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Chronique • Le stealthing et la coercition reproductive, c’est quoi? Des pratiques inquiétantes qui méritent d’être documentées

23 mai 2017
Catherine Rousseau | M.A.; Sylvie Lévesque | PhD; Sarah Beauchemin-Roy - collaboration - | B.A. Sexologie, M.A. Sexologie (en cours)
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Un tour d’horizon rapide des médias sociaux (et de Google) confirme nos doutes : le retrait du condom lors des relations sexuelles, à l’insu du partenaire qui se fait pénétrer, communément appelé le stealthing, n’est ni une légende urbaine, ni un phénomène isolé (HuffPost, mai 2017 ; Journal de Montréal, mai 2017 ; Journal de Québec, mai 2017). Se produisant autant chez les femmes que chez les hommes qui ont des relations sexuelles avec des hommes, le retrait non consensuel du condom lors des relations sexuelles peut entraîner des conséquences négatives importantes, tant sur le plan de la santé physique (par exemple, infections transmises sexuellement et par le sang [ITSS], grossesses non-désirées, recours accru à l’interruption volontaire de grossesse [IVG]) que psychologique (p. ex., sentiment d’avoir été trompé.e, abusé.e, peur, honte, etc.) (Brodsky, 2017).

Ce qui caractérise le stealthing, c’est l’absence de consentement à une relation sexuelle sans condom.

En effet, alors que la relation sexuelle a été consentie, cette entente sexuelle repose sur la présence d’une barrière de latex entre le pénis et les muqueuses qui se font pénétrer.

Mais c’est précisément parce qu’il s’inscrit dans une activité consentie par les deux partenaires que le stealthing génère de la confusion chez la personne qui le subit (comment nommer ce qui vient de m’arriver ?), le sentiment d’avoir été trompé, mais aussi, parfois, une part de culpabilité. Comme s’ils-elles étaient responsables, en partie, de cette violence parce qu’ils-elles ont dit oui à une relation sexuelle.

C’est un phénomène inquiétant qui doit être dénoncé. Surtout lorsqu’on lit, sur des blogues, les conseils, commentaires et encouragements que s’offrent certains hommes (voir experience project) pour mousser cette pratique.

Dans le cadre de nos travaux de recherche actuels, nous concevons le stealthing qui se produit entre partenaires hétérosexuels comme la pointe de l’iceberg d’un phénomène plus large: la coercition reproductive (CR)

À l’intersection des domaines des violences faites aux femmes et de la santé reproductive, la CR fait référence à des comportements qui interfèrent avec la contraception et la planification des naissances et réduisent l’autonomie reproductive féminine (Silverman et Raj, 2014).

Issu du latin constringere, le terme coercition renvoie à l’action de contraindre, soit d’obliger quelqu’un à agir d’une certaine manière, de l’amener à telle action ou tel état, malgré sa volonté et son désir. Il s’agit d’un concept émergent encore peu documenté et peu utilisé dans les enquêtes sur les violences, notamment au Québec. Toutefois, les études menées aux États-Unis démontrent de façon convaincante qu’il ne s’agit pas d’un phénomène isolé : les taux varient entre 8 % et 26,9 % chez les femmes en âge de procréer (Black et al., 2011; Clark et al., 2014; Katz et al., 2015; Miller et al., 2010a; Silverman et al., 2011; Sutherland et al., 2015). De façon plus ciblée, les données obtenues auprès d’un échantillon de jeunes femmes âgées de 16 à 29 ans révèlent que 19,1 % avaient été victimes de coercition quant à l’issue de leur grossesse, alors que 15 % avaient été victimes de sabotage contraceptif (Miller et al., 2010a). Pour l’instant, les données empiriques sont très limitées pour le stealthing et la CR vécus par les hommes, tant à l’international qu’au Québec. 

Outre le stealthing, comment se manifeste la CR ?

Bien que le cadre dans lequel elle se produit et le sens qu’on lui attribue varient selon les études retenues, il est reconnu que la CR se traduit par des comportements de contrôle et de force qui sont infligés dans le but d’interférer ou d’orienter la trajectoire contraceptive et reproductive de l’autre partenaire (American College of Obstetricians and Gynecologists, 2013; Francis et al., 2015; E. Miller et al., 2010b). Elle se manifeste sous trois formes principales.

La première forme réfère au sabotage contraceptif, où un partenaire cherche à nuire à la contraception de l’autre partenaire (p.ex., en retirant le condom lors de la relation sexuelle, en perçant un trou dans le condom ou en détruisant les pilules contraceptives).

La seconde forme renvoie aux pressions relatives à la grossesse, où un partenaire menace de rompre la relation si l’autre partenaire ne devient pas enceinte (p.ex., menacer d’infidélité), ou de la blesser physiquement si elle utilise (ou non) la contraception afin de contrôler la survenue d’une grossesse.

