Au début des années 2000, en France, les études et les représentations du travail du sexe augmentent de manière significative¹, alimentant le débat opposant les féministes abolitionnistes et les féministes pro-sexe. Le documentaire Mutantes, réalisé en 2009 par Virginie Despentes, s’inscrit dans ce contexte et prend partie pour le mouvement pro-sexe et postpornographique, soutenant que « le corps, le plaisir, la représentation pornographique et le travail sexuel sont des outils politiques dont on doit s’emparer » (Mutantes, 3m40).

Virginie Despentes est une romancière et réalisatrice française née en 1969. Précipitée sur la scène publique après la parution de son premier roman Baise-moi (1994), par la suite adapté au cinéma (2000), elle est surtout connue pour son essai féministe King Kong Théorie (2006) et pour sa série de romans Vernon Subutex (2015-2017). Elle prend par ailleurs des positions politiques publiquement, comme dans son texte Désormais on se lève et on se barre² (2020), où elle dénonce la remise d’un César à Roman Polanski. Mutantes est son deuxième film.

Parcourant les États-Unis, la France et l’Espagne, la réalisatrice s’entretient avec des activistes, des travailleuses du sexe, des théoriciennes et des artistes issues de diverses communautés artistiques. On entend la parole de travailleuses du sexe, blanches et racisées, de pornographes « dykes », d’un photographe trans et de personnes issues de la scène S&M (sado-masochisme). Les entrevues sont entrecoupées d’extraits de films, d’images d’archives et de performances. Par la pluralité des perspectives et des projets artistiques, Mutantes propose un portrait extensif du mouvement pro-sexe en Occident, laissant s’exprimer par elles-mêmes les travailleuses du sexe, leur conférant une agentivité et une subjectivité que la pornographie traditionnelle leur refuse.

En ce sens, la postpornographie, un concept forgé dans les années 1990 par l’artiste américaine Annie Sprinkle, est considérée comme « a certain genre of sexually explicit material that is more thoughtful, creative and artistic than the rest³ ». Cette pratique artistique s’oppose à une vision patriarcale d’une pornographie où le regard et le désir masculins et hétérosexuels sont proéminents, où une rigide binarité des genres domine et où la focalisation est nécessairement située sur les organes génitaux. Ce qui séduit par exemple la féministe barcelonnaise Maria Llopis, c’est précisément son côté expérimental : « Sometimes it’s incomprehensible [...] but this line of research is what really interests me » (Mutantes, 1h17). Parmi les performances, on retrouve l’une de celles de Sprinkle, dans laquelle l’artiste demande au public de la photographier, en proposant avec humour des positions clichées, mettant ainsi à distance les codes de la pornographie traditionnelle.

Enfin, le documentaire Mutantes de Virginie Despentes retrace, grâce à son esthétique cinématographique caractéristique des années 2000, ses expérimentations visuelles et ses couleurs psychédéliques, un moment du féminisme pro-sexe. Il nous met en contact, à travers les images d’archives, avec des performances et des pratiques parfois déstabilisantes, parfois drôles et toujours très critiques. On pourrait aujourd’hui espérer la réalisation d’un film comparable, où des projets plus contemporains seraient mis de l’avant, à l’instar des réalisations de Marit Östberg ou des plateformes indépendantes comme A four chambered heart.

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¹ Florence Tamagne. (21 avril 2016). « Sexualité et travail du sexe ». Le mouvement social, no. 254, en ligne. 
² Virginie Despentes. (1^er mars 2020). Césars : « Désormais on se lève et on se barre ». Libération, en ligne. 
³ Émilie Jouvet. (2014). La post-pornographie comme art féministe. Recherches féministes, vol. 27, no.2, en ligne.

Référence 

Réalisation/création : Virginie Despentes
Titre : Mutantes. Féminisme porno punk.
Date de parution : 2009

Ce film est disponible sur Kanopy.