Crédit photo : Francis Riendeau

Témoignage • Le naturel et le rire

31 mai 2019
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Les témoignages sont des textes produits par des personnes ne provenant pas obligatoirement des disciplines sexologiques ou connexes. Ces textes présentent des émotions, des perceptions et sont donc hautement subjectifs. Les opinions exprimées dans les témoignages n'engagent que leurs auteur.e.s et ne représentent en aucun cas les positions de la revue.

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À tous les yeux écarquillés, à vous les rires moqueurs. Aux doigts pointés dont l’ombre ne vise que moi. Je suis fière d’avoir fait votre journée, de savoir qu’aujourd’hui, j’ai pu vous permettre de trouver un sujet de conversation. Vous avez fait les gros yeux ; je vous ai bel et bien hypnotisé.e.s.

Oui, je vous ai fait cadeau de la conversation, vous avez pu rire de ce que vous avez vu avec les membres de votre entourage… À savoir : mon poil. Car me voir dans le métro, dans la rue, à la bibliothèque, n’a certes rien d’inoubliable. De ce fait, grâce à vous, je suis devenue clowne, artiste de rue, évadée de cirque, animale de foire, etc. Tout ça malgré moi.

Vous savez, ce sont comme les feuilles des arbres. Plus nombreux encore, plus beaux encore. Le mois de juillet 2019 célébrera mes six ans de pilosité. Et oui, ils sont doux, et oui, ils sentent bon. Je me suis déjà retrouvée, après quelques verres, à leur avouer que ce que je leur préfère, c’est de les voir, de les sentir frétiller au vent, sentir le vent s’y faire un passage comme dans un labyrinthe, sentir le vent les hérisser de tout leur pouvoir. Ils sont plus vivants que vous. Ils vous survivront.

Ils sont comme les feuilles des arbres. Pour moi, ils sont plus. Mais pour vous, ils sont pires.

Vous savez, je ne pourrais pas être plus risiblement satisfaite de savoir que je vous dégoûte. Car oui, c’est risible.

Et j’entends que je dois justifier ce naturel. Alors que née femme, je fuis souvent moi-même la femme en moi par fluidité, qui êtes-vous pour soudain exiger que je justifie la présence de ce que vous avez déjà, littéralement, brûlé? Je ne vous dois pas l’explication qui, une fois entendue, vous sera incompréhensible. Ce qu’on entend et ne reconnaît pas est Autre – comme une langue qu’on ne comprend pas ; comme le nom d’une ville qu’on ne connaît pas. Pourquoi donc participerais-je à ma propre altérisation?

Non, décidément, je ne vous le dois point. En fait, je ne vous dois même pas le privilège que vous regardiez mes jambes, mes aisselles, mes aréoles, mon ailleurs. Les raisons de vos regards me sont trop puériles, elles sont plus lourdes à porter que tout ce poil qui lui m’est si léger.

Je dois donc vivre avec le fait qu’à vos yeux, je suis le contraire de comment je m’assume. Vous tentez de me faire lourde à porter. Sachez que vous ne décidez de rien, sauf peut-être du fait que vous me donnez l’obligation de gérer vos regards désapprobateurs. Je ne suis pas ce que vous faites de moi.

Le souffle de vos paroles crée ce vent, ce frétillement de feuilles qui se retournent au gré de vos jugements et qui en balaient l’importance pour n’en garder que le rire.

poil, pilosité, fierté, rire, désapprobation, stéréotype, femme, altérisation, jugement, liberté, assumer

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