Crédit photo: Geneviève Fortin – Photo modifiée par Les 3 sex*

Chronique • Les droits sexuels et reproductifs : regard structurel sur les vulnérabilités et l’agentivité en santé mondiale

8 mars 2024
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Dans le but de souligner la Journée internationale des droits des femmes, Les 3 sex* vous propose un texte abordant la santé et les droits sexuels et reproductifs (SDSR) des femmes à travers le monde. Cette chronique s’inscrit dans le domaine de la santé mondiale, soit « un domaine d’étude, de recherche et de pratique qui accorde la priorité à l’amélioration de la santé et à l’atteinte de l’équité en santé pour toutes les personnes dans le monde. » (Koplan et al., 2019). En santé mondiale, le genre est utilisé de façon très binaire et cantonné au sexe assigné à la naissance, excluant les personnes de la pluralité de genre. Cette chronique se concentrera donc sur la réalité des personnes assignées femmes à la naissance, bien que nous reconnaissons que la réalité des personnes de la pluralité de genre soit inhérente aux SDSR en santé mondiale. Ainsi, le terme « filles et femmes » utilisé dans ce texte réfère aux personnes assignées femmes à la naissance.

 

Les droits sexuels et reproductifs sont au cœur de nombreuses priorités mondiales, tant en santé publique mondiale qu’en droit international. En effet, la santé et les droits sexuels et reproductifs sont souvent combinés en un seul concept, et réfèrent généralement à des enjeux vécus par les filles et les femmes.

Au cœur des enjeux liés à la SDSR se trouvent des inégalités et des injustices, qui affectent systématiquement des groupes de personnes plus vulnérables (Krieger, 2014). S’intéresser aux droits sexuels et reproductifs, c’est donc nécessairement s’intéresser aux enjeux d’inégalités et d’iniquités, et aux facteurs de vulnérabilité. Bien entendu, tous ces concepts ne sont pas si simples à mettre en mots et à comprendre, encore moins selon une perspective internationale. Une recherche rapide en ligne des termes « droits sexuels et reproductifs » illustre bien la complexité du sujet : des dizaines de définitions, des débats, des statistiques chocs, et énormément, énormément, de discours et de photos victimisant les filles et les femmes de pays à faible et à moyen revenu.

Contextualiser les droits sexuels et reproductifs est essentiel si l’on souhaite réellement comprendre les enjeux sous-jacents. Il importe de s’intéresser aux aspects de la société qui viennent « structurer » les droits des filles et des femmes, incluant ceux en lien avec leur sexualité et leur reproduction. De la même façon, les vulnérabilités et les injustices ne sont pas distribuées au hasard dans une société (Singer et al., 2017). Mais comment porter un regard nuancé sur les droits sexuels et reproductifs internationaux, tout en maintenant une posture militante? Comment contextualiser ces droits, et dénoncer les injustices, sans victimiser les filles et les femmes? Parmi les cadres pouvant nourrir des réflexions critiques face à ces questionnements, le cadre des vulnérabilités structurelles de la santé et de l’agentivité est particulièrement pertinent pour les droits sexuels et reproductifs (Chung, 2021; Fortin et al., 2023). Il est possible de demeurer critique envers les injustices, de reconnaître les vulnérabilités structurelles liées aux droits sexuels et reproductifs et de valoriser l’agentivité des filles et des femmes concernées.

Droits sexuels et reproductifs : portrait de la situation

Plusieurs termes liés aux droits sexuels et reproductifs existent : « droits des femmes », « justice de genre », « justice reproductive » … Il peut être difficile de s’y retrouver et de distinguer les différentes appellations qui définissent souvent des mouvements militants et des enjeux de droits de la personne similaires.

De façon assez unanime, les droits sexuels et reproductifs sont définis comme des droits humains liés à la santé sexuelle et reproductive (Boyer, 2018). L’accent est mis sur la connexion entre les droits et la santé, et ces concepts sont maintenant presque toujours associés. Ainsi, des droits sexuels et reproductifs respectés, protégés et exercés peuvent favoriser et renforcer une santé sexuelle et reproductive positive (Organisation mondiale de la santé, s. d.; Starrs et al., 2018).

