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Bilan • Dévoiler les violences invisibles ; bilan sur le contrôle coercitif

28 novembre 2024
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Avant, on croyait que la violence domestique consistait à une série d’incidents violents et épisodiques. Encore aujourd’hui, plusieurs personnes ne croient pas être victimes de violences domestiques, tant qu’elles n’ont pas été frappées (Landry, 2024; RMFVVC, 2022). De plus, au Canada, la police ne peut arrêter une personne violente que si elle a commis des incidents précis dans le temps et l’espace (Landry, 2024). Aujourd’hui, on réalise qu’il y a beaucoup plus que ça, que la violence domestique est omniprésente et constante, tout en étant invisible. Depuis 2007, un nouveau mot a révolutionné la façon de voir les violences domestiques : le « contrôle coercitif » (Evan Stark, 2007). Une loi est en voie d’être acceptée pour criminaliser le contrôle coercitif. Inspiré des démarches antérieures et à l’international, le Canada souhaite réduire les conséquences du contrôle coercitif chez les victimes principales et leurs enfants. Pour ce faire, le système de justice et la police ont un grand rôle à jouer.

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Définir le contrôle coercitif

Le contrôle coercitif est un amalgame de tactiques contrôlantes qui imposent un climat de terreur chez les victimes, dans le but de la dominer (RMFVVC, 2022; Côté et Lapierre, 2021). Le mot « contrôle » fait référence à la privation de droits, à la privation de ressources et à une série de règles contraignantes à respecter. Le mot « coercitif » pour sa part fait référence aux stratégies utilisées pour obtenir ce que l’on souhaite de la victime, dans l’immédiat. Il y a donc un effet cumulatif de plusieurs petits éléments dans le temps, et contrairement aux violences physiques, le contrôle coercitif n’est pas aussi visible. De plus, l’emprise peut continuer même après une séparation du couple, par exemple à cause de la garde des enfants ou pour la vente de biens communs (Nations Unies, 2023; RMFVVC, 2022).

Selon Me Élise Joyal-Pilon de Rebâtir, le contrôle coercitif est « une toile d’araignée » tissée lentement autour de la personne victime (Landry, 2024). Le but est d’exercer une emprise sur l’autre. Santé Canada a révélé que seulement 20 à 40% des cas de violence domestique comportent de la violence physique (RMFVVC, 2022). Tout le monde peut être victime de violences intimes entre partenaires, mais 79% des cas sont commis par des hommes sur les femmes, signale la police canadienne (Conroy, 2021; Côté et Lapierre, 2021)*. Le contrôle coercitif est aussi l’un des facteurs de risque principal pouvant mener à un féminicide, explique Élise Joyal-Pilon, professeure de sociologie à l’Université de Nouveau-Brunswick (Landry, 2024). Dans les cas de féminicide, la personne victime subissait, dans 92 % des cas, du contrôle coercitif, mais pas de violences physiques. C’est ce que Karine Barette avocate, dénonce (Noël et Plamondon, 2024).

Voici une liste d’éléments considérés en contrôle coercitif : surveillance, humiliation, dénigrement, critiques, jalousie, violence économique, isolement, interrogatoires, manipulation, harcèlement, intimidation, menaces,  privation de libertés, de biens ou de moyens, perte de dignité, obligation à faire quelque chose de non voulu, gaslighting (manipulation mentale où l’information est transformé à l’avantage de la personne abusive) (AFL, 2024; Noël et Plamondon, 2024; RMFVVC, 2022). On peut repérer le contrôle coercitif à travers des exemples comme recevoir 50 messages en 30 minutes, se faire interdire de porter certains vêtements, être contraint.e à la maison et ne pas pouvoir aller travailler, être coupé.e de sa famille et de ses ami.e.s, être constamment surveillé.e, être dénigré.e…

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Projet de loi C-332

Le projet de loi C-332 a été proposé à la Chambre des communes du Canada par la député Laurel Collins du NPD en 2023 (Noël et Plamondon, 2024; Ha, 2024) Il vise à modifier le Code criminel pour ajouter les conduites contrôlantes et coercitives comme des crimes punissables par la loi (Chambre des communes, 2023). Bref, il s’agit de criminaliser le contrôle coercitif. Le projet de loi C-332 a été voté à l’unanimité à la Chambre des communes en juin 2024. Il ne manque qu’une étape pour que la loi soit officielle: l’assentiment du Sénat. Si tout va bien, ce devrait être fait avant la fin de l’année (Noël et Plamondon, 2024). Sommaire du Projet de loi :

Le texte modifie le Code criminel afin d’ériger en infraction le fait de se livrer à une conduite contrôlante ou coercitive qui a un effet important sur la personne envers laquelle elle est dirigée, tel la crainte de violence, le déclin de sa santé physique ou mentale ou un effet préjudiciable important sur ses activités quotidiennes. (Chambre des communes, 2023)

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Démarches antérieures de criminalisation du contrôle coercitif

L’Angleterre et le Pays de Galles ont été les premiers pays à criminaliser le contrôle coercitif (2015), suivi de l’Irlande du Nord et de l’Écosse (2018) (Marin, 2024; Landry, 2024; RMFVVC, 2022). De plus, certains États américains et des États australiens ont aussi une loi qui criminalise le contrôle coercitif (RMFVVC, 2022). Le Québec a justement profité de l’expérience des pays européens pionniers pour construire un programme solide et bien former les professionnels du milieu judiciaire (Landry, 2024; Marin, 2024). Au Canada, d’autres projets de loi ont été proposés pour criminaliser le contrôle coercitif en 2021 et 2022, mais le changement de gouvernement à travers les procédures a annulé le travail à chaque fois (RMFVVC, 2022).

