Chaque année aux États-Unis, le mois de juin est synonyme de célébrations des communautés LGBTQ+. Découlant d’un devoir de mémoire des événements de Stonewall (1969) ayant initié le Gay Liberation Movement, Pride Month est aujourd’hui l’occasion, pour les communautés LGBTQ+, de se rappeler le chemin parcouru et les luttes victorieuses, ainsi que de se rassembler, de célébrer et de se soutenir à travers les luttes et victoires contemporaines. C’est également un mois où les discours politiques se démultiplient – tant en faveur des droits LGBTQ+ que contre ceux-ci.
Or, cette année, Pride Month s’inscrit dans un contexte particulier. Qui n’a pas entendu parler de ces projets de loi visant à interdire les activités des drag queens? Ou encore des reculs massifs des droits des personnes trans? En 2023, ce mois de célébration revêt une importance d’autant plus significative alors que des luttes que l’on pensait derrière nous reviennent à l’avant-scène, et ce, sous fond de guerres culturelles et de politisation accrue des enjeux reproductifs et sexuels.
Afin de comprendre ce ressac contre les droits des communautés LGBTQ+, cet article revient sur les dernières années en politique étasunienne, afin d’illustrer comment les actions actuelles s’inscrivent plutôt dans un continuum d’actions politiques visant à restreindre les droits des communautés LGBTQ+.
Des « bathroom bills » aux interdictions de soins pour mineur.e.s
En 2015, lorsque la Cour suprême des États-Unis légalise le mariage entre personnes de même sexe¹ dans Obergefell, on a collectivement l’impression que les droits des communautés LGBTQ+ ne peuvent que progresser. Après tout, à peine 20 ans plus tôt, le gouvernement fédéral codifiait une définition du mariage comme étant « entre un homme et une femme ». Or, plutôt que de marquer une fin des discriminations, 2015 marque plutôt un déplacement des débats vers d’autres droits et enjeux touchant les communautés. Ainsi, on voit alors se démultiplier les actions et projets de loi visant à restreindre l’accès aux salles de bain et vestiaires selon le sexe à la naissance, interdisant ainsi aux personnes trans d’utiliser les salles de bain correspondant à leur identité de genre. Cet enjeu est si proéminent dans certains États tels que la Caroline du Nord, que cela devient un enjeu central de campagnes locales lors des élections de 2016. Malgré l’élection d’élu.e.s conservateurs et conservatrices lors de ce cycle électoral, l’opinion publique est alors plutôt défavorable à ce type de politique. Durant les années qui suivent, le nombre de projets de loi proposé ne connaît pas d’augmentation, demeurant à environ 20 par année, selon le Trans Legislation Tracker. Durant la présidence de Trump, le discours évolue, passant de l'accès aux salles de bain à la participation aux sports. Ainsi, les projets de loi proposés visent majoritairement à restreindre la participation des personnes trans aux sports compétitifs organisés. De plus, l’administration Trump annonce, en juillet 2017, une interdiction de service dans les forces armées pour les personnes trans, arguant que les personnes trans drainent les ressources financières en raison des coûts médicaux couverts par les assurances-maladie des forces armées, et distraient des objectifs militaires.
Ces attaques du président républicain envers les personnes trans, et la question de la santé qui sous-tend les discours mobilisés pour les justifier, ouvrent la porte à davantage de discriminations envers les communautés trans : les politiques visant directement les soins de santé et la couverture de ceux-ci. En effet, entre 2019 et 2020, le nombre de lois proposées visant les soins de santé des personnes trans passe de 4 à 24, égalant le nombre de lois proposées concernant les sports, toilettes et vestiaires. Sans minimiser les impacts des lois touchant les droits des personnes trans de pratiquer des sports ou d’utiliser la toilette correspondant à leur genre, ces lois touchant les soins de santé ont des impacts plus larges et pouvant être plus conséquents sur le bien-être des gens, tant sur le plan de la santé mentale, qu’au niveau de l’accès aux soins nécessaires pour la transition.
Pour certain.e.s, l’arrivée de Joe Biden à la Maison-Blanche était porteuse d’espoir pour les communautés LGBTQ+ et leurs allié.e.s. Force est de constater que c’est plutôt le contraire qui se produit. En 2021, le nombre de projets de loi anti-trans a plus que doublé par rapport à l’année précédente, et depuis, les chiffres sont en constante augmentation, atteignant en 2023 un triste record. En effet, 557 projets de loi anti-trans ont été proposés… en seulement 6 mois. Et de ce nombre, 168 visent les soins de santé et plus particulièrement les soins d’affirmation de genre. C’est presque cinq fois le nombre proposé en 2022. Ces lois visent principalement les mineur.e.s (mais certaines lois visent toutes les personnes de moins de 21 ans) et interdisent les chirurgies, thérapies d’hormone et bloqueurs de puberté², ce qui va à l’encontre des recommandations des organisations médicales telles que l’American Medical Association et l’American Academy of Pediatrics.Autre cible des lois anti-LGBTQ+? Le système d’éducation : la volonté de restreindre les possibles quant aux discussions entourant les enjeux LGBTQ+ en classe, dont fait partie la tristement célèbre loi floridienne « Don’t Say Gay », est très forte.
Ces projets de loi ne sont malheureusement pas le fait d’un groupe marginal d’États. Plutôt, tous les États, même les plus progressistes, ont été le théâtre d’au moins un projet de loi introduit pour considération et visant à limiter les droits des communautés LGBTQ+. Par contre, ces propositions ne sont pas toutes adoptées. En date de juin 2023, 82 projets de loi ont été adoptés à travers le pays, et ce dans 22 États, tous contrôlés par le parti républicain. Dans les États démocrates tels que Washington, certain.e.s législateurs et légistratrices opposé.e.s à ces attaques proposent plutôt des lois visant à protéger, en amont de possibles ressacs, les droits LGBTQ+.
