Lou Bonnet – Photo modifiée par Les 3 sex* – Utilisation équitable

Enquête • Hormonothérapie : quand les personnes trans se tournent vers le marché noir

10 novembre 2022
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Nécessité oblige, dit l’adage. C’est surtout parce qu’elles n’ont pas vraiment la possibilité de faire autrement que des personnes trans et non-binaires¹ se tournent vers le marché noir pour obtenir des hormones.

Mais pourquoi suivre cette voie plus compliquée et plus risquée alors qu’on pourrait tout simplement demander une prescription à son ou sa médecin? Les 3 sex* a fait enquête.

Aux grands maux les grands moyens

Imaginez que vous souhaitiez obtenir un traitement qui pourrait alléger une douleur que vous avez depuis longtemps et qui nuit à votre bien-être. Que votre médecin de famille refuse de vous aider, disant ne pas bien connaître ce traitement. Qu’il ou elle vous réfère à une personne spécialiste. Que cette personne spécialiste travaille dans une clinique où il y a plusieurs mois, voire des années, d’attente. Que cette clinique se trouve dans une grande ville loin de chez vous. Que vous avez à payer des frais de transport pour vous y rendre, en plus de perdre une journée de salaire parce que vous devez vous absenter du travail.

Que feriez-vous? Patienteriez-vous sagement pendant que votre douleur continue de gruger votre moral? Ou bien tenteriez-vous de trouver un plan B, une voie d’accès plus rapide à votre traitement?

Si des personnes de la diversité de genre optent pour la voie non médicale – et illégale –, c’est le plus souvent pour contourner les barrières d’accès qui se dressent sur leur chemin vers les soins transaffirmatifs. C’est pour obtenir ce qui pourrait atténuer leur dysphorie de genre ou leur insuffler de l’euphorie de genre. C’est pour s’épanouir dans leur genre affirmé.

C’est ce qui est arrivé à Judith L., qui a bien voulu partager son histoire avec Les 3 sex*. Après des années à envisager de faire une transition médicale, mais à être sur une liste d’attente pour avoir un.e médecin de famille, Judith s’est tournée vers la clinique médicale La Licorne.

Cette clinique médicale, située à Montréal, adopte une approche de consentement éclairé pour les soins transaffirmatifs. Autrement dit, il n’est pas nécessaire de fournir une référence d’un.e médecin de famille ni d’avoir une lettre de recommandation d’un.e psychologue ou d’un.e sexologue pour accéder aux services. C’est ce que Judith voulait.

Le seul hic, c’est que la jeune femme devait encore patienter de six à neuf mois avant de pouvoir consulter un.e médecin de cette clinique (un délai semblable aux autres cliniques de consentement éclairé à l’heure actuelle). Neuf mois d’attente qui s’ajoutent à plusieurs années d’attente, c’était pour elle la goutte qui a fait déborder le vase. Judith a alors choisi de commencer une « hormonothérapie DIY » (Do It Yourself) en s’informant sur le sujet dans les communautés trans en ligne.

Marché noir (ou gris) nouveau genre

Quand on imagine quelqu’un se procurer des substances illégalement, on ne visualise pas une personne faisant une transaction en ligne avec des Bitcoins pour faire venir d’une pharmacie de Turquie de l’estradiol au Canada.

C’est pourtant ce qui est arrivé à Judith, la première fois qu’elle s’est tournée vers les réseaux d’approvisionnement sur Internet pour obtenir des hormones. Comme elle le spécifie, il faudrait parler de « marché gris » plutôt que de « marché noir » dans ce cas, puisqu’il s’agit de se procurer des produits légaux par le biais de réseaux de distribution qui ne sont pas autorisés par les compagnies de fabrication. 

