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Témoignage • Non, c'est non

24 octobre 2016
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Les témoignages sont des textes produits par des personnes ne provenant pas obligatoirement des disciplines sexologiques ou connexes. Ces textes présentent des émotions, des perceptions et sont donc hautement subjectifs. Les opinions exprimées dans les témoignages n'engagent que leurs auteur.e.s et ne représentent en aucun cas les positions de l'organisme.

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Lorsque j’ai décidé de tenter ma chance comme collaboratrice dans une revue sexologique, j’avais déjà des dizaines de sujets en tête que j’aurais éventuellement aimé aborder. Le consentement n’en faisait pas partie, mais pas du tout.

Attention, ce n’est pas parce que je trouve qu’on a fait le tour de la question, bien au contraire. Je trouve que c’est une notion extrêmement importante. Dans les ateliers d’éducation sexuelle que je co-anime dans les écoles secondaires, je fais bien attention de passer tout le temps nécessaire pour répondre aux questions de tous et toutes, pour que chaque élève comprenne en quoi consiste le consentement. Je montre et j’explique la célèbre vidéo de l’analogie de la tasse de thé. Je passe même davantage de temps sur le sujet que recommandé par le programme parce que je remarque que les jeunes (les garçons en particulier) ont énormément de questions à ce sujet.

En fait, pas vraiment le choix en voyant tout ce qui se passe dans l’actualité ces temps-ci… Histoires d'agressions sexuelles dans les dortoirs de l’Université Laval dans les journaux, confessions sur les médias sociaux de la part d'initiées du programme de droit de l’UdeM se sentant sexualisées, témoignages de victimes de violence sexuelle à la télévision... On peut dire que par les temps qui courent, il y a une tonne de matériel pour inspirer un texte sur le consentement. Et pourtant, je n’avais pas envie d’écrire sur ce sujet… un peu « trop à la mode » pour la dissidente en moi.

On voit partout des textes sur la culture du viol (en gros, le fait de blâmer les victimes plutôt que les agresseurs et le fait de normaliser la violence sexuelle), sur le « slut-shaming » (la stigmatisation des femmes qui vont à l’encontre des rôles sexuels traditionnels) et sur le consentement.

Bref, le sujet fait beaucoup jaser ces derniers temps et c’est tant mieux, car on a manifestement du travail à faire dans ce dossier. Loin de moi l’idée de faire ma Melania Trump, mais le récent discours de Michelle Obama en lien aux allégations d’agressions sexuelles commises par un des candidats à la présidence des États-Unis (celui dont on ne doit pas prononcer le nom) illustre bien la situation. Mme Obama a bien fait entendre que la situation est inacceptable, intolérable et qu’elle n’est pas liée à la politique, mais à la décence humaine. C’est à propos de ce qui est bien et ce qui est mal.

On croirait qu’en 2016, on aurait résolu ces enjeux… Pas encore, ç’a l’air. Malgré toutes ces inspirations, j’avais envie d’écrire sur un autre sujet, pour faire changement. Ce sera pour une autre fois.

Les deux histoires ci-dessous concernent deux jeunes femmes victimes de harcèlement par deux jeunes hommes. Je tiens tout de même à préciser que ça aurait pu être le contraire ou encore, que l’agresseur aurait pu être du même sexe que la victime.

Costa Rica, humide soirée d’été, une fille, un peu malade parce que les tacos du midi n’ont pas passé et un gars de son dortoir qui vient se coucher dans son lit.

La fille se débat, lui dit à plusieurs reprises de s’en aller, qu’elle ne veut pas. Le gars ne comprend pas : « Pourquoi non? C’est quoi ta raison? » Elle répond qu’elle n’a pas de raison, c’est juste que non, c’est non. Il insiste pendant longtemps, se colle, la touche; elle continue à dire non, mais elle est de plus en plus mal à l’aise, elle se sent de plus en plus agressée. Le garçon finit par s’en aller.

Fin de l’histoire dans les faits, mais un épisode comme ça, veut, veut pas, ça te reste dans la tête. Tu as beau avoir une super confiance en toi et être bien dans ta peau, ça peut t’affecter. Tu peux ne pas trop avoir envie d’en parler et même te dire que le gars en question « n’a pas vraiment rien fait ». Mais quand même.

Cette fille-là, c’est mon amie.

Ça me fâche que ça lui soit arrivé. Tu te demandes pourquoi le gars n'est pas parti après le premier « non ». Tu te dis qu’heureusement, ça s’est arrêté là. Alors qu’on ne devrait pas se dire « qu'heureusement, ça s’est arrêté là ». On devrait se dire que malheureusement, ça arrive encore ces affaires-là. À une pauvre fille qui restitue peu gracieusement ses tacos pas très frais.

Une semaine après, Montréal, chaude soirée d’été, dans la cour arrière d’une maison typique de banlieue.

