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Chronique • Éducation à la sexualité : le cas français (partie I)

11 septembre 2018
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En décembre dernier, le ministre de l’Éducation du Québec, Sébastien Proulx, déclarait vouloir rendre les cours d’éducation à la sexualité obligatoires à l’ensemble des élèves du primaire et du secondaire du Québec dès la rentrée 2018 (Radio-Canada, 2017a). Avec la volonté de lutter contre les inconduites et les agressions sexuelles dénoncées par certaines personnalités québécoises (Richer, 2017), d’éviter que de tels agissements n’aient lieu de nouveau ainsi que de combattre la propagation d’infections sexuellement transmissibles chez les jeunes, le ministre a appelé l’ensemble du milieu scolaire à « s’engager en faveur de ce projet » (Burgun, 2017). Toutefois, malgré l’apparent consensus politique sur le sujet, des réserves et des résistances se présentent (FSE-CSQ, 2018).

Ces résistances et ces critiques ne sont pas anodines et sont révélatrices des tensions et des questionnements qui traversent nos sociétés. À l’heure où le Québec se questionne à ce sujet, je prendrai le cas de la France afin de démontrer en quoi ces questions, aussi fondamentales soient-elles, ne coulent pas de source et appellent à une véritable réflexion de fond sur l’éducation à la sexualité dans le milieu scolaire.

Traiter d’une thématique aussi vaste et complexe que l’éducation à la sexualité nécessite une analyse approfondie et précise de ce sujet. Deux niveaux de lecture s’imposent : tout d’abord, en se penchant sur l’étude de l’histoire de l’éducation à la sexualité ainsi que sur le fonctionnement de l’institution scolaire, puis en analysant des expériences concrètes de terrain. Cette chronique s’articulera donc en trois parties. Dans un premier temps, je m’intéresserai à l’histoire de l’éducation à la sexualité en France, produit d’un constant affrontement et d’une lutte d’influences entre différents acteurs et actrices. Dans un second temps, j’expliquerai comment la législation en vigueur ne se traduit pas dans les faits par des enseignements de qualité en raison de l’organisation institutionnelle même de l’école et en raison de la trop grande liberté laissée aux différents acteurs institutionnels. Enfin, dans un troisième temps, j’insisterai plus concrètement sur la façon dont les concerné.e.s, en particulier les enseignant.e.s et les élèves, vivent et reçoivent ces enseignements sur le terrain. Alors que le corps enseignant est souvent dans une position ambivalente, entre volontarisme et possibilités d’actions limitées, les élèves sont, pour leur part, entre curiosité et mise en place de stratégies alternatives afin de compenser les manquements de l’institution scolaire.

Aux origines de l’éducation à la sexualité en France

L’éducation à la sexualité n’est pas qu’une conséquence heureuse des évolutions sociales et sociétales des années 60 et 70, mais le produit de luttes et d’une prise de conscience de l’importance de la santé des populations pour un État. La fin du XVIIIe siècle a été un tournant dans la prise de conscience de l'énorme avantage que constituait le contrôle de la démographie.

Contrôler la fécondité devenait un atout majeur pour les États : une hausse des naissances impliquait une main d’œuvre plus importante ainsi qu’un important potentiel militaire.

C'est ce que Michel Foucault qualifiera de  « bio-pouvoir » (Foucault, 1994) ou « pouvoir des vivants », c'est-à-dire des techniques spécifiques ou des dispositifs de pouvoir s'exerçant sur les corps individuels et les populations. Contrôle des vivants, prise de conscience de l'intérêt économique et militaire d'une procréation maximisée, prise en charge progressive par la médecine des « maladies vénériennes » et médicalisation des sexualités, les initiatives se multiplièrent afin d'investir et de contrôler progressivement ce domaine devenu central au sein des sociétés occidentales (Foucault, 1994). Si l’Occident a pendant longtemps opté pour un contrôle absolutiste de la sexualité (Weeks, 2014) – considérée comme source de désordre et de trouble à l’ordre public, l’Ordre du discours (Foucault, 1971) au XIXe siècle passe d’un vocabulaire calqué sur celui de la nature (soit ce qui touche aux sciences du vivant, des espèces animales et végétales) (Corbin, 2010) à celui de la science et plus particulièrement de la médecine. Un glissement s’opère également sur les cibles de ce discours passant du couple aux femmes et aux enfants. Les premières se voient sanctionnées si elles ne respectent pas leurs rôles de mère et d'épouse, les seconds le sont s’ils s’adonnent à des pratiques dites anormales comme la masturbation (De Luca Barrusse et Le Den. 2016).

