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Témoignage • Ouach, une fille!

9 janvier 2017
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Les témoignages sont des textes produits par des personnes ne provenant pas obligatoirement des disciplines sexologiques ou connexes. Ces textes présentent des émotions, des perceptions et sont donc hautement subjectifs. Les opinions exprimées dans les témoignages n'engagent que leurs auteur.e.s et ne représentent en aucun cas les positions de l'organisme.

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1996, Deux-Montagnes

C’est l’été, il fait chaud, c'est collant. Je joue dehors avec mes voisins, torse nu, comme eux.

Une madame me voit et crie : « Les petites filles ça se promène pas seins nus! Va te rhabiller! ».

Je reviens en pleurant chez moi. J’avais 7 ans.

C'est là que j’ai compris qu’être une fille, c’était pas le meilleur choix pour se faire du fun.

Deux ans plus tard, 1998. Assise en indien en face du mur extérieur de l’école, je gratte inlassablement ma palette de casquette sur la brique rouge. Une casquette des Raptors, mauve et noire, achetée la veille. Super belle, trop belle même, surtout trop neuve. Les casquettes neuves, c’est pas cool, les gars portent plutôt des casquettes pliées et déchirées. Fallait donc que la mienne soit pareille. J’ai dû passer trois heures à la racler sur la brique.

Cette même semaine, à ma demande, ma mère m’a fait une coupe champignon. Vite de même, avec les cheveux blonds, je trouvais que je ressemblais à Nick Carter des Backstreet Boys. Du moins, je ressemblais assez à un petit gars pour qu’on arrête de me faire chier avec mon sexe.

Ma mère me laissait faire. Elle n’a jamais émis le moindre commentaire sur ma féroce tendance à me travestir. Féministe dans l'âme, le fait d'être « née » fille ne devait en aucun cas dicter mes faits et gestes.

D’ailleurs, j’ai toujours eu l’impression que mon précoce rejet de la féminité lui plaisait. Comme si elle y voyait un signe de contestation clair et conscient contre les rigides stéréotypes féminins.

Et ma mère, je voulais la rendre fière. C’était la plus forte des mères parce que, comme je disais à l’époque, elle « pouvait faire tout ce que les hommes font ». Moi aussi je voulais faire « tout ce que les hommes font », et pour y arriver, le plus simple c’était de pas être une fille. Du haut de mes neuf ans, je ne voyais aucun avantage au sexe féminin. Plutôt l’inverse.

Être féminine, c’était le synonyme d’être insignifiante. Plutôt que de contester les limitations de mon genre assigné, je le rejetais et le dénigrais.

Pourtant, je n’avais aucun problème avec mes attributs physiques, eux, très typiques du « féminin ». Je voulais qu’on me prenne pour un gars, mais je crois n’avoir jamais désiré réellement en être un. Dans l'intimité de mon foyer, je pouvais jouer aux barbies, mais à la vue de toutes et tous, je choisissais plutôt des jeux stéréotypiquement masculins. Je riais des filles qui aimaient les poupées pour défendre mon goût des Hot wheels et des dinosaures.

Intuitivement, je comprenais les privilèges d’être un petit gars et je faisais tout pour en profiter. Anyway, les petites filles m’aimaient pas trop et pour me venger, je riais d’elles. Les filles, on appelait ça des guenilles; c’était mou et sale. Ça pouvait pas jouer comme du monde au ballon chasseur, pis ça criait quand tu frappais trop fort sur le ballon poire. Quand ça s’approchait trop, de peur d'être contaminé.e.s, fallait s’enfuir.

Moi, j’étais pas une fille. J’étais « elle, ça compte pas, c’pas une vraie fille ». Du haut de mes 9 ans, c’était le plus beau compliment du monde.

Ça me donnait le droit d’être choisie en premier en éducation physique, de pas être la gardienne de but au soccer le midi, de conserver la rondelle de cosom dans mes poches entre les récréations et de participer aux chasses de tornades après l’école.

La seule chose moins cool, c’était que j’étais en amour avec Simon-Luc, qui lui était en amour avec Maryse. Pis Maryse, c’était une vraie fille, douce, belle et pas super bonne au ballon chasseur. Déjà, je comprenais pas trop pourquoi les gars voulaient frencher des filles avec qui ils avaient pas de fun. Les belles filles, on les regardait de loin, mais il fallait surtout pas jouer avec.

N’empêche que j’avais compris la game, pis abandonner mes privilèges de gars pour tomber dans l’autre camp, je savais que c’était un mauvais plan. Si je retournais au statut de guenille, j’aurais à dire adieu à la chasse aux tornades le samedi et à mon droit prioritaire sur la deuxième manette du Nintendo 64 le dimanche. Entre ça pis l'amour, le choix était facile.

En 2000, j’ai changé d’école. À la nouvelle place, j’étais une fille. Malgré mes efforts, j’ai rien pu y faire. J'étais seule, sans mes privilèges de garçons et, par un juste retour de la balance, rejetée par les filles.

C’est là que je suis devenue une féministe.

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