Outre le fait qu’elle ait dû apprendre à acheter des Bitcoins, puis attendre cinq semaines avant de recevoir son colis, Judith décrit son expérience comme ayant été positive. « Même si je n’avais pas de suivi médical au début, les traitements se sont bien passés. Je me suis sentie mieux; ça m’a apaisée. Je suis contente d’avoir fait ces démarches même si c’était compliqué », raconte-t-elle, avant d’ajouter qu’elle a été particulièrement inspirée par la lecture de Testo junkie : sexe, drogue et biopolitique, de Paul B. Preciado, avant d’entamer sa transition. 

Judith n’est pas la seule à avoir opté pour la voie non médicale. Une recension systématique regroupant des études réalisées en Occident et en Europe a révélé que plusieurs personnes trans achètent des hormones sur Internet (Heng et al., 2018). L’équipe de recherche explique que ces personnes feraient ce choix parce qu’elles n’ont pas accès au système de santé. Ou encore parce qu’elles l’évitent par crainte d’y vivre de la transphobie ou de se faire mégenrer². 

Le sexologue Alexandre Drouin, qui a cofondé la clinique sexologique Mestra, a bien voulu aborder ce sujet en entrevue avec Les 3 sex*. Il a mentionné que, dans sa clientèle, des personnes lui ont confié avoir déjà pris des traitements hormonaux sans prescription médicale. Le plus souvent, ces personnes en auraient obtenu par le biais d’ami.e.s ou de connaissances. D’autres en auraient fait la demande dans des groupes de soutien pour les personnes trans et non-binaires sur les réseaux sociaux. Dans de rares cas, elles auraient acheté des hormones à un revendeur ou une revendeuse de drogue dans la rue.

Rappelons aussi que, historiquement, certaines personnes trans ne pouvaient pas faire de transition au sein du système de santé québécois. Viviane Namaste, dans son ouvrage C’était du spectacle! : l’histoire des artistes transsexuelles à Montréal, 1955-1985, a mis en lumière les barrières d’accès à la transition médicale durant cette période. Les travailleuses du sexe trans, vues comme des parias par les médecins de l’époque, se voyaient refuser l’hormonothérapie sous prescription. Cela les a obligées à se tourner vers le marché underground pour s’en procurer.

Jouer aux docteur.e.s?

Les discours qu’on entend le plus souvent sur l’automédication hormonale sont plutôt négatifs, voire catastrophistes. 

Or, de nombreuses personnes de la diversité de genre considèrent qu’il est tout à fait possible de se passer des services des médecins et endocrinologues. Elles se disent capables de gérer leurs propres traitements hormonaux, en faisant entre autres appel aux communautés en ligne pour du soutien informel.

Les communautés en ligne peuvent-elles vraiment remplacer les médecins? Judith fait valoir que ces communautés regorgent d’informations pour les personnes qui souhaitent prendre en charge elles-mêmes leur transition hormonale. Selon elle, le marché underground des hormones n’est pas le « Far West » qu’on pourrait imaginer, et les personnes trans et non-binaires optant pour cette voie ne le font pas toutes de « façon cowboy, sans prendre de précaution ». Au contraire.

Par exemple, sur Trans DIY – une communauté Reddit comptant plus de 38 000 membres –, on trouve des protocoles suggérant des étapes à suivre pour des traitements hormonaux sans prescription médicale. On suggère entre autres aux personnes commençant une hormonothérapie d’aller d’abord dans une clinique pour faire une prise de sang initiale afin d’établir leurs taux sanguins.

Ensuite, on donne des conseils par rapport à la dose initiale en fonction du poids et des doses suivantes. On recommande aussi de retourner faire un bilan sanguin après trois mois, puis six mois plus tard, et ensuite une fois par année. « C’est en quelque sorte une prise en charge communautaire, soutient Judith. Les membres du groupe ont accès à des informations et des mises en garde. »

Un des avantages des communautés en ligne selon cette dernière est qu’elles permettent d’accéder à des informations sur des traitements différents de ceux qui sont préconisés actuellement dans les Standards de soins de la World Professional Association for Transgender Health (WPATH) et prescrits par les médecins.

