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Bilan • Les effets sexologiques de la pandémie de la COVID-19

28 avril 2020
Kelly Asselin-Tousignant
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Découverte en décembre 2019 à Wuhan, en Chine, la maladie à coronavirus, ou COVID-19, se développe aujourd’hui simultanément dans de nombreux pays en faisant des ravages sur son passage, autant par sa prise solide sur la santé humaine que par ses effets sur les sociétés qu’elle envahit. Ce développement — bien que inégal — dans la majorité des nations en fait une pandémie, selon la définition de l’Organisation mondiale de la santé (OMS, 2020). 

Cette maladie à infectiosité rapide affectant le système pulmonaire s’est propagée, fort probablement à cause de la mondialisation, à une vitesse fulgurante sur la planète, forçant les gouvernements à déclarer l’état d’urgence sanitaire, à fermer tous les services non essentiels et à ordonner le confinement de ses résident.e.s (OMS, 2020). Ces décisions gouvernementales encourageant la distanciation sociale et forçant les individus à s’isoler dans leur résidence lorsque possible ont de fortes répercussions sexologiques sur notre société. Notamment, elle affecte les relations humaines ainsi que la sécurité et les droits des populations marginalisées ou plus vulnérables.

Les relations humaines et le confinement
Les relations amoureuses ou sexuelles se trouvent effectivement nettement affectées par le confinement généralisé, que ce soit par le questionnement de l’utilisation des technologies de rencontre telles que des applications, l’emménagement précipité de nombreux couples désirant s’isoler ensemble, la charge mentale reliée à la vie commune en couple ou en famille, ou par les choix déchirants devant être faits par les personnes pratiquant le polyamour.

En cette période de confinement, plusieurs se questionnent sur l’utilité des applications de rencontre, dont le but premier est de trouver des gens à rencontrer en personne : les statistiques démontrent cependant le contraire. En effet, certaines applications ont remarqué une hausse de leurs inscriptions, en particulier de femmes, durant la période d’isolement du mois de mars (Wild, 2020), probablement causé par le fait que de nombreuses personnes se retrouvent complètement seules chez elles durant la pandémie (Gacon, 2020). Jusqu’à présent, la distanciation sociale force les utilisatrices et les utilisateurs d’applications de rencontre à entretenir des conversations plus profondes en ligne, ce qui attire une clientèle désirant former des liens sérieux (Wild, 2020).

Les relations amoureuses formées avant la crise, quant à elles, font face à d’autres défis majeurs. Les personnes en relation qui résidaient séparément ont dû prendre la décision d’emménager temporairement chez un.e partenaire ou bien de ne plus se voir en personne (Bresge, 2020). Ce pas en avant précipité pourrait causer de la tension dans de nouvelles relations, ajoutant au stress généralisé que cause la pandémie chez de nombreuses personnes (Bresge, 2020).

Certes, les couples habitant ensemble au préalable avaient pour la majorité déjà trouvé leur équilibre, mais ceux ayant des enfants ont dû pour la plupart redéfinir leur routine, à cause de la fermeture des garderies et des écoles depuis plusieurs semaines (Graves, 2020). Avant la crise, la charge de la majorité des tâches domestiques était déjà disproportionnellement assumée par une majorité de femmes dans les couples de sexe opposé (Graves, 2020). La charge additionnelle du soin des enfants le jour s’ajoute à la charge mentale anxiogène que cause la crise de la COVID-19 (Graves, 2020).

De plus, les personnes pratiquant la non-monogamie sont forcées de faire des choix déchirants durant la quarantaine. Les mesures d’isolement forcent les personnes non monogames à choisir entre leurs partenaires romantiques ou sexuel.le.s le temps de la crise afin d’éviter la multiplication des risques de propagation engendrés par le transport entre les domiciles et les contacts physiques entre multiples partenaires. Le premier ministre du Québec, François Legault, conseille fortement aux Québécois.e.s de « s’en tenir à un ou une conjoint.e  [durant la crise] » (La Presse, 2020). La vie amoureuse et sexuelle de ces personnes s’en trouve nettement affectée.

Entre sécurité individuelle et santé communautaire
En plus de menacer la santé de la population, la COVID-19 crée aussi des répercussions importantes chez certains groupes marginalisés. Notamment, l’isolement augmente les risques de violence conjugale, la distanciation sociale maintient les travailleuses et les travailleurs du sexe dans des situations précaires au niveau financier et augmente les risques que leur santé et celle de leur clientèle soient affectées. De plus, la mise en priorité du traitement des patient.e.s atteint.e.s de la COVID-19 affecte négativement l’accès aux services de santé reproductive adéquats.

