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Témoignage • Anarchique sexuelle par défaut

4 mars 2019
Arielle
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Les témoignages sont des textes produits par des personnes ne provenant pas obligatoirement des disciplines sexologiques ou connexes. Ces textes présentent des émotions, des perceptions et sont donc hautement subjectifs. Les opinions exprimées dans les témoignages n'engagent que leurs auteur.e.s et ne représentent en aucun cas les positions de l'organisme. 

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Je suis réellement fascinée par la sexualité humaine. Vraiment. Je crois que ma fascination a débuté le jour où j'ai commencé à me questionner sur mon orientation.

Non, je ne vous fais pas un coming out lesbien, où, dans cette société binaire, tout doit être soit l'un soit l'autre : soit hétérosexualité soit homosexualité.

Je ne suis ni l'un ni l'autre; ni bi, même pas pan, peut-être queer. Par contre, je suis plus à l’aise avec le terme « asexuelle », car je ne ressens aucune attirance sexuelle envers personne.

Je ne rentrerai pas dans les détails explicatifs de ce qu'est l'asexualité. C'est plutôt complexe et ceci est un témoignage et non un article éducatif ou de la propagande asexuelle.

Chaque fois que je mentionne mon asexualité, j'ai besoin d'éduquer, de renseigner et même de me justifier!

Et oui, justifier que je ne suis pas contre la sexualité et qu'au contraire, j'encourage fortement les gens à vivre leur sexualité de façon saine. Chaque personne a une sexualité différente et j'ai aussi la mienne.

À la minute où je nomme mon orientation, je remarque les barrières personnelles qui tombent. J'ai droit à une panoplie de questions, souvent déplacées, auxquelles je n'aurais normalement pas droit en d'autres cas. On me demande mes habitudes de masturbation, mes antécédents sexuels et on gratte les bobos de mon enfance pour prouver à tort que je ne suis pas réellement asexuelle. Je n'ai pas besoin qu’on se comporte avec moi comme des psychologues. Une telle intrusion dans ma vie me fait haïr mon orientation même si je suis normalement en paix avec elle. Elle. Oui, je la considère parfois comme une entité séparée tellement elle prend de la place dans mon intimité.

Pour être honnête, le questionnement identitaire d'asexuel.le est indubitablement difficile.

Comment savoir ce qui nous attire lorsque la réponse est : rien?

Je blague souvent en ajoutant : « pas même les animaux, les objets ou les enfants ». Je sais, l'humour noir n'est pas incroyablement drôle pour certain.e.s, mais cela permet de moins stigmatiser mon orientation. Je dis « stigmatiser », car c'est ce qui arrive dans la majorité des cas, c’est-à-dire que les propos et questions que je reçois me font l’effet d’un stigmate. Ces paroles souvent inconscientes de la part des autres affectent comment j’interagis avec eux, la confiance que je leur porte et mon estime de soi.

J'ai moi-même pensé à toutes les possibilités et à toutes les questions qu'on me pose lorsque j'étais dans ma période de réflexion que j'appelle affectueusement « ma crise identitaire d'asexuelle ». Je me suis même demandé si j'avais vécu un traumatisme sexuel dans mon enfance que je ne me rappellerais pas dû à un possible choc post-traumatique! Ne venez donc pas me suggérer la cause de mon orientation en croyant que vous allez trouver une solution pour me rendre « normale ».

Toutes ces suggestions invalident inconsciemment mon asexualité et cela s'appelle du déni de l'autorité épistémique : on me refuse mon identité sexuelle.

Je me suis rendu compte que l’ignorance jouait un grand rôle dans ce déni de l’autorité épistémique. C’est tout à fait naturel de se poser des questions sur un sujet qui ne nous est pas familier, mais l'intolérance des autres envers ce qu’ils ne comprennent pas devient lourde à porter.

Je crois même observer ce même phénomène chez les professionnel.le.s de la santé qui pathologisent l'asexualité, surtout parce qu’ils la confondent avec le trouble de baisse du désir sexuel qui se trouve dans le DSM (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux). Une personne asexuelle sera beaucoup moins stigmatisée si elle affirme haut et fort son orientation puisqu'elle ne semblera pas souffrir d'une détresse quelconque. Je m’explique : je dois toujours et encore insister sur mon orientation pour éviter cette pathologisation. Une fois, ma psychologue m'a naïvement demandé : « Être asexuelle, tu penses que ça se peut? ». Je crois avoir bafouillé un faible « oui », mais je n'ai pas insisté, puisque j'étais en plein dans ma crise identitaire d'asexuelle. C’était sans doute un peu d’ignorance de sa part et même si je n'étais pas là pour explorer ce sujet, je redoutais qu’elle revienne sur le sujet pour me « traiter ». Depuis ce jour, même si mon expérience personnelle aurait pu être pire, j'appréhende les rendez-vous chez les professionnel.le.s de la santé, peu importe le domaine, parce que je redoute les confrontations avec ces gens qui ont supposément une plus grande crédibilité grâce à leur diplôme.

