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Chronique • L’escalator des relations amoureuses

26 mai 2024
Gwendoline Lüthi, sexologue
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Il est probable qu’au moins une fois dans votre vie vous ayez emprunté un escalator électrique, donc un escalier qui monte ou qui descend, mais duquel vous ne pouvez descendre que lorsque vous êtes arrivée au bout. Quel lien avec la sexologie et les relations me demandez-vous? Et bien sachez que l’autrice et journaliste Amy Gahran décrit d’intéressantes similitudes entre un escalator et la façon dont les relations amoureuses se construisent dans la société Nord-Américaine contemporaine dans son ouvrage intitulé Stepping Off the Relationship Escalator (Gahran, 2017). 

Il est possible d’observer de nombreux exemples dans les médias les plus populaires comme le cinéma ou les séries télévisées de tous genres, comme par exemple How I Met Your Mother, où le personnage de Ted cherche la future mère de ses enfants tout au long de la série. Le même phénomène s’observe dans la série Friends, où l’on voit les personnages chercher l’amour au travers des différentes saisons. Comme l’explique Gahran, ces histoires mettent de l’avant un modèle hétérocisnormatif comportant plusieurs étapes qui mène inévitablement à une relation monogame et une vie de famille. Ce que l’on peut considérer comme le haut de la hiérarchie sociale, puisque selon la théorie, ce sont les individus au sommet de cette pyramide à qui l’on accorde le plus de valeur. L'autrice donne un exemple très parlant d’une question souvent posée dans le cadre d’un début de relation : « on s’en va où avec cette relation? » (Gahran, 2017). C’est un peu comme s’il fallait que la relation se dirige dans une direction précise sans qu’aucune déviation ne soit possible, sans quoi on considérera cela comme un échec. Le but ultime de l’escalator étant d’atteindre le plus haut point : une relation monogame à long terme (sexuelle, romantique et exclusive entre deux personnes). Notez que ce modèle n’est pas exclusif aux relations hétérosexuelles; la journaliste précise que les personnes des communautés LGBTQ+ n’échappent pas à ces injonctions. 

La théorie d’Amy Gahran nous rappelle celle des scripts sexuels¹ de Simon et Gagnon (Monteil, 2016) comme pour décrire et mettre un cadre autour de ce que les gens « devraient ou ne devraient pas faire » pour atteindre le sommet de l’escalator. Elle explique que la théorie de l’escalator des relations amoureuses comportent huit étapes que les couples « escaladent » pour atteindre le haut de la hiérarchie sociale. Ces étapes sont les suivantes : 

  1. établir le contact ou s’engager dans une relation plus intime (aller en date, flirter, etc.);

  2. amorcer une relation amoureuse au travers de gestes d’amour, sans oublier de partager une intimité sexuelle;

  3. définir la relation officiellement publiquement pour s'identifier comme un couple (c’est ma blonde/mon chum) et déclarer une exclusivité amoureuse et sexuelle. Cette étape peut aussi être celle d’un changement dans la méthode de contraception pour des relations sexuelles sans condom;

  4. établissement d’un rythme de vie en accord avec chacun.e des partenaires et développer des habitudes quant au temps passer ensemble, aux habitudes sexuelles et à la communication;

  5. s’engager pour des projets sur le long terme et rencontrer les familles respectives;

  6. fusionner les biens physiques et financiers, emménager ensemble et partager un quotidien;

  7. conclure l’entente de vouloir continuer une vie ensemble en se mariant et/ou en ayant un.e enfant²;

  8. prévoir un héritage ou une passation de biens, comme l’achat d’une maison, avoir et élever des enfants. Cette étape n’est pas aussi nécessaire qu’il y a 20 ou 40 ans, mais certaines personnes la perçoivent comme l'ultime accomplissement.

Ce fonctionnement social attendu peut invalider, voire invisibiliser les relations qui ne correspondent pas à ce modèle. Nommons par exemple la non-monogamie éthique, le célibat, la monoparentalité, décider de ne plus vivre avec sa ou son partenaire, etc. Soulignons qu’il ne s'agit pas ici de diaboliser les relations de types « conventionnelles », mais plutôt de questionner si ces relations nous conviennent. 

« Un escalier électrique permet seulement de monter ou descendre, donc on est obligé d'aller dans un sens ou dans l'autre, mais lorsqu’on est sur l’escalator, on ne peut pas descendre ou monter comme on veut. » (Gahran, 2017). 

La difficulté avec ce modèle de relation est que les retours en arrière, le fait d'en dévier ou  même de ne pas y adhérer peut être considéré comme un échec et donc générer des émotions négatives en lien avec les relations amoureuses et/ou sexuelles. Il est donc important de questionner son rapport aux relations afin de trouver quel mode est plus adapté à ce que l’on recherche. 

Pour aller plus loin dans vos réflexions, la lecture de l’ouvrage de Amy Gahran vous permettra de découvrir d’autres modèles relationnels qui ont fonctionné puisqu’elle donne de nombreux exemples tirés de témoignages. Si vous avez d’autres questionnements en lien avec les différents modèles relationnels ou si vous avez besoin de soutien dans vos réflexions, vous pouvez vous faire accompagner par un.e sexologue.

***

¹Selon cette théorie, l’apprentissage et la pratique de la sexualité passent par l’acquisition et la compréhension de ce qui détermine un acte, un geste, un moment ou une interaction comme étant de nature sexuelle. Cela permet aux individus de reconnaître les situations sexuelles afin de réagir de la façon attendue.

² L’autrice précise qu’il n’y a pas d’obligation à avoir un.e enfant, mais que les pressions sociales peuvent jouer un rôle.

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Sources
relations, LGBT, queer, sexologie, iinterpersonnel, polyamour

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