Les témoignages sont des textes produits par des personnes ne provenant pas obligatoirement des disciplines sexologiques ou connexes. Ces textes présentent des émotions, des perceptions et sont donc hautement subjectifs. Les opinions exprimées dans les témoignages n'engagent que leurs auteur.e.s et ne représentent en aucun cas les positions de l'organisme.
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C’était weird. La veille, incapable de dormir, je savais ce que j’allais devoir vivre le lendemain.
Je retourne dans ma tête toutes les éventualités possibles. Est-ce que je prends la bonne décision? J’ai encore exactement 8 heures 35 minutes pour changer d’idée. Parce qu’après, c’est final. Tout sera fini.
Mais dans le fond, j’ai envie que tout soit fini, non? Mes nausées matinales (rectification : mes nausées permanentes, puisqu’elles m’accompagnent chaque petite minute de la journée), mes vomissements, mes maux de tête, mon appétit weird et mes dégoûts soudains de nourriture qui m’a toujours fait triper avant. Peut-être que ça semble ridicule, mais c’est vraiment désagréable quand tu te fais un souper que tu sais que tu adores, et bam! Quand c’est prêt, l’odeur te lève le cœur, petit vomi s’ensuit : bon, on cancelle aussi le pesto ça a d’l’air! La liste d’ingrédients à éviter devient de plus en plus longue.
Ah et les hormones. Les fameuses hormones. Celles qui te font fondre en pleurs sans aucune raison valable, ou encore qui te mettent dans un état de frustration dans lequel tu ne pensais même pas te retrouver un jour. La source? Inconnue. La minute d’après, tu as envie de pleurer toutes les larmes de ton corps parce que t’as l’impression que tu es la pire personne sur cette Terre qui ne mérite pas de vivre.
Ce matin-là, je me suis sentie comme une parmi tant d’autres qui se rendaient à cet endroit pour me faire avorter tout bonnement, juste avant de retourner à l’école.
Les gens dans la salle d’attente souriaient, certaines filles semblaient dans la lune, d’autres déprimées et d’autres, indifférentes. Certains gars semblaient préoccupés, d’autres gossaient sur leur téléphone en attendant que tout soit fini. Je me sentais dans une salle d’attente de la SAAQ avec du monde qui attende pour renouveler leur permis de conduire et non dans une salle d’attente pour procéder à un avortement.
Mais en même temps, est-ce qu’il existe une attitude attribuée à l’avortement?
Je ne pense pas.
Et là, le fameux rendez-vous avec la travailleuse sociale. « Es-tu certaine de ta décision? »
Est-ce que je peux vraiment être certaine de ma décision? Une décision que je dois prendre dans un si court délai, mais qui va changer le déroulement de ma vie?
Non. Non, je ne suis pas certaine de ma décision, et je ne le serai jamais.
Et là, la question « Pourquoi tu ne veux pas le garder? Après tout, tu as un baccalauréat en poche, un deuxième qui s’en vient, une bonne job et tu files le parfait bonheur avec ton homme. »
« Tu me sembles hésitante, tu ne veux pas prendre plus de temps pour y penser? »
Si seulement c’était aussi simple. Est-ce que je suis égoïste de dire que j’ai envie de poursuivre mes études à la maîtrise? Que je veux mener à terme des projets fantastiques? Que je veux voyager avant d’avoir des bébés? Le sentiment à ce moment-là était tellement horrible. Le sentiment d'avoir la possibilité de mettre cette grossesse à terme et de donner à cet enfant une vie incroyable, mais de plutôt choisir d’être selfish et de me l’enlever pour « plus vivre ».
Le moment est arrivé. Je m’expose, vulnérable, sur la table, en les suppliant à l’intérieur de moi d’aller plus vite avant que je ne change d’idée. Comme je pleurais et que la médecin voulait me rassurer, elle a prononcé les mots suivants, que je repasse sans cesse en boucle dans ma tête :
« T’inquiète, dans 20 minutes, tout sera fini. »
Non. Après 20 minutes, tout commence.
Les remises en question, les moments de tristesse, de regrets, les rêves où je vois défiler une vie qui aurait pu être la mienne si j’avais fait un choix différent, les cauchemars où la vie me fait payer d’avoir pris cette décision en fonction de mes volontés, les moments de honte expliqués par mon incapacité à me protéger efficacement. Il n’y a pas une seule journée qui passe sans que je ne pense à la décision que j’ai prise à ce moment-là. Et ce qui m’angoisse le plus, c’est que je n’ai pas l’impression que je n’y penserai plus de sitôt.
Un avortement, c’est loin d’être facile et si simple à vivre. Je fais ma tough, je n’en parle pas, je fais comme si j’étais tellement over it. Mais non. Pour une multitude de gens, l’avortement est une procédure simple, efficace et sans lendemain. Pour d’autres individus, l’interruption volontaire de grossesse est un geste immonde dévoilant une personnalité égocentrique.
C’est beaucoup plus complexe que ça. Une fois positionnée devant une telle décision à prendre, j’ai pris conscience du continuum d’éventualités qui se dressaient devant moi, teintées de multiples nuances. Si j’ai un conseil à donner, ne jugez pas. Ne pensez pas que vous savez exactement de quelle façon vous pourriez vivre une telle situation, parce que je vous apprends quelque chose : non, vous ne le savez pas. Ne traitez pas la femme selon vos propres sentiments liés à cette procédure. Ne prenez pas la femme en pitié ou, au contraire, comme si elle était le diable né.
Parce qu’à chaque femme son histoire, à chaque femme sa façon de le vivre.
Le fait de devoir dealer avec les conséquences émotives liées à sa décision, c'est déjà suffisant.
Pas besoin d'en plus être soumise à de multiples jugements.
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