Spécifiquement, les droits sexuels et reproductifs peuvent référer, mais ne sont pas limités, à :

  • Pouvoir prendre ses propres décisions par rapport à son corps;
  • Vivre sans violence, discrimination ou stigmatisation;
  • Préserver son intégrité physique;
  • Avoir accès à des services de santé sexuelle et reproductive, incluant la contraception;
  • Avoir accès à une éducation à la sexualité; et à
  • Pouvoir choisir de se marier ou d’avoir des enfants, et à quel moment.
    (Amnesty International, s. d.; Boyer, 2018; Germain et al., 2015)

Lorsque ces droits ne sont pas respectés, des enjeux de SDSR peuvent survenir, comme les mariages d’enfants et les mariages forcés, les mutilations génitales féminines, les grossesses non désirées, les violences basées sur le genre, et beaucoup plus. On constate que plusieurs enjeux de SDSR touchent particulièrement les filles et les femmes puisqu’ils découlent d’inégalités de genre (Starrs et al., 2018). Il n’est donc pas étonnant que les droits sexuels et reproductifs soient souvent associés à la santé des filles et des femmes.

Il est aussi pertinent de reconnaître que les droits sexuels et reproductifs sont ancrés dans une perspective occidentale non universelle (Bessa, 2019). Bien entendu, la protection des droits sexuels et reproductifs est essentielle pour continuer de cheminer vers l’égalité des genres. La montée des mouvements politiques et populaires contre les droits à l’avortement montre la fragilité des droits sexuels et reproductifs (Forouzan & Guarnieri, 2023).

Toutefois, ces droits, bien qu’ancrés dans des droits humains « universels », ne sont pas reconnus de la même façon partout (Dale, 2022).

Les vulnérabilités structurelles de la santé peuvent aider à contextualiser les droits sexuels et reproductifs afin de développer et d’adapter des luttes pour ces droits plus nuancées et pertinentes aux contextes.

Vulnérabilités structurelles de la santé : barrières à déconstruire

Une vulnérabilité est définie comme une exposition à un risque pouvant avoir un impact négatif (Clark et Preto, 2018). « Être vulnérable » ou « appartenir à une population vulnérable » sont des expressions répandues - du moins dans le domaine de la santé - qui peuvent être stigmatisantes. En associant une vulnérabilité à un groupe, on se concentre sur des personnes et non sur les enjeux causant ces vulnérabilités. Ceci peut être particulièrement problématique pour les droits sexuels et reproductifs.

Prenons l’exemple du harcèlement de rue, un phénomène vécu par la majorité des femmes dans le monde (Fairchild, 2023). Les femmes sont dites vulnérables au harcèlement de rue, et souvent, les études et les interventions sur le sujet ciblent les femmes. En centralisant la vulnérabilité sur les femmes, on contribue aussi au victim blaming (Fairchild, 2023). Or, les conséquences peuvent être très graves, et ce type de harcèlement peut mener à des violences sexuelles ou à des mariages d’enfants dans le but d’éviter la diffamation.

C’est ici que les vulnérabilités structurelles de la santé deviennent pertinentes. Les vulnérabilités structurelles de la santé sont, comme la vulnérabilité, définies comme un risque élevé de préjudice pour certains groupes sociaux, toutefois ce risque est directement associé à des iniquités sociales (Chung, 2021). Des structures sociétales distribuent ces inégalités de façon injuste dans la société, donnant ainsi lieu à des vulnérabilités dites structurelles. Dans le cas des droits sexuels et reproductifs, des structures politiques, économiques, sociales et culturelles entrent en jeu, et en s’intéressant à ces structures, on peut porter un regard plus critique sur les vulnérabilités (Fortin et al., 2023).

Le harcèlement de rue devient alors un phénomène sociétal favorisé par certaines structures injustes qui produisent des vulnérabilités. On se concentre plutôt, par exemple, sur des structures comme les normes sociales et de genre, et on évite de blâmer ou de victimiser les filles et les femmes. En s’intéressant aux structures pour comprendre pourquoi un enjeu existe, on peut mieux identifier comment renforcer et protéger les droits sexuels et reproductifs.

Agentivité : naviguer les vulnérabilités

Dans les pays à faible et à moyen revenu, bien des femmes sont perçues comme étant vulnérables d’un point de vue occidental, mais dans bien des cas, elles exercent aussi une agentivité qui déstabilise les structures autour d’elles. L’agentivité se définit comme le pouvoir d’agir selon ses capacités (Morin et al., 2019). Les vulnérabilités et l’agentivité sont en tension, et personne n’a un plein pouvoir ou n’est que vulnérable.

Dans le contexte des enjeux liés aux droits sexuels et reproductifs, l’agentivité est parfois difficile à identifier, surtout pour des enjeux complexes comme le mariage d’enfants. Dans le monde actuellement, environ 640 millions de filles et de femmes ont été mariées avant l’âge de 18 ans (UNICEF, 2023). De nombreuses structures sociétales sont en cause, incluant les normes de genre, les dynamiques familiales, les opportunités économiques, la position sociale et les tabous entourant la sexualité. Toutes ces structures défavorisent particulièrement les jeunes filles, vulnérabilisant leur adolescence (Starrs et al., 2018).