Au discours médical et à son contrôle absolutiste va répondre une partie de la gauche libertaire, notamment les anarchistes et les socialistes utopistes qui s’évertueront à défendre la position inverse. L'anarchiste Paul Robin fonde ainsi en 1896 la Ligue pour la génération humaine qui prône la liberté sexuelle et les unions libres, s'inscrivant dans le courant néo-malthusien de contrôle des naissances (Jaspard, 2005). Ces courants libertaires estiment que la procréation de masse n'est qu'une façon pour la bourgeoisie d'obtenir plus de combattants pour ses futures guerres, de travailleurs pour ses usines et de prostituées pour son plaisir, et s’évertuent à instruire les milieux ouvriers sur le contrôle des naissances. D’autres penseurs, à l’instar de Charles Fourier, verront dans l’éducation à la sexualité un moyen de changer durablement la société et de permettre l’égalité entre les hommes et les femmes (Fourier, 1993).

À ces critiques s’opposeront vivement les moralistes et les hygiénistes qui verront dans les critiques néo-malthusiennes des attaques contre l’ordre moral et le fondement de la société qu’est à leurs yeux la famille. Des sociologues comme Émile Durkheim viendront ainsi défendre la nécessité d’une éducation hygiénique à la sexualité (prioritairement aux classes aisées) afin de maintenir une stricte répartition des rôles genrés pour chacun des individus du couple (Durkheim, 2011). Les deux guerres mondiales qui suivront peu après mettront un terme pendant plusieurs décennies aux idéaux libertaires. L'hécatombe ayant été totale, seul le repeuplement compte et les théories néo-malthusiennes sont rapidement mises de côté, alors que l'idée d'une éducation à la sexualité, quelle que soit sa forme, n'est plus urgente.

L’institutionnalisation progressive de l’éducation à la sexualité

Il faudra attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale pour que les premières initiatives voient le jour (Mossuz-Lavau, 2002). Ainsi, en 1947, lors d'une réforme de l'enseignement et du système scolaire, il est proposé de mettre en place une éducation à la sexualité dans les écoles. La Commission François est alors créée pour étudier cette question, mais aucune politique n’est mise en place. Le début des années 70 verra un tournant sur ces thématiques, notamment grâce à l’influence des événements de Mai 68 et aux demandes d’une plus grande liberté sexuelle. C'est une loi, le 11 juillet 1973, qui crée le Conseil de l'information sexuelle de la régulation des naissances et de l'éducation familiale, ce qui marque le début de la responsabilisation de l'État sur la question de la sexualité. Mais c’est la circulaire – un document rédigé par une autorité administrative à l’attention de ses subordonnés afin de les informer de l’interprétation à donner d’une législation particulière, sans pour autant lui donner un caractère impératif (n° 73-299 du 23 juillet 1973, dite circulaire Fontanet) – qui va lancer les premiers cours d’éducation à la sexualité en France. Des débats ont alors lieu à savoir si ces cours doivent être une information ou une éducation à la sexualité, influencés par des associations récemment créées comme le Planning Familial, les syndicats d’enseignant.e.s ou encore les institutions religieuses (Belbenoit, 1973). Dans le premier cas, il aurait été question de renseigner de manière factuelle les jeunes sur la sexualité en se bornant à décrire les faits de manière objective. Dans le second cas, à l'inverse, il aurait été question d’un enseignement normatif en vue d’orienter les comportements. Au final, c’est le choix de l’information qui l’emportera au détriment de l’éducation qui est laissée aux familles. L’information à la sexualité est donc imposée et sera l’apanage des enseignant.e.s de Sciences de la Vie et de la Terre (SVT) qui se cantonneront à décrire les fonctions biologiques de la sexualité.