Par exemple, une des pratiques communautaires répandues pour les femmes trans est la « monothérapie ». Elle consiste en la prise d’estradiol sur une base régulière sans bloqueurs de testostérone, alors que les médecins prescrivent actuellement ces bloqueurs. Les personnes qui préconisent la monothérapie disent qu’elle présente moins de risques pour la santé qu’un traitement comprenant ces bloqueurs.

Selon Judith, la médecine trans comporterait des failles importantes. Elle recommande à ce sujet la lecture de l’ouvrage Trans Medecine, de steph m. shuster : « Il n’y a pas de bases scientifiques clairement établies pour les pratiques médicales qui ont cours. La plupart des données sur lesquelles s’appuie la WPATH sont obtenues par le biais d’études auprès d’hommes cis qui ont un cancer de la prostate ou de femmes cis, ou encore par des tests sur des animaux. »

Pour certaines personnes trans et non-binaires, l’hormonothérapie DIY s’inscrit dans une démarche d’autodétermination par laquelle elles prennent le contrôle sur leur corps et sur leur parcours de transition. De plus, des personnes trans ayant une formation en chimie produiraient elles-mêmes des traitements hormonaux, ce qui permettrait de ne pas avoir recours à des produits créés par des compagnies pharmaceutiques ni à des réseaux clandestins plus ou moins fiables.

Cela dit, l’hormonothérapie DIY reste une voie plus complexe que celle sous supervision médicale, prévient Judith. Il faut absolument faire des recherches sur les doses appropriées pour son poids, ses résultats sanguins et le stade de la transition. « Si tu ne veux pas faire l’effort de te documenter sur ton corps et sur les soins appropriés, va voir un.e médecin », recommande-t-elle. « Le DIY implique qu’on doit apprendre par soi-même. »

Le côté sombre du marché noir

Tout n’est pas rose sur le marché noir… D’abord, comme pour n’importe quelle substance achetée clandestinement, il y a des risques que les produits ne correspondent pas à ce qui est demandé.

Par exemple, des hormones vendues en ligne peuvent comporter des doses plus basses que celles qui sont prises habituellement pour une transition de genre. Dans ce cas, les traitements donnent peu de résultats et ne parviennent pas à soulager la dysphorie de genre de la personne. Au contraire, les doses peuvent être trop élevées, ce qui peut entraîner de graves conséquences sur la santé. Parmi ces risques, notons les changements d’humeur et la dépression ainsi que les lésions hépatiques, les caillots de sang, l’hypertension artérielle, le cancer du sein et les maladies cardiovasculaires (Amnistie internationale, 2019).

À ces risques pour la santé s’ajoutent ceux en lien avec la sexualité. Si une hormonothérapie sous supervision médicale peut impacter la fonction sexuelle, il est fort possible que ces effets soient exacerbés par un dosage inégal.

« Par exemple, si on prend des doses faramineuses de pilules contraceptives, ça peut être plus difficile d’avoir une érection », signale le sexologue Alexandre Drouin. Un mauvais dosage peut aussi affecter la libido et entraîner l’infertilité. »

Il ajoute qu’une trop grande dose d’hormones peut être reconvertie par le système endocrinien. Par exemple, si une personne prend une trop grande dose de testostérone, le surplus sera reconverti en œstrogène. Cela aura comme conséquence d’annuler l’effet du traitement ou d’entraîner des effets secondaires indésirables.

Il faut aussi préciser que certaines conditions de santé nécessitent la prise d’une médication qui peut difficilement être jumelée avec un traitement hormonal. Dans ce cas, il peut être risqué pour la santé de suivre une hormonothérapie. Or, une personne faisant l’achat d’hormones illégalement pourrait ne pas avoir accès à ces connaissances vitales par rapport aux contre-indications de sa médication.

