Sans rendez-vous – Photo modifiée par Les 3 sex* – Utilisation équitable

La minisérie « Sans rendez-vous », c’t’une joke!

21 janvier 2022
Abigaël Bouchard (iel, elle)
px
text

Le 5 janvier dernier a débuté la diffusion de Sans rendez-vous, une minisérie produite par Radio-Canada. Elle est disponible sur Tou.tv depuis le 30 septembre 2021.

AVERTISSEMENT : Ce texte contient des divulgâcheurs.

Selon le site de Radio-Canada, l’idée de base de la série est « une comédie décapante qui ne s’excuse pas d’aborder des sujets tabous, mais importants (diversité sexuelle et de genre, pratiques sexuelles inusitées, ITSS, contraception, dysfonctions sexuelles, travail du sexe, santé sexuelle du couple, etc.) et qui les traite avec sensibilité et humanité. Les personnages vivent tous des défis et des souffrances intrinsèques à notre société moderne et nous rappellent que, même si le sexe est partout, il est encore loin le jour où on aura fait le tour du sujet. »

À première vue, les sujets traités sont un terreau fertile pour en faire une série très populaire. D’ailleurs, tout ce qui parle de sexualité est très vendeur! Cependant, après avoir regardé en rafale les dix épisodes de la première saison (oui, l’autrice en prépare une deuxième), on est en lieu de se demander si cette minisérie est vraiment du divertissement et si elle atteint les objectifs énoncés précédemment.

Par exemple, prenons une situation traitée dans l’épisode no 8, où la sexologue rencontre un  groupe de garçons dans une école secondaire qui ont inventé un jeu surnommé « Faire un renard ». Le jeu consiste à piquer les fesses des jeunes filles avec un crayon pour « simuler une pénétration » et publier leurs actes sur les réseaux sociaux pour s’en moquer. Pour expliquer la gravité des gestes aux garçons, qui trouvent ça drôle, la sexologue réplique en disant : « Faire un renard, c’est une agression sexuelle ». Et l’un des garçons réplique : « C’pas des agressions, c’est des jokes! ». Cet épisode est assez difficile à regarder car on y voit les témoignages déchirants des jeunes filles victimes de ce jeu dégradant et humiliant. Même si on comprend facilement que c’est une fiction, l’essentiel est de nous faire prendre conscience que des jeux apparemment anodins peuvent en réalité être considérés comme des agressions sexuelles au sens de la loi. 

Jusqu’ici, la manière de traiter un sujet aussi sensible est saluée. Cependant, la finale de cet épisode en est tout autre. On y reviendra plus loin.     

À propos des enjeux liés à l'identité de genre, par contre, la minisérie le fait d’une manière  particulièrement troublante, notamment avec le personnage de Lou, assigné garçon à la naissance et s'identifiant comme non binaire. Lou est représenté comme ayant des manies et une expression de genre féminines, portant maquillage et accessoires normalisés comme féminins. Cette représentation fait perdurer les préjugés face à la non binarité. La non binarité ne se voit pas, c'est une identité de genre et non une expression de genre. D’ailleurs, on dit sur le site de l’émission que « Lou/Louis-Philippe (30 ans) [...] est une personne non binaire, donc qui s’identifie comme n'étant ni homme ni femme. Iel préfère qu’on l’appelle Lou et qu’on utilise un pronom neutre lorsqu’on s’adresse à iel. Cette particularité est tout de même récente. »

Bien que l’utilisation du pronom « iel » est approprié ici, il est choquant de voir qu'on morinomme (“dead name”) le personnage en publiant son nom assigné à la naissance. Cherchait-on à justifier les racines de « Lou »? Si oui, il s'agit d'une preuve de la méconnaissance des réalités des personnes non binaires par les responsables de la minisérie. Premier faux pas! Le prénom choisi prime sur le prénom assigné à la naissance, ou celui apparaissant sur des documents officiels. Faire abstraction de cela entraîne des situations exténuantes et invalidantes pour les personnes non binaires.

Deuxième faux pas : dire que la non binarité est une identité récente. C'est faux. Le terme « non binaire » est peut-être récent dans le vocabulaire courant, mais les personnes non binaires ont toujours existé. D’ailleurs, dans certaines cultures, il existe depuis longtemps plus de deux identités de genre. Ce n’est donc pas une réalité récente.

De toute évidence, le fait que la minisérie soit truffée de préjugés et de stéréotypes porte à penser que les responsables de l'œuvre n'ont très probablement pas consulté les organismes desservant les communautés 2SLGBTQIA+ pour les guider dans la réalisation, et qu'ils et elles n'ont probablement pas fait l'effort de recruter des comédien.ne.s appartenant à ces communautés. Force est de constater que cette minisérie cherche à plaire à la majorité hétéronormative et cisgenre, sans égard aux minorités sexuelles et de genre.