Effritement des droits
Au quotidien, ces projets de loi ont des conséquences directes sur les communautés LGBTQ+, limitant ainsi plusieurs droits. Le grand nombre de projets anti-trans proposés cible particulièrement la liberté d’expression, les droits civils, l’accès aux soins de santé, l’accès aux lieux publics et l’éducation.
Les projets de loi portant atteinte aux droits civils visent à affaiblir les lois déjà mises en place pour limiter la discrimination possible. Lorsqu’ils sont adoptés, ils permettent aux employeurs et employeuses, aux entreprises et même aux hôpitaux de refuser l’accès aux soins pour les personnes LGBTQ+ ou de leur refuser l’égalité de traitement (ACLU, 2023a). De manière concrète, des personnes de la diversité sexuelle et de genre se sont fait refuser des consultations psychologiques en raison de leur orientation sexuelle, des entreprises de planification matrimoniale ont refusé de servir un couple de personnes de même genre ou des pharmacies ont refusé de vendre la pilule contraceptive (Ibid, 2023b).
L’accès aux soins de santé est un des droits les plus touchés dans plusieurs États, particulièrement l’accès aux soins de santé médicaux qui incluent des soins d’affirmation de genre pour les jeunes personnes trans. Les centres médicaux qui prodiguent ces soins sont également ciblés par des projets de loi qui leur bloquent l’accès au financement nécessaire pour offrir leurs services ou à la couverture d’assurance pour les personnes trans.
Ces projets de loi ont une incidence directe sur le bien-être et la santé mentale des personnes des communautés LGBTQ+. Selon un sondage national fait en 2023, 56 % des jeunes LGBTQ+ n’ont pu avoir accès à des soins de santé mentale dans la dernière année, pour différentes raisons (ressources financières, peur du jugement, absence de permission parentale, etc.). Pourtant, près d’un tiers des jeunes LGBTQ+ (13-24 ans) affirment que leur santé mentale est grandement affectée en raison des politiques et de la législation anti-trans qui menacent un accès déjà fragile aux soins de santé. Les conséquences sont similaires en ce qui a trait à la restriction d'aborder les sujets LGBTQ+ à l'école.
Au-delà des conséquences individuelles, un enjeu collectif
Les conséquences de ce ressac conservateur envers les communautés LGBTQ+ ont également une composante sociale plus large. D’abord, tel que mentionné précédemment, les projets de loi concernant les soins d’affirmation de genre font l’objet de dénonciation d’organismes professionnels du champ médical. Ces dénonciations soulignent et illustrent les conséquences des lois sur les individus, mais plus globalement, l’absence d’ancrage scientifique et médical des lois proposées contribue également à la propagation de mésinformation et à la désinformation, à la fois quant aux réalités des personnes trans et à l’importance de soins de santé affirmatifs. Ainsi, des théories conspirationnistes et des fausses nouvelles circulent autour des enjeux affectant plus spécifiquement la communauté trans. Les médias de droite et d’extrême droite amplifient ces messages et discours anti-trans et anti-LGBTQ+, capitalisant sur les idées préconçues et les discours religieux pour encourager une peur alimentée et/ou renforcée par la désinformation et la mésinformation. Plus encore, ces messages et publications visant la désinformation et la mésinformation profitent d’algorithmes favorables sur les réseaux sociaux qui contribuent à une propagation rapide des discours haineux et engendrant de fortes réactions.
Ensuite, tout comme ce fut longtemps le cas – et comme c’est encore le cas dans certains États – ces discours anti-trans et anti-LGBTQ+ contribuent à renforcer, diffuser et normaliser que les personnes LGBTQ+, et plus spécifiquement les personnes trans, sont « anormales ». Or, comme pour tout discours, il y a risque d’internalisation tant par les membres des communautés LGBTQ+ que par certains électorats. Et si la dernière année nous a appris quelque chose, c’est que ce discours est loin de quitter la scène politique. En mars, lors de la Conservative Political Action Conference (CPAC), aux États-Unis, la rhétorique anti-trans était bien présente dans les discours prononcés.
Alors que la saison des primaires³ s’amorce bientôt, les candidat.e.s à l’investiture républicaine risquent fort d’aborder les questions de l’identité de genre, des droits LGBTQ+ et des soins d’affirmation de genre dans leur cavale contre le « wokisme ». Dans un contexte où un nombre toujours plus élevé d’aspirant.e.s s’affrontent, ces questions courent le risque de faire l’objet de surenchères conservatrices… au détriment des droits individuels, collectifs et surtout, de la sécurité et de la protection des personnes trans, et plus largement des communautés LGBTQ+.
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¹Dans sa décision de 2015, la Cour suprême utilise le terme « same-sex marriage ». Bien que ce n’est pas un terme utilisé dans la ligne éditoriale de Les 3 sex*, mais il est ici utilisé dans ce contexte spécifique afin de résumer la décision dans Obergefell.
² Pour la recension des projets de loi par État et par année, voir le Trans Legislation Tracker.
³Aux États-Unis, les candidat.e.s des différents partis sont sélectionné.e.s par un processus nommé les « primaires » et les « caucus ». Durant cette période, l’électorat sont invité.e.s à se prononcer afin de déterminer qui sera le ou la candidat.e du parti lors des élections générales.
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