Plusieurs gars et leurs bières, quelques filles avec leurs drinks roses sucrés, des serviettes de plage mouillées, des jeux de cartes, des balles de ping-pong en papier d’aluminium (ouin, on avait pensé à tout sauf ça), du beau fun. On met de la musique latine parce que why not peanut et on commence à danser la salsa. On change de partenaires, on rit.

Y’en a un pas mal insistant avec une fille en particulier. La fille (appelons-la Mathilde) semble un peu mal à l’aise. Elle danse quand même un peu avec lui. Plus tard, ça se calme. Moins de bière, moins de musique. Assises sur la terrasse, les filles jasent. Le gars insistant (nommons-le Renaud) vient s'asseoir à côté de Mathilde. Il commence à lui caresser les jambes. Elle lui dit qu’elle n’aime pas ça. Elle lui demande d’arrêter. Il continue. Elle lui redit deux ou trois fois. Il continue.

Bon, Mathilde se dit que ce n’est pas grave : « on rit, on niaise ». Renaud veut jouer au beer pong en équipe avec Mathilde. « Pourquoi pas ».

Chaque fois que c’est le tour de Mathilde, Renaud la prend par la taille. Mathilde se dégage à chaque fois. Et à chaque fois, elle demande à Renaud d’arrêter de la toucher. Il continue, à chaque coup.

Elle réitère ses demandes, lance un regard exaspéré à sa best comme pour lui dire : « My God, il pense être devenu irrésistible avec toutes les femelles tout d’un coup ou quoi? ».

On rit, elle se dit que ce n’est pas la fin du monde.

On fast-foward un peu parce que ça devient redondant. Mathilde est pas mal tannée que Renaud ne la laisse pas tranquille. Elle est bête comme ses pieds avec lui et essaie de lui faire comprendre qu’elle n’a jamais été intéressée et qu’elle ne l’est pas plus ce soir.

Il ne reste plus grand monde au party.

Renaud en profite pour coincer Mathilde seule dans une pièce, bloque la porte et l’oblige à l’embrasser : « Allez, embrasse-moi, je te laisse pas partir sinon. Allez, juste un petit bec ». Mathilde, un peu (pas mal) agacée, lui en donne un sur la joue, pour le calmer. Elle ne trouve plus ça très drôle.

Il se fâche. Elle le pousse et sort. Il la suit. Il s’approche d’elle pour lui parler cinq minutes. Il lui demande c’est quoi son problème et pourquoi elle ne veut pas l’embrasser. Il la traite de prude, de « pas bien dans sa tête ».

Elle répond qu’elle n’a simplement « pas envie et que c’est tout. »

Il lui dit que « ce n’est pas une raison. »

La discussion tourne en rond. Mathilde n’est vraiment pas contente. Elle en a vu d’autres. Elle en a connu des gars vraiment insistants quand elle avait 14-15 ans. À force, elle a appris à tenir son bout et à se faire une petite armure contre les gars qui ne veulent jamais lâcher le morceau.

Les cinq minutes se transforment en dix.

Il continue de lui dire des choses du genre, « Je ne sais pas comment tu peux dormir la nuit », « Comment tu réussis à vivre avec toi-même? » ou encore « T’as un méchant problème, fille, tu vas pas bien. »

Renaud continue de la toucher, mais là c’est trop. Mathilde est vraiment fatiguée. Elle n'a même plus l’énergie de répondre. Renaud est tellement convaincu que c’est Mathilde qui est dans le tort.

Elle ne veut même pas embarquer là-dedans. Elle part.

Les amis de Renaud viennent s’excuser de son insistance à sa place: « On comprend pas, il n'avait même pas bu tant que ça. »

 Comme si c’était une bonne excuse. 

Le lendemain, Mathilde repense à sa soirée, gâchée. Et elle réalise qu’elle est vraiment fâchée. Elle aurait voulu dire tellement de choses pour essayer de lui faire comprendre, mais elle ne l’a pas fait et elle s’en veut.

Mathilde, c’est moi. Et ça s’est réellement passé. Au complet.

Pour vrai. J’en ai parlé à une amie et elle m’a dit que ça pouvait compter comme une agression. Au début, je lui ai répondu que non. Puis j’y ai pensé, et puis oui en fait.

Mettons les choses au clair : ce n’est pas comparable à un viol, à un attouchement, à de la violence physique ou psychologique. Même pas proche, mais quand même. Je sentais que ce n’était vraiment pas la fin du monde, que ce n’était presque rien.

Mais ça m’a tellement fâchée que j’ai eu envie d’écrire à ce sujet. « Une petite thérapie vite faite, pourquoi pas! » Je me dis que la notion de consentement est partout. Tout le monde en parle. Pourtant, même à ça, un petit gars devenu grand que je connais depuis l'âge de 8-9 ans n’avait pas l’air (mais pas du tout) de savoir en quoi ça consiste le consentement et quand ça s’applique.

