre compte a été banni de Tinder pour avoir enfreint nos Conditions d'utilisation et/ou les Règles de la communauté. Pour promouvoir la sécurité sur notre plateforme, nous prenons au sérieux les violations de nos politiques. Vous ne pourrez plus accéder à votre compte ni créer de nouveaux comptes à l'avenir. Veuillez consulter nos conditions d'utilisation et le règlement de la communauté pour plus d'informations sur nos politiques. Merci, [Nom de l’employé.e 1] »
Moi : « Bonjour, C’est en effet ce que disait le message qui s’est affiché lorsque j’ai tenté de me connecter à mon compte hier, mais je suis persuadé.e de n’avoir enfreint aucune règle à aucun moment durant toute mon utilisation de l’app. De plus, comme mentionné dans mon dernier message, mon compte a été banni durant la période de plusieurs années où je n’utilisais pas Tinder. Comment serait-ce alors possible que j’aie pu enfreindre une règle alors que je n’utilisais pas la plateforme? Cordialement, Claude [prénom fictif] »
Tinder : « Bonjour Claude, Merci pour le suivi. Nous prenons très au sérieux les violations de nos conditions d'utilisation et des directives de la communauté. Votre compte restera banni de Tinder et vous ne pourrez pas créer de nouveau profil Tinder en utilisant votre compte Facebook et/ou votre numéro de téléphone. Veuillez consulter nos conditions d'utilisation et nos directives communautaires pour plus d'informations sur nos politiques. Meilleur, [Nom de l’employé.e 2] »
Moi : « Bonjour, Merci pour le suivi. Je constate que je reçois deux fois la même réponse de votre part, et elle n’est pas une réponse à ma question. Est-ce possible d’avoir une interaction qui ne soit pas pré-enregistrée (car j’ai déjà effectué mon travail de recherche sur les conditions d’utilisation et les règles de la communauté, de même que sur les implications d’un bannissement, préalablement au message initial que j’ai envoyé à votre équipe de soutien aux utilisateurs et utilisatrices)? Jusqu’à présent, les renseignements que vous me fournissez ne m’aident pas à comprendre le problème. Je réitère que je suis persuadé.e qu’il s’agit d’une erreur, car je n’ai pas utilisé la plateforme durant plusieurs années, et que lorsque je l’utilisais, je n’avais pas eu de problèmes ni reçu de bannissement, d’avertissements, de plaintes, ou eu de conflits avec d’autres utilisateurs et utilisatrices. J’ai bien pris connaissance des politiques mentionnées et je crois n’avoir enfreint aucune règle. Je ne sais pas comment cette situation de bannissement a pu se produire, mais il s’agit d’une erreur et je suis disposé.e à collaborer pour que nous puissions résoudre le problème ensemble. Je suis par ailleurs soulagé.e de savoir que vous prenez les violations au sérieux. C’est important de le faire. Toutefois, il est également important que les erreurs soient reconnues et rectifiées lorsqu’elles se présentent. Cordialement, Claude »
Tinder : « Bonjour Claude, Merci pour le suivi. Malheureusement, nous ne pouvons pas fournir d'informations plus détaillées pour le moment. Veuillez consulter nos conditions d'utilisation et nos directives communautaires pour plus d'informations sur nos politiques. Meilleur, [Nom de l’employé 3] »
Devant cette impasse communicationnelle, j’ai envoyé un dernier message à l’équipe. Je sentais nécessaire de souligner l’absurdité de la démarche et la gravité de ses implications.
J’ai demandé si je devais en comprendre qu’aucune information sur les raisons qui justifient mon bannissement ne me seraient communiquées; s’il était attendu de moi que je cesse de m’enquérir de ce qui était reproché à mon utilisation de Tinder; si l’on s’attendait à ce que je comprenne ce qui m’était reproché et prenne conscience de ce que ça impliquait malgré l’absence de communication avec moi; si Tinder espérait par là qu’une telle politique de bannissement sans autre divulgation protège sa « communauté » d’utilisateurs et d’utilisatrices sur le long terme.
Je trouve que la situation est le symptôme d’un problème plus grand et bien plus important. Je parle de celui par lequel une culture de violences interpersonnelles peut exister et se maintenir dans le temps, entre autres parce que trop d’acteurs influents de la société – comme les célébrités, personnalités publiques, médias, entreprises technologiques et applications de rencontre – ne s’en mêlent pas. Tinder n’est ni le premier ni le dernier de ces acteurs à proposer des actions superficielles destinées bien plus à sauver les apparences qu’à faire partie de la solution.