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Impact sur les victimes

Il y a d’innombrables conséquences dans diverses sphères de la vie des victimes. Les violences conjugales peuvent : (RMFVVC, 2022)

  • Anéantir l’estime de soi, la confiance et le discernement;
  • Éliminer le sentiment d’individualité, jusqu’à ne plus être capable de prendre ses propres décisions
  • Atteindre sa santé psychique et physique;
  • Induire de la paranoïa ou des pensées délirantes
  • Induire des traumatismes, un syndrome post-traumatique, des cauchemars, des flash-back ou de la dissociation;
  • Amener de l’évitement, de l’hypervigilance, de la honte, de la terreur, de la culpabilité qui mène parfois au suicide.

Il n’est pas sans reste pour les enfants témoins de contrôle coercitif, et globalement de violence domestique. L’exposition à ce type de violence est notamment la première source de « mauvais traitement psychologique » faite aux enfants. Elle compte respectivement pour 34% et 21% des cas au Canada et au Québec. Ceux et celles-ci peuvent :

  • Vivre un traumatisme;
  • Vivre de la peur et du stress dans un environnement non sécuritaire et dans un climat de tension;
  • Subir un choc post-traumatique, faire une dépression ou vivre de l’anxiété;
  • Se désengager de l’école. (RMFVVC, 2022)

Les effets sur les enfants affectent toutes les sphères de leur vie et de leur développement. Par exemple, le stress peut amener un développement précoce du cerveau, du système immunitaire et du système nerveux (RMFVVC, 2022). De plus, les garçons victimes ont plus de risque de devenir des hommes violents à leur tour selon une étude de l’OMS (RMFVVC, 2022)*.

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Rôle du système judiciaire

Actuellement, la police peut seulement agir face à la violence domestique si les infractions suivantes sont commises : « voies de fait », « dommage à la propriété » ou « harcèlement criminel », soit des incidents isolés dans le temps (Landry, 2024). L’ajout de la loi C-332 permettra aux personnes victimes de contrôle coercitif d’être protégées par le système de justice (RMFVVC, 2022). Des rapports et études en Europe ont montré l’importance de la formation des personnes travaillant en violence domestique avant l’adoption de la loi criminalisant le contrôle coercitif (Marin 2024; Ha 2024). Au Québec, la sensibilisation a déjà commencé depuis 2021. Une formation sur le contrôle coercitif a été donnée à plus de 6000 personnes, dont des milliers d’employés de 9 corps policiers par le Regroupement des maisons de femmes victimes de violence conjugale (RMFVVC), avec la collaboration de 30 personnes du domaine socio-juridique (Noël et Plamondon, 2024).

Le corps policier patrouilleur a notamment un rôle de première ligne pour démystifier la présence de contrôle coercitif sur le terrain. À la Sûreté du Québec, ils, elles et iels doivent valider le niveau de sécurité de la personne, prendre conscience de l’environnement où la personne victime se trouve, créer un lien de confiance tout en expliquant ou rappelant les options disponibles et lui référer les ressources à sa disposition. L’objectif est de déceler plus tôt la présence de violence domestique et de mettre en place un « filet de sécurité » pour les victimes. (RMFVVC, 2022) 

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Opinions divergentes

Pour certaines personnes, l’ajout de cette loi n'aura pas l’effet escompté. Par exemple, sans éducation, sans formations adéquates, sans assimilation des nouvelles pratiques et sans l’expertise des spécialistes, la loi serait insuffisante. Pour d’autres, la loi pourrait aussi augmenter les préjudices chez les personnes autochtones ou racisées, déjà surreprésentées dans le système de justice pénale. Le l’autre côté il est dit que la criminalisation du contrôle coercitif aiderait les victimes à avoir confiance au système de justice et seraient plus enclines à demander de l’aide. La loi pourrait permettre des interventions en amont et pourrait éviter certains féminicides, par exemple. (Ha, 2024)

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Quelques ressources pour en apprendre plus
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Références
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*Ce texte utilise les termes « homme » et « femme » pour réfleter le vocabulaire utilisé dans les recherches citées. Les 3 sex* critique l’invisibilisation des personnes LGBTQ+ de ces recherches. L’utilisation de « homme » et « femme » n’est pas définie, il est alors impossible de savoir si des personnes trans et/ou non binaires ont été consultées. De plus, les personnes LGBTQ+ sont seulement mentionnées dans un encadré, au détour de l’explication de l’expression « violence commise par des partenaires intimes ». Pour en savoir plus sur les violences insidieuses entre personnes queer, Les 3 sex* vous invite à consulter son projet « Te reconnais-tu? Tu peux faire mieux. Choisis la non-violence. »

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