Avoir une posture nuancée peut co-exister avec une posture militante, et contribuer même davantage à une lutte collective décoloniale. Les mouvements militants, féministes et grassroots, soit des mouvements sociaux citoyens, sont d’ailleurs essentiels dans les luttes pour les droits sexuels et reproductifs (Chandra-Mouli et al., 2019).

En reconnaissant les vulnérabilités structurelles et l’agentivité des jeunes filles, on peut mieux identifier les structures sociétales sur lesquelles agir et intégrer le pouvoir d’agir des personnes concernées dans les luttes.

Par exemple, il est de plus en plus documenté que les jeunes filles développent des stratégies pour lutter elles-mêmes contre les mariages d’enfants1 (Bessa, 2019; Lokot et al., 2021). Longtemps et encore perçues comme n’ayant aucun pouvoir, ces stratégies viennent montrer le contraire et peuvent informer une lutte collective plus large. Les jeunes filles exposées aux mariages d’enfants sont les mieux placées pour déterminer comment lutter pour faire valoir leurs droits. Toutefois, peu d’espace leur a été attribué dans cette lutte alors que l’on continue de vouloir encourager leur empowerment, sans considérer qu’elles ont peut-être déjà les capacités de lutter, ou que les contextes dans lesquels elles évoluent ne permettent pas d’exercer leur pouvoir. Plutôt que de porter un regard international sur des enjeux locaux, pourquoi ne pas s’attarder aux façons dont les personnes concernées ont développé une agentivité pour naviguer à travers des structures oppressantes, dans leur propre contexte?

Si l’on souhaite n’exclure personne des luttes pour les droits sexuels et reproductifs, il faut considérer les structures sociétales et reconnaître l’agentivité des personnes concernées dans leur contexte. Si les jeunes filles sont informées, ont le désir d’agir, mais qu’elles n’ont pas le pouvoir de le faire, on se retrouve dans une situation de « non-pouvoir informé » (informed powerlessness) (Bessa, 2019). On doit donc s’intéresser aux façons dont ce pouvoir peut être exercé à travers les structures sociétales afin d’améliorer des enjeux complexes qui nécessitent des changements structurels profonds.

Mais comment faire pour lutter pour les droits sexuels et reproductifs de toutes? Les vulnérabilités structurelles auxquelles font face les filles et les femmes sont inscrites dans des contextes communautaires, familiaux et politiques très complexes. Leur agentivité est insuffisante si les systèmes autour d’elles ne laissent aucune place à des changements structurels. Ainsi, les interventions structurelles ont le potentiel d’amener des changements transformatifs en lien avec les droits sexuels et reproductifs, particulièrement en lien avec les normes de genre (Kohli et al., 2021).

Les droits sexuels et reproductifs sont loin d’être reconnus, protégés et appliqués partout dans le monde. La Journée internationale des droits des femmes est un rappel que la lutte pour une pleine protection de la SDSR est toujours nécessaire. Toutefois, il est important de garder en tête que bien que les droits sexuels et reproductifs concernent tout le monde, cela ne veut pas dire qu’ils soient universellement définis. En s’attardant aux structures sociétales, on peut mieux comprendre les dynamiques sous-jacentes à ces droits, les vulnérabilités structurelles et l’agentivité des personnes concernées dans un contexte précis. S’intéresser aux structures sociétales au niveau local permet ainsi, ensemble, d’avancer la lutte pour les droits de tou.te.s au niveau global.

1 Ces luttes peuvent prendre plusieurs formes, par exemple tenir tête à sa famille pour éviter son propre mariage, menacer de dénoncer un mariage d’enfants aux autorités, choisir de se marier avec la personne de son choix pour éviter de devoir se marier à une personne non-choisie (ce qui demeure un mariage d’enfants). Toutefois, ces luttes ne sont pas sans conséquences pour les jeunes filles qui font face à des violences physiques et psychologiques, familiales et communautaires, lorsqu’elles résistent. Ces stratégies de résistance sont nécessaires mais il ne faut pas s’y limiter : des changements structurels sont essentiels afin de soutenir cette résistance et éviter les conséquences familiales et communautaires.

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Références
droits, autonomisation, promotion de la santé, défense de droits, justice sociale, patriarcat, action, santé mondiale

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