Portrait de la jeune fille en feu (affiche du film) – Photo modifiée par Les 3 sex* – Utilisation équitable

Film • Portrait de la jeune fille en feu : toujours incandescent

9 avril 2021
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En attendant la sortie en Amérique du Nord du dernier film de la scénariste et réalisatrice française Céline Sciamma, Petite maman (présenté ce mois-ci à la Berlinale), on peut retourner à son film précédent, Portrait de la jeune fille en feu, sorti en 2019 (prix du meilleur scénario à Cannes). Le film, remarquable en lui-même, a été parfois éclipsé dans le discours médiatique par le contexte houleux du milieu cinématographique : le César du meilleur film remis à un réalisateur reconnu coupable de rapports sexuels illégaux avec une personne mineure (Roman Polanski, pour ne pas le nommer), alors même qu’une vague de dénonciations d’agressions sexuelles avait cours tant aux États-Unis qu’en France. « Quelle honte », s’était exclamée Adèle Haenel, l’une des interprètes de Portrait de la jeune fille en feu, avant de quitter la salle où se déroulait la cérémonie des Césars¹. 

Mais revenons au film en lui-même, qui trace autant le portrait de la jeune fille en feu, Héloïse (Adèle Haenel), jeune aristocrate tout juste sortie du couvent, que de Marianne (Noémie Merlant), une peintre à qui la mère d’Héloïse (Valeria Golino) confie la tâche d’effectuer le portrait de sa fille à son insu. Sont alors dépeints la relation intime qui se crée entre les deux jeunes femmes et le rôle de l’art dans leur vie en faisant référence au mythe d’Orphée, qui lie désir de création et désir amoureux, tout en se posant la question de l’agentivité de la personne aimée. Les plans mettant en valeur les yeux et les mains des protagonistes revêtent alors des significations des plus symboliques. S’y adjoint un autre symbolisme, celui des éléments naturels (eau, feu, vent, terre) qui viennent magnifier les décors et les émotions qui s’y jouent. 

Héloïse et Marianne sont aussi en soutien à un autre personnage : Sophie, la domestique, qui a aussi sa propre quête. Entre la personne au service de la famille, la jeune fille sur le point de se marier (à un homme qu'elle ne connaît pas, mariage arrangé par sa mère) et l'artiste héritière de l'atelier de son père, leur liberté d'action n'est bien sûr pas la même. Située au XVIIIe siècle, la fable permet d’exposer la condition des femmes à cette époque, en  mettant en lumière les expériences qui relient les personnages : l’expérience de grossesse non désirée et les méthodes d’avortement de l’époque, l’amitié ainsi que le rapport aux règles et aux normes qui régissent les positions sociales de chacune. Contrepied parfait des nombreux films qui échouent au test de Bechdel (puisque les personnages masculins ont une présence anecdotique, n’ont pas de nom et ne se parlent pas entre eux), le film ne présente que les quêtes des personnages féminins, un geste éminemment féministe. En portant attention, on se rend compte que le film aborde également, en filigrane, les questions de la transmission du savoir, du consentement et du droit à l’image. 

Modifiant les attentes conventionnelles pour faire de ses protagonistes des personnes agentives en contrôle de leur destin, Sciamma signe une œuvre magnifique où celles-ci sont au cœur des questions universelles que sont l’amour et la création. Elle prolonge ainsi son parcours amorcé en 2007 avec le film La naissance des pieuvres.

¹ Lire à ce sujet la tribune de Virginie Despentes : Despentes, V. (2020, 1er mars). « Césars : Désormais on se lève et on se barre », Libération, en ligne.

Référence

Réalisation/création : Céline Sciamma
Titre : Portrait de la jeune fille en feu
Date de parution : 18 septembre 2019

Ce film est disponible sur Vimeo

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