Dans le cas que j’ai décrit, j’étais disposé.e à entendre les faits reprochés à mon profil ou à l’utilisation que j’aurais faite de la plateforme, ceci afin de comprendre ce qui a pu causer des torts et rectifier la situation à l’avenir (que ce soit sur Tinder ou sur une autre plateforme de rencontre, quelle qu’elle soit). Autrement dit, le cas échéant, modifier mes façons de faire pour ne pas perpétuer des violences interpersonnelles. Cette démarche et cette volonté sont loin de se manifester chez tout le monde. Il est regrettable que Tinder ne saisisse pas l’occasion d’avoir un impact concret et significatif dans la propagation de meilleures pratiques au sein de sa « communauté ».
En tant que personne utilisatrice qui a été confronté.e à des comportements problématiques de la part d’usagers et d’usagères par le passé, je trouve aussi décevant d’apprendre que les personnes que j’ai pu signaler ou qui ont pu se voir bannir pour d’autres raisons relatives au non-respect des règlements de la plateforme n’ont pas pu, elles non plus, être exposées à ce qui leur est reproché et n'ont donc conséquemment pas pu en tirer des apprentissages.
Bien entendu, un système de rétroaction trop précis pourrait menacer la confidentialité de personnes qui auraient dénoncé un profil. Ce genre de situation peut entraîner de la colère chez la personne bannie, qui pourrait choisir de la mobiliser de manière agressive et violente, ce qui n’est pas souhaitable. Tinder a donc aussi un devoir de protection envers les membres de sa plateforme. Néanmoins, il y a moyen de faire connaître les grandes lignes justifiant un bannissement sans laisser entendre qui a signalé, si tant est que ce soit même un bannissement basé sur des signalements. Par exemple, Tinder pourrait fournir un résumé général des types de comportements qui lui sont reprochés (p. ex. comportements inappropriés envers autrui, harcèlement, discours haineux, etc.), voire prétendre que ces comportements ont été repérés par un système de détection algorithmique plutôt que par d’autres utilisateurs et utilisatrices. Parce que des erreurs peuvent être commises par la plateforme, par les personnes qui l’utilisent et par les personnes responsables de prendre les mesures punitives, il est important que Tinder se dote d’un système de révision pour permettre aux personnes bannies de faire appel. Un processus d’examen doit permettre de réévaluer la décision s’il a été montré que celle-ci était une erreur.
Dans tous les cas, il semble qu’un bête bannissement mette davantage l’accent sur les manières de se recréer un compte que sur les manières de respecter les règles et les personnes (en témoignent d’ailleurs de nombreux articles en ligne et fils de discussion sur Reddit et Quora). Si la procédure de bannissement vise en effet à protéger la communauté et prévenir les infractions aux règles, il y a fort à parier que c’est une procédure vaine. J’ai bien du mal à concevoir que quiconque y gagne :
- Tinder perd des utilisateurs et utilisatrices ainsi que des revenus (étant donné qu’ils et elles représentent des sources de capitalisation);
- l’utilisateur ou l’utilisatrice banni.e perd son accès à la plateforme et perd aussi l’occasion de réfléchir à son rapport aux autres, avec qui il ou elle avait envie d’interagir;
- la communauté n’est pas protégée, car l’utilisateur ou l’utilisatrice problématique peut facilement revenir et continuer ses comportements négatifs, tant sur Tinder que sur d’autres applications de rencontres.
Dans une société où de plus de plus de personnes espèrent et souhaitent que chacun.e s’engage dans une démarche de respect de l’autre et des communautés, j’aurais voulu que de grands joueurs comme Tinder se dotent d’outils d’intervention plus efficaces et pourvus de valeur et de sens.
Il suffit de ne pas se sentir responsable du problème pour continuer son chemin dans le statu quo. Et l’univers sait que les personnes aux comportements problématiques sont rarement celles qui se sentent responsables du problème...
En attendant un monde meilleur, il me reste à décider si j’accepte le bannissement ou si je préfère le contourner grâce aux pleins pouvoirs que Tinder m’a laissés.
Commentaires