La troisième forme de CR, la coercition durant la grossesse, renvoie au contrôle que l’un des partenaires va exercer sur l’autre afin de décider seul de l’issue de la grossesse (p.ex., en empêchant la partenaire d’avoir recours à une IVG) (Chamberlain et Levenson, 2012; Clark et al., 2014; Miller et al., 2010a; Miller et Silverman, 2010; Moore et al., 2010; Silverman et al., 2010).

La CR se produit généralement dans un contexte de relations intimes entre deux partenaires, où il y a présence de relations sexuelles. Comme le signale Logan (2015) au sujet de la coercition sexuelle, il y a présomption d’un consentement continu à l’égard des relations sexuelles au sein d’une relation intime; plus spécifiquement « il y a présomption que la relation sexuelle consentante crée un précédent de consentement qui est particulièrement difficile à analyser distinctement de la coercition sexuelle ou de l’absence d’autonomie dans le consentement » (p.112, traduction libre). Toutefois, comme l’indique de façon très à-propos le jugement de la Cour Suprême du Canada (2014)1, un consentement doit être fait au regard des paramètres dans lesquels se déroule la relation sexuelle.

Ainsi, un acte de tromperie comme celui de mentir au sujet du préservatif invalide la notion de consentement. La CR n’est pas librement consentie, même si la relation sexuelle peut l’être.

Un projet* de recherche essentiel pour documenter cette problématique

Si les chiffres présentés plus haut traduisent l’ampleur de ce phénomène, peu d’informations empiriques et théoriques sont documentées pour comprendre la problématique de la CR (Lévesque et Rousseau, 2016). C’est dans cette intention que nous rencontrons actuellement des jeunes femmes âgées entre 18 et 29 ans afin qu’elles nous partagent leur vécu de stealthing et de CR. Par le biais de leurs témoignages, nous souhaitons pouvoir améliorer les connaissances sur la CR et approfondir les liens qui la rattachent, ou la distinguent, des autres formes de violence pouvant se manifester dans le cadre de relations intimes.

Ce projet* favorisera aussi l’identification des besoins d’intervention et d’information des jeunes femmes ayant vécu de la CR afin de guider le développement d’interventions adaptées et permettra, à terme, la sensibilisation des professionnel.le.s de la santé et des intervenant.e.s sociaux à cette problématique.

Ce projet*, financé par les Fonds de recherche du Québec - Société et culture (FRQSC), a obtenu l’approbation éthique du Comité institutionnel d’éthique de la recherche avec des êtres humains de l’UQAM. Chaque entrevue individuelle est d’une durée d’une heure à une heure et demie. Cette entrevue peut être réalisée dans les locaux de l’UQAM, à un endroit de votre choix, ou encore par support vidéo (Skype). Un dédommagement est offert aux participantes. Des procédures sont mises en place pour assurer l’anonymat et le caractère confidentiel des données.

 * Ce projet de recherche est maintenant terminé.

1 Une décision importante a été rendue par la Cour Suprême du Canada en 2014, qui conclut que le sabotage contraceptif constitue une agression sexuelle (Cour Suprême du Canada, 2014). Un homme a été arrêté en 2012 après qu’il eut fait des trous dans les condoms qu’il utilisait avec sa partenaire, à l’insu de celle-ci. À dessein, l’homme voulait lui faire porter son enfant et a agi de façon à parvenir à ses fins, même s’il savait que sa partenaire n’était pas consentante. Le consentement accordé par la femme concernait la relation intime, mais dans des conditions particulières, soit avec la protection (le port du condom), pour éviter une grossesse. Le consentement de la femme a été reconnu comme n’étant plus valide puisqu’elle avait donné son consentement pour une relation sexuelle protégée (Trawick, 2012). Cette décision, maintenue par le tribunal de plus haute instance au Canada suite à un pourvoi de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse, a permis de mettre en lumière l’une des nombreuses manifestations de la CR.

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Mise à jour 2020: Les résultats du projet de recherche amorcé lors de la publication de la chronique en 2017 sont maintenant accessibles. 
La coercition reproductive : Exploration qualitative des expériences des jeunes femmes adultes québécoises. 
☛ https://www.levesque.uqam.ca/wp-content/uploads/RapportCoercitionReproductive_compress.pdf
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Références
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Pour citer cette chronique :

Lévesque, S., Rousseau, C. et Beauchemin-Roy, S. (2017, 23 mai). Le stealthing et la coercition reproductive, c'est quoi? Des pratiques inquiétantes qui méritent d'être documentées. Les 3 sex*https://les3sex.com/fr/news/31/chronique-le-stealthing-et-la-coercition-reproductive-c-est-quoi-des-pratiques-inquietantes-qui-meritent-d-etre-documentees 

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