Comment se sentent les personnes encore dans le placard après avoir regardé ce genre d'émission? Ou encore les ados victimes d'agression telle que présentée dans la série? Et quelle est l'impression des membres de la famille d'enfants trans ou non binaires?

Marie-Andrée Labbé ainsi que l'équipe de production et de réalisation, en plus des responsables de Radio-Canada, semblent se donner une certaine crédibilité et ouverture d'esprit face aux sujets traités dans la série. Selon le blogue de Radio-Canada, l'objectif de l'autrice « n’est pas de faire passer des gens pour des Freaks. Si c’est le cas, on démystifie, après. Grâce à la sexologue et au personnel, d’où peuvent venir ces déviances-là ». Pourtant, en utilisant le terme « déviance » en parlant de comportements sexuels non conformes aux normes sociétales, on est plutôt dans la marginalisation que la démystification.

Et dans Le Devoir, l'autrice mentionne « On ne fait pas d’éducation dans la série, mais je voulais que Sarah donne de véritables conseils. Elle est compétente. » Le but de la série n’est peut-être pas de faire de l’éducation. Cependant, on pourrait croire le contraire. Revenons un instant à la scène où les garçons sont réprimandés par la sexologue au sujet du jeu « Faire un renard ». Ce qui est dommage, c’est la finale de cet épisode où la sexologue se fait prendre elle-même au piège du jeu. Probablement, voulait-on terminer l’épisode sur une note humoristique. Cependant, la réaction de la sexologue est faite de manière moralisatrice avec des répliques très stéréotypées du genre que « l’amour ce n’est pas juste pour les filles » ou encore « les garçons se sentent faibles et vulnérables eux-autres aussi ». Ce n’était pas nécessaire et en rien comique. D’ailleurs, cette réaction fait perdre la crédibilité que l’on voulait donner à la sexologue et infirmière de surcroît! 

En définitive, Sans rendez-vous est un rendez-vous manqué avec la déconstruction des préjugés face aux communautés 2SLGBTQIA+. C’est malheureux car ce genre d’émission contribue à garder les gens dans le placard longtemps. D’ailleurs, la peur d’être ridiculisées et marginalisées amène certaines personnes à avoir des pensées suicidaires. Ce n’est pas drôle ça! Traiter de sujets aussi sensibles avec humour n’est pas sans responsabilité. L’humour ne donne pas carte blanche pour dire ce que l’on veut.

Non, ce n’est pas « une joke »!

Présenter des sujets délicats sous l'angle de l'humour est une chose, mais le faire sans comprendre les réalités des communautés de la diversité sexuelle et de genre ne fait que renforcer les préjugés, banaliser les situations problématiques et désinformer la population en présentant des vécus comme l'unique réalité.

Pour plus d’informations sur les réalités des personnes de la diversité sexuelle et de la pluralité de genre, vous pouvez consulter les organismes qui se démènent pour rendre la société plus inclusive. Entre autres,

Alterhéros, ATQ, ASTT(e)Q, Astérisk, Centre de lutte contre l’opression des genres, Coalition des familles LGBTQ+, Conseil Québécois LGBTQ, Jeunes identités créatives, Jeunesse Idem, Fondation Jasmin Roy et Sophie Desmarais, Fondations Émergences, Gay & Gray Montréal, Head and Hands, Interligne, Le Néo, RÉZO, Réseau des lesbiennes du Québec, Divergenres, Diversité 02, Fierté Val-D’or, Iris Estrie, Le Jag, Les 3 sex*, LGBT Baie des chaleurs, MAINS Bas St-Laurent, Trans Estrie, Trans Outaouais, Trans Mauricie/Centre du Québec, West Island LGBTQ2+ Centre.

Note sur l’autrice :
Abigaël est une personne non binaire et transféminine, membre du C.A. de l’organisme Trans Outaouais et intervenante au GRIS Montréal dans le cadre de leur volet sur l’identité de genre. Iel a à cœur de rendre la vie des personnes de la pluralité de genre plus facile. Sa motivation : défaire les préjugés à l’égard de ces personnes marginalisées dans une société encore très hétéronormative et rendre la société plus inclusive en intervenant auprès des écoles, des entreprises et des organismes gouvernementaux.

Source:
https://ici.radio-canada.ca/tele/blogue/1826020/isabelle-vincent-stephane-rousseau-anne-casabonne
https://ici.radio-canada.ca/tele/sans-rendez-vous/site/emission/concept
https://www.ledevoir.com/culture/ecrans/634362/ecrans-sans-rendez-vous-un-rendez-vous-tele-a-ne-pas-manquer

Référence

Textes : Marie-Andrée Labbé

Réalisation :  Patrice Ouimet

Production : Fabienne Larouche et Michel Trudeau pour Aetios Productions

Titre : Sans rendez-vous

Date de parution : 30 septembre

Plateforme disponible [➦] : ICI Tou.tv Extra 

diversité, LGBTQ, non binaire, stéréotype, marginalisation, Magalie Lépine-Blondeau, éducation