Toutefois, malgré l’aspect novateur de cette circulaire, rien n’est prévu pour la formation des enseignant.e.s qui ne manquent pas de le faire remarquer (S.B., 1979), une situation que l’on peut retrouver actuellement au Québec avec des critiques similaires (Radio-Canada, 2017b; Sioui et Fortier, 2017; Fortier, 2017).

Durant une vingtaine d’années, seuls trois textes viennent corriger ou améliorer les cours d'information à la sexualité. D’abord en 1981, une note de service rédigée par le ministre de l’Éducation nationale, Alain Savary, introduit l'information à la contraception dans les écoles. Suit en 1985, la circulaire Chevènement qui impose une éducation sexuelle obligatoire dans les écoles primaires avant qu'un décret en 1992 ne favorise les rapprochements entre les associations et le monde éducatif. Les gouvernements mettront du temps à intégrer la prévention du VIH dans ces cours et il faudra attendre le 15 avril 1996 pour que la circulaire n° 95-100, intitulée « Prévention du sida en milieu scolaire : éducation à la sexualité », soit publiée après plusieurs années d’efforts de la part des associations de lutte contre le VIH et les ITS (infections transmises sexuellement). La circulaire Fontanet sera remplacée par la circulaire n° 98-234 du 19 novembre 1998, intitulée « Éducation à la sexualité et prévention du SIDA », et prend acte de l’échec de la portée éducative de la première. Elle prend également en compte les autres dimensions de la sexualité comme la psychologie, les éléments socioculturels ou encore les rôles genrés. Suite à cette circulaire, la loi n° 2001-588 (4 juillet 2001) relative à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception vient préciser les modalités de cette éducation à la sexualité. Ces cours doivent alors avoir lieu dans les écoles primaires, les collèges et les lycées à raison d’au moins trois séances annuelles et ne seront plus du seul ressort des enseignant.e.s de SVT, mais de toute la communauté éducative, des surveillant.e.s jusqu’aux professeur.e.s de quelque discipline que ce soit (Poutrain, 2014), une situation maintenant similaire au Québec.

Finalement, en 2012, des débats firent rage après l’annonce faite par le gouvernement de mettre en place un plan d'action en faveur de l'égalité filles-garçons nommé « ABCD de l'égalité ». Afin de sensibiliser les jeunes à la sexualité, aux stéréotypes de genre, au sexisme, à l'égalité et aux violences faites aux femmes, le gouvernement de l’époque avait prévu la mise en place de cours à ce sujet, et ce, dès la grande section de maternelle (Chartier, 2012) jusqu’à la fin du lycée, touchant ainsi les élèves entre 5 et 18 ans. Toutefois, devant la levée de boucliers de nombreuses associations, en particulier catholiques (Radier, 2013), échaudées par l’adoption de la loi légalisant le mariage pour les couples de même sexe, le projet fut abandonné.

Avec une longue histoire et des réflexions qui prennent leur source il y a plus d’un siècle, l’éducation à la sexualité en France a connu nombre de difficultés et d'atermoiements. Indices d’une société renâclant à aborder avec sa jeunesse les thématiques liées à l’intime, ces cours ne sont pas à envisager dans une perspective positiviste. Au contraire, comme le montre l’ouvrage collectif de Virginie De Luca Barrusse et de Mariette Le Den (2016), il n’est question que d’avancées et de résistances, de retours en arrière et d’accélérations subites au gré des affrontements sociaux et des événements historiques. Alors qu’une réflexion progressiste s’installait durablement dans les milieux libertaires, les deux conflits mondiaux ont été un arrêt brutal de ces réflexions et ont même mené à la pénalisation de l’avortement, et ce, pour plusieurs décennies. Bien que des textes législatifs existent et assurent théoriquement l’organisation de cours d’éducation à la sexualité, la réalité montre un autre visage. Mais qu’en est-il concrètement dans les écoles françaises? C’est ce qui sera abordé dans la seconde partie de cette chronique.

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Références
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Pour citer cette chronique :

Dusseau, F. (2018, 11 septembre). Éducation à la sexualité : le cas français (partie I). Les 3 sex*https://les3sex.com/fr/news/103/chronique-education-a-la-sexualite-le-cas-francais-partie-i- 

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