L’isolement chez soi, qu’il soit volontaire ou forcé, devient un fléau pour les victimes de violence conjugale. Le taux de ces types de violence a subi une hausse alarmante dans les régions touchées par la pandémie. Les centres d’aide situés dans de nombreux pays reçoivent une quantité fulgurante d’appels de détresse depuis que les mesures de confinement ont été annoncées (ONU, 2020). De nombreuses victimes se retrouvent coincées dans une situation menaçante à la maison, sans accès aux services de soutien surchargés. Le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, souligne que la violence n’est pas limitée au champ de bataille, mais que pour « de nombreuses femmes et filles, la menace plane où elles devraient être le plus en sécurité : dans leur propre maison » (ONU, 2020). Guterres presse les gouvernements à agir rapidement en incluant des mesures de protection pour les personnes à risque de violence conjugale dans leurs réponses à la pandémie (ONU, 2020). Puisque la crise non seulement accroît la tension dans les foyers à risque, mais réduit aussi l’accès au soutien communautaire et social normalement disponible aux victimes (ONU, 2020).

Un autre groupe grandement affecté par les mesures de distanciation sociale est celui des personnes travaillant dans l’industrie du sexe. Étant généralement travailleuse ou travailleur autonome, ou bien ne pouvant pas déclarer leurs revenus à cause de la stigmatisation qui entoure leur occupation, plusieurs se trouvent dans une situation financière assez précaire (Jordans, 2020). Ces personnes doivent, lorsque possible, dépendre de leurs économies (Jordans, 2020) — chose que nombre d’entre elles n’ont pas le privilège d’avoir (Nadeau, 2020). Les personnes travaillant dans l’industrie du sexe sont forcées de continuer à offrir leurs services malgré les risques pour leur santé et celle de leur clientèle, parce qu’elles ne peuvent pas toucher les indemnités gouvernementales (Jones, 2020). 

D’autres personnes travaillant dans l’industrie du sexe peuvent au contraire bénéficier du confinement généralisé. Effectivement, les personnes travaillant dans l’industrie de la cam, de la pornographie, des services sexuels au téléphone, ou bien s’y étant converties depuis l’annonce des mesures de distanciation sociale, bénéficient toujours d’un accès à leurs revenus (Nadeau, 2020). Sandra Wesley, directrice générale de Chez Stella, un organisme de soutien aux personnes travaillant dans l’industrie du sexe, précise tout de même que « [l]es [personnes travaillant dans l’industrie] du sexe s’adaptent toujours au marché et sont très créatives! » (Nadeau, 2020)

En ce qui a trait aux services de santé reproductive, leur accès se trouve sérieusement menacé par la priorisation des effectifs médicaux pour soigner les patient.e.s atteint.e.s de la COVID-19 durant la crise sanitaire. L’accès aux IVG se trouve diminué selon les régions, à cause des fermetures de services de transport entre les régions, des interdictions de déplacements non essentiels et des mesures de distanciation sociale ne permettant pas de voir autant de patient.e.s en une journée (Gagné, 2020). Selon la directrice en promotion de la santé chez Action Canada pour la santé et les droits sexuels, Frédérique Chabot, des inégalités s’aggravent donc entre les provinces et les territoires, relativement à l’accès aux procédures (Gagné, 2020). 

Les personnes désirant continuer leur grossesse sont aussi soumises à un stress anormal, causé par les incertitudes que causent la pandémie. Pour de nombreuses personnes, ce stress a été amplifié par la décision temporaire de l’Hôpital général juif de Montréal de proscrire les accompagnements durant les accouchements (Caillou, 2020). À la suite de cette prise de décision visant à protéger le personnel de l’hôpital, l’outrage a parcouru les réseaux sociaux (Caillou, 2020). Une pétition contre cette décision, soutenue par plusieurs professeur.e.s de droit à travers la province, a circulé en ligne et a récolté des milliers de signatures (Caillou, 2020), jusqu’à ce que l’Hôpital général juif de Montréal revienne sur sa décision le mercredi 23 avril et permette l'accompagnement lors des accouchements futurs (Lepage, 2020).

Conclusion
Somme toute, il semble évident que la crise de la COVID-19, ainsi que les décisions gouvernementales et institutionnelles encourageant la distanciation sociale et forçant les gens à s’isoler dans leur résidence ont actuellement des répercussions dans le tissu social, sexologique et économique de notre société et continueront à en avoir dans les semaines et les mois à venir. Les relations humaines en sont profondément changées. La sécurité et les droits des populations marginalisées ou plus vulnérables se trouvent de nouveau remis en cause au nom du bien collectif et c’est ainsi que le soutien communautaire devient plus important que jamais.

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Références
COVID-19, coronavirus, relations humaines, application de rencontre, couple, sexe, charge domestique, relations hommes-femmes, polyamour, non-monogamie, confinement, distanciation sociale, distance physique, Organisation mondiale de la Santé, ONU, travail

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