L’absence de suivi médical peut être dangereuse puisque les effets des traitements hormonaux ne sont pas contrôlés. L’Association des médecins endocrinologues du Québec recommande que les personnes trans et non-binaires qui prennent des hormones aient un suivi médical. Il est aussi important qu’elles fassent des prises de sang régulièrement pour vérifier que leurs niveaux sanguins ne dépassent pas la normale, peut-on lire sur le site Web de l’association.

Contourner les barrières d’accès

Pour certaines personnes, le marché noir ou gris semble bien souvent une option de dernier recours pour contourner les barrières d’accès.

En effet, malgré des améliorations notables dans le système de santé canadien en matière de soins d’affirmation de genre au cours des dernières décennies – rappelons-nous la triste époque où la transidentité était considérée comme une maladie mentale –, il reste encore du chemin à faire pour assurer des services accessibles et de qualité aux personnes de la diversité de genre.

La difficulté d'accès aux prescriptions fait partie des nombreuses barrières d'accès aux soins transaffirmatifs. Même si les médecins de famille peuvent prescrire des hormones aux personnes usagères trans et non-binaires, plusieurs préfèrent référer leur patient.e à un.e spécialiste de deuxième ligne. Et qui dit spécialiste de deuxième ligne dit aussi délais d’attente et services moins accessibles.

C’est d’ailleurs ce qu’a démontré une étude de Clark et ses collègues (2018a), portant sur les enjeux d’accessibilité aux soins de première ligne pour les jeunes trans et non-binaires au Canada. Les résultats de cette étude ont révélé que le (trop) long délai d’attente pour recevoir des services est une importante barrière d’accès pour ces jeunes. Pour celles et ceux vivant en milieu rural ou dans de petites villes, la distance à parcourir pour accéder aux services dans une grande ville était également considérée comme une barrière d’accès.

Les cliniques à consentement éclairé présentent l’avantage d’offrir un accès direct à l’hormonothérapie. Nul besoin d’une référence d’un.e médecin ni d’une évaluation psychologique³. Le hic, c’est que plusieurs de ces cliniques sont actuellement victimes de leur succès. Certaines d’entre elles ont de longs délais d’attente, et d’autres ont même dû fermer leur liste d’attente faute de place disponible.

Les difficultés d'approvisionnement constituent une autre barrière d’accès. Alexandre Drouin explique qu’il y a deux compagnies pharmaceutiques principales vendant de la testostérone injectable au Québec : Bausch Health et Pfizer, qui produisent respectivement le Delatestryl et le Depo-Testosterone. Pour conserver le monopole, ces compagnies produisent une quantité limitée de testostérone.

Il arrive souvent qu’il y ait une rupture de stock de testostérone d’une de ces compagnies en pharmacie obligeant certaines personnes usagères à demander à leur médecin une prescription pour la testostérone de l’autre compagnie. Or, cette demande ne serait pas toujours acceptée. « Plusieurs médecins préfèrent ne pas faire cette prescription parce que le fait de changer de marque peut entraîner des effets négatifs et un débalancement », précise Léo-Frédérik Leroux, vice-président et directeur du volet diffusion chez Les 3 sex*.

D’autres se tournent temporairement vers des réseaux d’approvisionnement illégaux (par exemple, sur Internet ou sur les réseaux sociaux).

Le sexologue rapporte aussi que, durant les premières vagues de COVID, il y a eu un grave problème d’approvisionnement de testostérone injectable : « Les deux compagnies pharmaceutiques principales étaient en rupture de stock. De plus, il était devenu très difficile d’obtenir un rendez-vous avec son ou sa médecin ou endocrinologue pour un renouvellement de prescription. On n'avait plus accès à des rendez-vous en présentiel pendant plusieurs mois, et les médecins étaient débordé.e.s par lespatient.e.s qui les consultaient pour des symptômes de COVID. » Cette situation a favorisé la formation de réseaux d’entraide pour l’approvisionnement en testostérone.

