Un été comme ça (affiche du film) – Photo modifiée par Les 3 sex* – Utilisation équitable

Film • Un été comme ça

21 septembre 2022
px
text

Après une première mondiale au festival de films Berlinale en 2022, Un été comme ça est enfin parvenu sur les grands écrans de nos cinémas. Il s’agit du nouveau long-métrage (qui compte pour pas moins de deux heures et quart) de Denis Côté, réalisateur connu son film Répertoire des villes disparues sorti en 2019 et pour pour sa contribution au Renouveau du cinéma québécois, une mouvance qui a émergé au début des années 2000, et à laquelle sont rattaché.e.s des cinéastes comme Xavier Dolan et Anaïs Barbeau-Lavalette.

La trame narrative est simple, voire minimaliste : Léonie (Larissa Corriveau), Geisha (Aude Mathieu) et Mathilde (Marie-Claude Guérin) vivent avec des troubles sexuels et d’hypersexualisation. Elles sont invitées à une retraite dans une maison de campagne, accompagnées de deux intervenant.e.s, Octavia (Anne Ratte-Polle), chercheuse et thérapeute, et Sami (Samir Guesmi), travailleur social. C’est l’occasion, pour les trois femmes, d’essayer un nouveau mode de vie pour 26 jours, d’explorer leurs traumas, et de tisser de nouvelles relations. La lenteur du film rend le regard contemplatif, et les dialogues clairsemés.

Plusieurs se demandent comment un homme blanc, cis et hétéro peut-il bien contribuer à la représentation de la sexualité des femmes au cinéma. Denis Côté se positionne d’ailleurs explicitement : « Mais je sais bien que je suis un homme de 48 ans, blanc, qui arrive avec ses privilèges d’hétérosexuel, a-t-il déclaré devant les journalistes. C’est la raison pour laquelle je me suis blindé de regards de femmes pendant tout le processus d’écriture et de fabrication du film¹ ». Le réalisateur s’est entouré d’une équipe composée de femmes ou de personnes non binaires dont la monteuse Dounia Sichov, la dramaturge Rachel Graton à titre de conseillère au scénario et la sexologue Estelle Cazelais comme conseillère sexologique et comme soutien aux actrices, pour ne nommer que celles-là.

D’autres collaborateurs et collaboratrices ont également contribué à la réalisation, dont le rigger William Desjardins², qui fait une brève mais significative apparence lors d’une scène de shibari (pratique BDSM qui implique cordes et nouages) qui a lieu à Tension, le seul espace à Montréal entièrement voué à cette pratique. C’est d’ailleurs Desjardins qui a insisté pour intégrer une scène « d’aftercare », ou soin après la séance de shibari, pour contribuer à déstigmatiser la représentation objectivante du bondage³. On pourrait croire, en ce sens, que la table a été bien mise, que les arrières-gardes du réalisateur ont été « protégées », mais le visionnement du film propose une lecture de la sexualité plus ambiguë, moins radicale que l’on ne pourrait l’espérer. 

La nudité des femmes à l’écran est un lieu commun de l’histoire de l’art et du cinéma. Il y fait d’ailleurs référence lors d’une des premières scènes dans la maison de retraite : Geisha est allongée à demi-nue sur le lit et à la tête du lit s’élève un dossier à l’apparence d’un coquillage, scène codée pour qui connaît les représentations de Vénus, la déesse de l’amour, dans l’art italien du XVe siècle. Mais Denis Côté n’offre pas davantage une représentation mythifiée du corps des femmes; il entre plutôt dans leur intimité : on les voit se masturber à plusieurs reprises, y compris l’intervenante Octavia. On observe également, à travers un gros plan sur la vulve et le pubis d’une des femmes, l’attention avec laquelle elle taille son poil. L’esthétique du film – lenteur, musique rarissime, accent mis sur la santé mentale et l’introspection – enlève toute dimension érotique et la caméra échappe en partie au male gaze, soit une façon masculine, hétérosexuelle et objectifiante de filmer les femmes. On ne peut évoquer la question de la représentation sans toutefois parler de diversité, et c’est là où le bât blesse : Denis Côté met certes à l’écran des femmes de deux différentes générations, mais elles sont blanches, elles sont cis, elles sont minces. Le projet d’Un été comme ça aurait bénéficié d’une plus grande diversité.

D’autres aspects du film demeurent ambiguës (voire décevante) : le rôle de la masculinité dans un espace autrement composé de femmes, la perspective pro-sexe (ou non?) du travail du sexe, la relation des intervenant.e.s aux participantes. Pour un film qui espère renouveler le cinéma québécois sur la question de la sexualité des femmes, il aurait été par moment souhaitable de ne pas se retrouver dans l’ambiguïté, et d’habiter un espace résolument et explicitement radical.

***

¹ Cité dans Marc-André Lussier dans La Presse, 15 février 2022, en ligne.
² Rigger : la personne qui applique les cordes dans le contexte du shibari.
³ Diane Lestage dans Maze, 27 juillet 2022, en ligne.

Référence
Réalisation/création : Denis Côté
Titre : Un été comme ça
Date de parution : 2022

La film est à l'affiche dans plusieurs salles de cinéma du Québec.

cinéma, nouvelle vague, femme, hypersexualisation, travail du sexe, trauma, thérapie, shibari