« Je vous salue salope » (affiche du film) – Photo modifiée par Les 3 sex* – Utilisation équitable

Documentaire • Je vous salue salope

5 octobre 2022
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Faisant directement référence à la prière catholique¹, Je vous salue salope ne nourrit pas notre foi. On nous amène plutôt dans une partie du numérique malsain où les femmes² sont (cyber)violentées. Dès les premières secondes du documentaire, les réalisatrices annoncent clairement leur principale intention : offrir un espace où les victimes de cyberviolence peuvent s’exprimer sur leurs expériences et les multiples conséquences qu’elles continuent d’endurer. 

Ce sont les récits de Laura Boldrini, politicienne italienne; Laurence Gratton, enseignante au primaire vivant à Montréal; Kiah Morris, politicienne racisée états-unienne; et Marion Séclin, productrice de contenu française et militante féministe, qui nous sont présentés. Quatre femmes ayant un parcours unique, mais toutes victimes d’un même fléau : la misogynie³.      

En pleine continuité avec le mouvement #MeToo qu’on a vu déferler partout dans le monde, Léa Clermont-Dion nous offre son regard critique du phénomène en tant que cinéaste, conférencière, doctorante en sciences politiques et chercheuse s’étant penchée sur l’agentivité féminine et la cyberviolence vécue par les femmes. Guylaine Maroist, quant à elle, nous présente son interprétation de la cybermisogynie d’un point de vue de productrice, scénariste et réalisatrice. 

C’est dans cette interdisciplinarité qu’on retrouve d’ailleurs la force du documentaire : en présentant leurs points de vue, alimentés de leurs expériences personnelles et professionnelles, les réalisatrices nous amènent à dresser un portrait juste et exhaustif du phénomène de la misogynie numérique. Qui plus est, elles mettent de l’avant d'autres professionnelles, notamment une autrice et experte en misogynie en ligne, une linguiste, et enfin, une analyste en communication. Toutes les trois enrichissent notre compréhension concernant la cybermisogynie et ses multiples implications pour les victimes et la société dans son ensemble.  

Cette compréhension globale met également en lumière les enjeux systémiques de la misogynie en ligne : celle-ci s’inscrit dans un système qui tend à banaliser les violences faites aux femmes. En nous montrant explicitement les mots utilisés pour faire violence, les réalisatrices démontrent à quel point ces insultes sont rendues banales, entre autres sur les réseaux sociaux, mais aussi sur le plan sociétal et culturel. Le visionnement est à plusieurs moments éprouvant : tout comme ces femmes victimes de cyberviolence, nous n'échappons pas, même en tant que public, aux conséquences psychologiques de ce fléau. En revanche, la résilience de ces dernières nous offre un vent d’espoir qui est crucial.     

Malgré la diversité de trajectoires présentées, il aurait été intéressant de suivre le vécu d’une personne cyberviolentée appartenant à la diversité sexuelle et de genre, se trouvant ainsi à l'intersection d’autres axes d’oppression. Cela aurait offert un point de vue encore plus intersectionnel sur la cybermisogynie. L’avis professionnel d’un.e sexologue aurait également été pertinent pour offrir une perspective sexologique sur ce phénomène. Somme toute, Je vous salue salope reste un documentaire nécessaire. En jouant avec l’intensité et la banalité des violences en ligne, Léa Clermont-Dion et Guylaine Maroist réussissent haut la main à véhiculer leur message : « On ne peut plus sous-estimer la cyberviolence. » 

***    

¹ Référence à la prière catholique Je vous salue Marie (ou, en latin, Ave Maria), adressée à la Vierge Marie, symbole ayant influencé la religion chrétienne puisqu’elle est la mère de Dieu. En y faisant référence, les réalisatrices soulignent la contradiction suivante : Marie - symbole féminin, mère de Dieu et tous les êtres humains - est respectée, voire vénérée sur le plan religieux. Pourtant, les femmes ou personnes ayant des caractéristiques typiquement féminines sont, encore aujourd’hui, (cyber)violentées.
² Le documentaire suit des femmes cisgenres.
³ Sensoy et DiAngelo (2017) la définissent comme le « mépris et [la] haine des femmes et des caractéristiques associées aux femmes ou à la féminité. » (traduction libre).

 

Référence 

Réalisation/création : Léa Clermont-Dion et Guylaine Maroist 
Titre : Je vous salue salope 
Date de parution : 9 septembre 2022

La film est à l'affiche dans plusieurs salles de cinéma du Québec.

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