C’est pourquoi j’ai osé dédier un texte entier à ce sujet, un de plus, parce que le message ne semble toujours pas être clair pour certains. Peut-être qu’à force, on va en venir à bout!

Non, c’est non. Pas besoin de raison, parce que c’est une raison en soi. 

On te dit non, tu arrêtes, tu n’insistes pas. C’est aussi simple que ça. Oui, j’aime bien parler de sexe et j’en parle très ouvertement. J’étudie dans ce domaine-là, c’est normal que j’aime en parler.

Est-ce que ça veut automatiquement dire que je consens à avoir une relation sexuelle ou à embrasser les gars présents à un party?

Aucunement.

Honnêtement, je n’arrive même pas à voir le rapport même si ça semblait bien évident pour Renaud. Même chose avec les vêtements, ou encore avec l’attitude d’une fille. Peu importe quelle attitude tu adoptes, quels vêtements tu choisis de porter, ça n’a rien à voir avec ton désir d’avoir des relations intimes avec un, une ou des partenaires.

 Non, c’est non, point à la ligne. 

Que ce soit dit fermement ou implicitement. Si tu as de la difficulté à comprendre pourquoi, c’est que tu fais partie du problème. J’ai même envie d’aller encore plus loin. « Non », il me semble que c’est assez clair et que tout le monde comprend ce que ça veut dire. J’ai l’impression que ceux ou celles qui agressent décident d’ignorer ce « non » explicite ou implicite.

Et c’est là où est le problème.

Le consentement n’est pas facultatif. On doit écouter et respecter la réponse verbale ou physique de son ou sa partenaire. Ne le prenez pas personnel, c’est juste que non, c’est non. Ne trouvez pas d’excuse.

J’ai lu un article d’opinion il y a quelque temps et l’auteur concluait que même si on enseigne à tous et toutes que sans oui c’est non, il y aura toujours ceux et celles voulant aller à l’encontre de cela, par désir d’opposition.

J’espère du plus profond de mon cœur que c’est faux et qu’un jour, tous et toutes comprendront que non, c’est non et que ça finit là.

Que ce soit pour un bec, pour une fellation, pour une relation sexuelle avec pénétration, ou n’importe quoi d’autre. Imagine all the people asking for consent ahah aahh.

Renaud, tu m’as fâchée et pas juste un peu. Même si j'ai refusé tes avances à maintes reprises, tu as essayé de jouer dans ma tête. De faire comme si c’était moi qui n’étais pas correcte. Comme si le problème, c’était moi. Pendant 10 minutes, tu as fait ce qu’on appelle du victim shaming. Et pendant une soirée complète, tu as continué de me toucher, même si je t’avais clairement dit d’arrêter de le faire.

Et puis, devine quoi?

Tu as réussi ton coup. Tu m’as fait sentir coupable le temps d’une journée, le temps que je me décide à écrire un texte là-dessus... Pas coupable de ne pas t’avoir dit non. Ça, je te l’ai dit clairement; il y a zéro ambiguïté à ce niveau-là. Mais bien coupable de ne pas t’avoir dit en pleine face que ce que tu faisais, c’était loin d’être correct, loin d’être respectueux envers moi.

Je ne cherche pas à dramatiser une situation, qui est de mon point de vue, somme toute, mineure. On est loin du viol, c’est certain. Je réitère que ce qui s’est passé, c’est vraiment presque rien à mes yeux. Presque. Je veux simplement te faire réaliser, à toi Renaud, mais aussi à tous les autres qui ne se rendent pas nécessairement compte qu’ils vont trop loin (boisson ou pas, ça n’a aucun rapport) que non, c’est non. Pis que sans oui, c’est non.

Demain, je vais me lever en n’y pensant plus, parce que ça ne m’a pas tant bouleversée. C'est probablement la même chose pour mon amie, qui est de retour du Costa. Ça arrive tellement souvent qu’on finit par s'y habituer. À force, on se forge une carapace.

Mais il faut que ça arrête.

À toutes les jeunes filles et les garçons qui lisent ce texte, ne doutez pas de vous. Vous n’êtes pas dans le tort. Non, c’est non un point c’est tout. Sans oui, c’est non aussi.

Renaud, ça n’a pas marché avec moi, mais ton insistance aurait pu venir à bout d’une autre des jeunes filles que tu fréquentes d’habitude. Et elles, ça les aurait sûrement affectées et peut-être même beaucoup.

Elles auraient peut-être flanché. Le lendemain, elles auraient peut-être eu honte d’avoir cédé, alors que le problème, ça n’aurait pas été elles, mais bien toi. Renaud, je ne cherche pas à dramatiser une situation qui ne l’est pas à mes yeux, mais il ne faut pas la banaliser non plus.

Il faut juste retenir que pour une relation sexuelle ou une tasse de thé, sans oui, c’est non. Et que non, c'est non.

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