Un sondage réalisé par TransPulse auprès de personnes trans et non-binaires au Canada a d’ailleurs montré que 28 % des répondant.e.s ont dû interrompre leur traitement hormonal durant la pandémie et que 46 % ont été incapables d’obtenir une nouvelle prescription ou un renvoi pour un traitement hormonal.

Chemins de traverse

Paradoxalement, il serait plus facile de se faire prescrire des hormones par un.e professionnel.le de la santé quand on a déjà commencé à en prendre sans prescription médicale.

« Quand on arrive chez un.e médecin et qu’on lui dit qu’on prend déjà des hormones illégalement, il y a beaucoup plus de chances qu’il ou elle nous en prescrive, et ce, sur une base de réduction des méfaits », affirme Judith.

Ses propos sont d’ailleurs corroborés par des études, qui ont révélé que la prise d’hormones achetées sur le marché noir pouvait faciliter l’accès à l’hormonothérapie sous supervision médicale. Par exemple, Linander et ses collègues (2016) ont rapporté qu’une telle initiative était perçue dans certains cas par l’équipe médicale comme un « signal » prouvant le sérieux de la démarche de la personne et démontrant l’importance d’une prise en charge rapide. Autrement dit, l’achat d’hormones sur le marché noir ou gris pourrait être un tremplin vers une prise en charge médicale.

Une autre manière d’obtenir des traitements hormonaux par la voie légale est de faire appel à des endocrinologues qui travaillent au privé. Si cette option a l’avantage de donner un accès plus rapide à l’hormonothérapie, il faut spécifier qu’elle s’avère beaucoup plus chère que dans le secteur public (entre 200 $ et 300 $ par rendez-vous).

Par exemple, la Dre Gabrielle Landry, qui a ouvert récemment le Centre d’expertise en hormonothérapie, médico-esthétique et santé sexuelle, offre des traitements hormonaux sans demander de lettre de référence. Cela prendrait seulement de deux à trois semaines avant d’obtenir une prescription d’hormones dans cette clinique.

Ça vaut le « coût »?

Selon le sexologue interviewé, il y a des personnes trans et non-binaires qui n’ont tout simplement pas les moyens d’acheter des traitements hormonaux vendus en pharmacie. C’est donc dire que des barrières économiques les empêchent d’accéder à l’hormonothérapie sous supervision médicale.

Bien que les hormones pour les personnes transféminines aient sensiblement le même coût lorsqu’elles sont achetées légalement que sur le marché gris (environ 40 $ par mois), elles seraient plus chères pour les personnes transmasculines selon le mode d’administration. En ce qui concerne la testostérone injectable, cela reviendrait à environ 20 $ par mois tant en pharmacie que sur le marché noir. Par contre, les personnes qui optent pour la testostérone en gel ou en patch devraient débourser entre 100 $ et 150 $ par mois en pharmacie.

« C’est un coût énorme, d’autant plus que le processus de transition implique plusieurs autres dépenses qui ne sont pas couvertes, par exemple l’épilation au laser, certaines chirurgies et le changement de nom dans les documents officiels », explique Mx Drouin.

Le marché noir est-il vraiment meilleur marché? Selon Judith, certains traitements hormonaux sont moins chers lorsqu’achetés illégalement, en particulier pour les personnes qui n’ont pas d’assurances privées et qui dépendent de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ). C’est aussi pourquoi certaines personnes en situation de précarité sont prêtes à risquer le coût physique que peut entraîner une hormonothérapie sans supervision médicale. Faute d’avoir les moyens de faire autrement.

Les oublié.e.s du système de santé

Les personnes de la diversité de genre ayant un faible revenu ne seraient pas les seules pour qui une hormonothérapie sous supervision médicale est difficilement accessible. En effet, d’autres sous-groupes parmi les communautés trans au Canada seraient dans cette situation.

