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Témoignage • Je n'ai pas d'enfants, et alors?

19 septembre 2019
Sylvie
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Les témoignages sont des textes produits par des personnes ne provenant pas obligatoirement des disciplines sexologiques ou connexes. Ces textes présentent des émotions, des perceptions et sont donc hautement subjectifs. Les opinions exprimées dans les témoignages n'engagent que leurs auteur.e.s et ne représentent en aucun cas les positions de la revue.

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Je m'appelle Sylvie, j'ai 39 ans, je vis en couple et je n'ai pas d'enfants.

Du plus loin que je me souvienne, j'ai toujours su que je n'aurais pas d'enfants. Quand mes copines d'école jouaient à la poupée et se projetaient en « petites mamans », je préférais construire des cabanes dehors ou jouer aux petites voitures.

Plus tard, au collège et au lycée, mes amies de l'époque aimaient se raconter un avenir tout tracé, avec mari et enfants. Elles ont d'ailleurs toutes réalisé ce grand projet de vie, avec plus ou moins de bonheur et parfois, de déconvenues. Quand je disais que je ne voulais pas d'enfants et que je me voyais libre et indépendante, elles me répondaient invariablement que je changerais d'avis et que je serais certainement la première à devenir mère…

C'est à ce moment que j'ai compris que pour la plupart de mes semblables, il était inconcevable qu'une jeune fille ou une femme « normalement constituée » ne puisse vouloir d'enfants. Or, dans ma normalité à moi, il n'a jamais pu en être autrement.

Je ne saurais dire exactement à quoi cela tient, mais je sais en revanche que je n'ai jamais éprouvé le moindre désir d'enfanter. Ce n'est pas que je ne les aime pas, loin de là! Les enfants, souvent, me touchent, m'émeuvent ou me font rire. J'aime leur innocence, leur insouciance, leur spontanéité, mais je ne me suis jamais vue pour autant « en avoir à moi ».

Ne pas avoir d'enfants n'est pas un choix à proprement parler, c'est quelque chose qui s'est imposé à moi. Et ce « non-désir » ancré en moi est une évidence avec laquelle j'ai toujours vécu.

Cette évidence m'a poussée à me questionner, sur les autres et sur moi, particulièrement quand je voyais mes amies tomber enceintes. Elle m'a parfois fait me sentir anormale ou en marge. Je me suis alors demandé si je n'avais pas un truc qui ne tournait pas rond chez moi. Je n'arrivais pas à m'expliquer cette « non-envie » quand il semblait si normal et naturel d’enfanter pour toutes les femmes de mon entourage ; la parentalité représentant une sorte « d'aboutissement » et le gage d'une vie réussie.

J'ai essayé de m'imaginer le ventre rond, accoucher, vivre les nuits agitées, les biberons, les premiers pas, les premiers mots, l'entrée à l'école, les notes, les activités, apprendre, élever, éduquer, câliner, consoler, gronder, soigner, écouter... J'ai entrevu ces moments de vie, de joie, d'angoisse, de fatigue... Et aussi « grande » que me paraissait cette expérience, je n'ai, pour autant, jamais éprouvé l'envie de la vivre moi-même.

Je crois surtout que je n'ai jamais eu envie d'imposer une vie à un être qui n'avait rien demandé.
Car donner la vie est une incroyable responsabilité que je ne me sens pas capable de prendre.

Je pourrais évoquer des raisons écologiques, les difficultés économiques et sociales inhérentes à notre époque ou l'instabilité grandissante de notre monde pour justifier le fait de ne pas faire d'enfants. Mais ces inquiétudes réelles pour notre planète et notre société, même si elles ont nourri mes questionnements et ont conforté le fait que je ne veuille pas mettre au monde un nouvel être dans ce contexte, ne sauraient tout expliquer. Mon « non-désir » est bien plus profond encore que tout cela.

Les autres, la (non-) parentalité et moi

J'ai tout entendu à ce sujet. Le fait que j'étais égoïste, que je n'étais pas prête, que je n'avais pas « trouvé le bon », que je changerais forcément d'avis, que si tout le monde pensait comme moi, il en serait fini de l'humanité... Est-ce que je pensais à toutes ces femmes stériles qui ne peuvent pas avoir d'enfants? N'avais-je pas peur de le regretter plus tard? Ou encore le fameux « qui s'occupera de toi quand tu seras vieille? »

À tout ça, j'ai répondu que ce qui est égoïste, c'est aussi de satisfaire un désir aussi personnel que de vouloir un enfant à soi, que je ne serai certainement jamais prête à cela ; que « le bon » ne saurait m'imposer une envie que je n'ai pas, au même titre que je ne pourrais lui imposer de mettre une croix sur un fervent besoin de paternité ; qu'il me semblait présomptueux de prédire les envies d'autrui ; que vu l'explosion démographique de ces dernières décennies, cet argument n'en était pas un ; que de me forcer à faire un enfant n'en donnerait pas un pour autant à une femme stérile ; que je ne pourrai regretter quelque chose dont je n'ai pas le désir et que les maisons de retraite regorgent de parents qui ne voient que trop rarement leurs enfants.

À l'aube de mes 30 ans, au décès de ma mère, une cousine éloignée m'a dit à la fin de la cérémonie qu'il serait temps que je fasse des enfants. Maintenant. Je ne sais pas si cette remarque tenait au fait que j'avais, à ce jour, perdu mes deux parents et que, même si j'étais en couple à l'époque, je me retrouvais d'une certaine façon « seule » (étant fille unique), mais je l'ai pris comme une gifle. En plus d'être parfaitement inappropriée, cette réflexion marquait aussi et surtout une intrusion dans mon intimité signifiant plus ou moins :

« alors, quand est-ce que tu te sers de ton utérus et que tu te décides à rentrer enfin dans le moule? »

Je crois que la plupart des femmes sans enfants ont vécu ce type d'expérience. Mais ce besoin qu'ont certain.e.s, de juxtaposer leurs envies, leurs expériences, leurs projections sur autrui et surtout de vouloir à tout prix montrer « LA » (leur) voie, comme étant la seule, l'unique chemin vers une vie accomplie m'a été assez pénible par moment.

J'ai parfois eu l'impression que les gens qui cherchaient tant bien que mal à me convaincre de me reproduire cherchaient en fait à se rassurer face à leur propre choix d'avoir fait des enfants. Et quand j'ai pu leur demander pourquoi ils et elles en voulaient ou en avaient voulu, la réponse n'était pas toujours si évidente à donner.

Pour beaucoup de gens, les enfants sont synonyme d'une vie comblée et épanouie. Les enfants semblent être, pour pas mal d'entre eux et elles, un marqueur tangible de réussite, mais aussi de conformisme (social, familial, religieux, etc). Pour ma part, mon épanouissement, je le trouve dans l'amour que je partage avec mon compagnon (qui a deux grands enfants d'une précédente relation), dans l’affection que je porte à mes animaux, dans l'amitié, dans mon travail artistique et la création ou encore dans le fait de cultiver mon jardin.

J'ai finalement compris que le bonheur des un.e.s n'était pas nécessairement celui des autres et que si j'ai fait un choix, c'est surtout celui d'écouter mes (non) envies et mes besoins et de ne pas céder à une pression sociale glorifiant la maternité.

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D'autres témoignages sont disponibles dans le dossier « Childfree : entre liberté et stigmatisation ». N'hésitez pas à consulter le dossier en entier pour en connaitre plus sur cette réalité.

Consulter le dossier « Childfree : entre liberté et stigmatisation »
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