Or, l'asexualité cause aussi parfois de la détresse (stigmatisation, marginalisation, préjugés, détresse reliée à l'échec de trouver un partenaire romantique parce que oui, les personnes asexuelles peuvent aussi avoir une vie amoureuse…) Et tout cela mène à un mauvais diagnostic chez les professionnel.le.s de la santé qui pathologisent l'asexualité.

Il est difficile pour moi d’imaginer pourquoi il est si important de se forcer à s’épanouir sexuellement alors que je n’en ressens pas le besoin. Puisque je suis à l’opposé d’une personne allosexuelle (qui a besoin d’autrui pour satisfaire ses besoins sexuels), je me demande si je vis dans une société centrée sur la sexualité ou si c’est seulement moi qui a l’impression que la sexualité est partout.

Parfois, je me demande où se trouve ma place d’asexuelle dans ce monde hyper centré sur la sexualité. Et je me réponds intérieurement et sarcastiquement : « Sûrement dans les lettres qui se trouvent cachées dans le + du LGBTQ+ ». Pourtant, je ne me sens à ma place nulle part. Encore moins lorsqu’on confond le terme « asexuel.le » avec celui d’« allié.e.s » ou avec celui d’« asexué.e.s » (qui signifie qui n'a pas de sexe — nous parlons ici d'organes génitaux), parfois même avec « chasteté », « abstinence », et j’en passe.

Comparer mes désirs et mes besoins sexuels à ceux que j'observe chez les autres, c’est un peu ce qui m’a permis de me renseigner et de comprendre l’asexualité. Mais alors, qu'est-ce qu'est vraiment la normalité sexuelle? Si j'avais personnellement à répondre à cette question, je répondrais que c'est un construit social.

Peut-être devrait-on se tourner vers le féminisme, qui prône l'égalité, pour avoir la légère impression que l'asexualité est valide. Alors, parlons de féminisme, de révolution et de liberté sexuelle.

D'un côté, je me sens choyée de pouvoir vivre dans une société dite ouverte à la diversité sexuelle, du moins plus ouverte qu'à plusieurs autres endroits. Je lis de nombreux articles où les auteur.e.s affirment que la sexualité n'apporte que des bénéfices à la santé humaine ainsi qu'à une vie conjugale saine et heureuse. Malgré tout, je peux vous assurer et vous affirmer que le sexe ne m'apporterait qu'aliénation psychologique. Ce n'est pas que le sexe en soi me semble comme une corvée, mais un peu quand même, étant donné que personne ne m'attire sexuellement.

Comme je l'ai déjà mentionné, le manque d'attirance sexuelle est parfois vu comme un trouble, alors que pour moi le trouble vient après. Après avoir pensé ou m’être fait dire que je dois être quelqu'un de « sexuel », après qu'on ait douté de mes propos et surtout après ne pas m’être écoutée et m'être forcée à avoir des rapports sexuels... J'aurais dû me douter que je n'avais pas besoin de ce après pour savoir envers qui je n'étais pas attirée.

J’ai l’impression qu’en général la sexualité et la liberté sexuelle sont utilisées pour vendre, attirer l'attention, être accepté.e socialement et je considère que l'absence de sexualité est jugée négativement à un point tel qu'elle est considérée néfaste au bien-être et vue comme une pathologie.

Même si la revendication de mon identité asexuelle n'est pas nécessairement perçue comme une frustration, un trouble sexuel, un trouble psychologique ou une conséquence d'un traumatisme, elle risque toutefois d’être considérée soit comme de l'immaturité sexuelle soit comme de l'anarchisme sexuel s'opposant au patriarcat et à la masculinité toxique en refusant tout acte sexuel. Si seulement c'était le cas! Navrée de vous décevoir, ce n'est qu'une orientation parmi tant d'autres, celle de n'éprouver aucune ou très peu d'attirance sexuelle.

De plus en plus, j'ai l'impression que les mouvements féministes revendiquent maintenant le plaisir sexuel féminin. Moi aussi, je suis féministe. Moi aussi, je revendique mon plaisir, même s'il n'est pas le même que celui des autres. Cela, je dois sans cesse l'expliquer.

Par conséquent, je deviens par défaut une anarchiste sexuelle qui lutte pour vivre sa sexualité hors des normes conçues par la société. Pas par choix, mais par nécessité. Je deviens aussi automatiquement porte-parole, modèle ou éducatrice pour les gens de mon entourage pour tout ce qui concerne l'asexualité. Encore une fois, pas par choix, mais parce que je suis la seule source d'information qu'ils aient. Possiblement me dira-t-on d'attendre puisque les cours d'éducation sexuelle à l'école feront leur retour en force et je rirai d'un rire véritable comme si c'était la blague la plus drôle que je n'aurai jamais entendue. L'asexualité est trop souvent invisible et j'ai bien peur qu'elle le sera dans l'éducation.

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