Crédit photo: Clémence Gachot-Coniglio

Témoignage • Libre

19 septembre 2019
Clémence Gachot-Coniglio
px
text

Les témoignages sont des textes produits par des personnes ne provenant pas obligatoirement des disciplines sexologiques ou connexes. Ces textes présentent des émotions, des perceptions et sont donc hautement subjectifs. Les opinions exprimées dans les témoignages n'engagent que leurs auteur.e.s et ne représentent en aucun cas les positions de la revue.

px
text

* Mise en garde : langage graphique et références au suicide. Le contenu de ce témoignage peut déclencher de la détresse chez certaines personnes.*

Libre et littérale, sans trahison, j’habite tout entière trois lettres.

N                                            O                                          N

Tatouées sur un drapeau, elles sont aussi noires que le dedans de mon corps. Elles brillent telles l’étendard de mon propre mythe d’héroïne solitaire et terrifiante aux cheveux rares.

NON est ma demeure verticale et ronde pour jouir sans l’entrave d’une autre existence au bout de l’orgasme, au bout de la feinte. Pour sortir du leurre et crier :

l’enfant me lacère l’advenir, l’Autre m’est paralysie.

Mon corps ne peut pas entrer dans un délire déliré, orgiaque et démiurge, transformation mutante en deux, fertilisation, enracinement d’une douce douleur à grandir.

Libre d’enfants.

Ma peau meurtrie, mes chères pensées douloureuses, mon vécu si difficilement supportable, me libèrent du désir d’enfants. Ce désir qui ne serait qu’une surenchère dans la pile bancale et menaçante de tous les autres désirs à décrypter.

Libre d’enfants, car en moi nous sommes trop, nous nous habitons déjà en surnombre à coups de triples et de quadruples, à coups de numéros et de « qui est responsable aujourd’hui? ».

Libre d’enfants pour ne pas faire tremper mon chaos, l’enchevêtrement de forêts, l’électricité morbide et lumineuse, dans cette montagne louche en devenir, fleur monumentale de l’être à édifier.

Libre d’enfants pour responsabiliser mon regard sorcier sur l’aube et sur la chenille, sur le monde vivant qui s’écroule.

Libre d’enfants pour être follement folle et penser en paix sans devoir me justifier. Penser que nous méritons de brûler. Sans cordages aux poignets, je me jetterais mille fois sur le bûcher crépitant du patriarcocapitalisme pour sauver ce qui agonise : les abeilles, les hérissons, les rhinocéros, les baleines, les coraux, les mycéliums, les sons gutturaux du fond des âges auxquels nous sommes devenu.e.s sourd.e.s.

Libre d’enfants pour ce monde vivant qui voudrait crapahuter, se gonfler, rugir, glisser sur les cascades et que l’on ensevelit sous notre descendance.

Libre d’enfants pour transmettre ailleurs, pour creuser au dedans de mon sexe ce plaisir lacéré que je maîtrise trop peu.

Pour dire : si moi je suis déjà de trop, pourquoi enraciner du neuf?

Pour ne confier l’espoir à personne d’autre ou ne confier l’espoir qu’à celleux qui sont déjà là.

Pour dire

Merde!

libre libre libre libre libre libre libre libre libre

Merde!

Pour dire qu’il n’y a que moi-même qui puisse m’empêcher, m’interdire l’inconditionnel, m’offrir la nudité sous la lune et mes envies de suicide.

Je suis libre d’enfants pour peiner librement d’être déjà l’enfant de quelqu’un.
Je suis libre d’enfants pour mon corps qui m’est déjà étranger.

Pour mon corps qui de moi, ne reçoit pas assez d’amour.
Pour ne rien déplacer, pour ne rien me voiler, pour ne pas ornementer encore plus mes propres trompe-l’œil.

Je suis libre d’enfants pour ne pas mourir d’hyperempathie envers ma chair propulsée, ma chair aliénée, ma chair plus forte que moi-même, ma chair plus belle, ma chair autre.

Je suis libre d’enfants afin d’affronter ma souffrance sans y piéger aucun.e autre.

Je suis libre d’enfants pour être une héroïne du noir et parce que je préfère mon chat.

Je suis libre d’enfants pour être autre chose, pour embrasser mon toujours plus et avoir éternellement vingt ans.

Je suis libre d’enfants, car on ne m’ensemence pas, le monde me nourrit et me saute déjà, je baise le monde qui me baise, mais aucune des bites qui me fréquentent n’est le monde.

Je suis libre d’enfants, car mon amour est inconstance, car ma douleur est sans cesse au seuil de l’appartement, à l’angle des ruelles, des canaux et je ne veux ni transmettre ma misère ni mon inconstance.

Je suis libre d’enfants, car je ne parviens pas à soigner la petite fille en robe de paon assise sur la commode.

Je suis libre d’enfants pour angoisser seule de la mort du monde et n’être le lien de personne.

Je suis libre d’enfants parce que j’ai trop peur d’aimer si fort, d’avoir si peur.

Dire que je suis libre d’enfants, c’est encore un autre endroit pour refuser de répondre aux ultimatums des autres et des proches, aux « tu verras », aux « t’es trop dark », aux « t’es sans espoir », aux « faut transmettre », aux « et l’amour dans tout ça? ».

MERDE !

Merde à ce panel d’injonctions subtiles — ou pas — comme si je n’avais pas assez de raisons d’exister! Des flèches gratuites pour te rappeler qu’à un moment en tant que femme, l’univers dysfonctionne pour toi, mais pas pour les autres. Oui pour toi, femme, les horloges partout hurlent pour te faire entendre que tu ne te suffis plus à toi-même. Tu dois être affoisonnée de manque, de l’urgence d’être habitée, d’être traversée, d’être le trou de quelqu’un qui ne sait pas encore que tu seras son trou et son lit d’analyse, sa couronne de fleurs d’amour et ses haines adolescentes.

Comme si les familles, les ancêtres voulaient seulement voir elles-mêmes, eux-mêmes dans l’au-delà de toi. Comme si ton existence ne suffisait à personne.

MERDE!

Simplement pour dire sans hargne ni colère, que je n’en ai pas besoin ni n’en ressens l’envie. Que de faire un enfant, c’est en vérité seulement y participer. Accompagner un être, qu’il soit en repli au dedans de moi ou bien en pieds déjà souffreteux et tout grand d’espérances, sa main dans la mienne, c’est avoir le privilège d’assister au spectacle de la création d’une autre existence, d’une identité, d’une indépendance.

J’ai pas les épaules.
J’ai juste pas les épaules, et pas le souffle. J’ai tout juste le souffle court de mes propres aventures que je veux sans fin.
J’ai pas les épaules pour l’aventure d’une autre vie, pas les épaules et pas la place.

Je suis libre d’enfants comme je suis libre de le choisir, comme je suis libre de changer d’avis, comme je suis libre de jouir seule, comme je suis libre de mourir quand je veux, comme je suis libre d’aimer quiconque.

Je suis libre.

px
text

D'autres témoignages sont disponibles dans le dossier « Childfree : entre liberté et stigmatisation ». N'hésitez pas à consulter le dossier en entier pour en connaitre plus sur cette réalité.

Consulter le dossier « Childfree : entre liberté et stigmatisation »
childfree, femme sans enfants, anxiété, souffrance, liberté, vécu, responsabilité, corps, enfance, envie, colère

Commentaires

Connectez-vous ou Créez un compte . Seuls les abonné.e.s peuvent commenter.