Les personnes non-binaires seraient désavantagées par rapport aux personnes trans binaires. Par exemple, une étude réalisée au Canada a signalé que les jeunes non-binaires seraient deux fois plus à risque de ne pas accéder à des traitements hormonaux considérés comme nécessaires en comparaison avec les personnes trans binaires (Clark et al., 2018b).

Selon le sexologue Alexandre Drouin, la discrimination envers les personnes non-binaires (l’embyphobie) serait encore bien présente dans le milieu médical : « Il y a beaucoup de médecins qui vont recommander aux personnes non-binaires un suivi en sexologie et pas seulement une lettre. Ces médecins leur disent qu’il faut s’assurer que leur identité de genre restera stable, qu’il n’y aura pas de “changement d’idée”. » C’est pour éviter de vivre de l’invalidation et des microagressions que plusieurs personnes non-binaires tournent le dos au système de santé.

Par ailleurs, les personnes mineures doivent obtenir le consentement parental jusqu’à l’âge de 14 ans au Québec pour accéder aux bloqueurs d’hormones. Autrement dit, si le parent est transphobe, l’adolescent.e trans ou non-binaire verra son corps transformé par la puberté contre son gré, à moins d’opter pour l’achat d’hormones sur le marché noir.

Il ne faut pas oublier les demandeurs et demandeuses d’asile ainsi que les personnes non documentées, qui n’ont pas droit à la couverture des frais de transition médicale par la RAMQ. Celles-ci ne peuvent donc pas recourir au marché légal pour obtenir des soins d’affirmation de genre.

Comme le souligne la Dre Ruth Pearce – spécialiste en santé trans – dans un reportage réalisé par Sky News, les personnes trans et non-binaires continueront à faire appel au marché noir si le système de santé continue à sous-financer les soins transaffirmatifs. Parce que les risques associés à l’hormonothérapie sans supervision médicale leur semblent moins graves que l’absence de soins : parce que c’est mieux que rien.

Dans un monde idéal… 

Serait-il préférable que les personnes de la diversité de genre n’aient pas recours au marché noir pour obtenir des hormones? Loin de blâmer celles qui prennent la voie non médicale, Mx Drouin pointe plutôt du doigt les failles du système de santé : 

« Il faudrait surtout organiser la société pour que les gens n’aient pas à aller sur le marché noir. De plus, il serait essentiel de former les médecins de famille, créer plus de cliniques spécialisées et améliorer la couverture de la RAMQ pour certains soins de santé trans. »

Pour Judith, il faudrait plutôt qu’il y ait une plus grande prise en charge communautaire de l’hormonothérapie. Autrement dit, que ce soit les personnes trans et non-binaires qui s’organisent entre elles et partagent des ressources sécuritaires. La jeune femme souhaiterait également qu’il y ait une généralisation du modèle de consentement éclairé pour les soins de transition. « Il faudrait aussi que les informations soient disponibles pour que le consentement soit réellement éclairé », ajoute-t-elle.

Finalement, au-delà d’une hormonothérapie plus accessible pour les personnes de la diversité de genre, Judith voudrait que les contraceptifs oraux et les hormones pour les personnes en périménopause ou en ménopause soient plus facilement accessibles. Et dans un monde idéal?
« Ultimement, j’aimerais que tout le monde puisse avoir droit à des informations médicales de qualité, à des soins hormonaux appropriés et à l’autonomie corporelle. »

***

¹ À la demande de la personne autrice, la graphie « non-binaire » est utilisée dans ce texte.

² Mégenrer « désigne l’action de s’adresser à une personne ou de parler d’elle en utilisant le(s) mauvais pronom(s) et/ou les mauvais accords » (Drouin, 2022). Le fait de tenir pour acquis le genre d’une personne sans le savoir est aussi lié au mégenrage.

³ Il est toutefois pertinent de préciser qu’une référence médicale peut faire en sorte que le temps d’attente soit réduit.

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