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Chronique • Musique érotique : une brève histoire de la groupie

29 octobre 2018
Eden Fournier
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L’histoire, en tant que discipline, ne nous permettrait pas de cerner l’essence de la musique ayant marqué une génération (Ross, 2007). Toutefois, la musique, animant corps et esprit, permet d’appréhender l’Histoire et offre une grille de lecture de la sexualité humaine.

Alors que le sexe et la drogue ont contribué à l’édification de la mythologie enveloppant la musique rock, il est aisé d’oublier que, derrière la triade sexe-drogue-et-rock’n’roll, apparaît une figure, celle de la groupie.

Or, comment penser l’héritage de la groupie, figure marquante de la contre-culture et de la révolution sexuelle ayant vu naître le rock des années 1960? Le rapport de la groupie à la rockstar s’ancrait-il exclusivement sur des rapports inégalitaires fondés sur le genre ou, au contraire, sur une relation libre et mutuellement bénéfique? Sans nier le sexisme, l’hétéronormativité et l’homosocialité (Auslander, 2014; Larsen, 2017) caractérisant la musique rock, il sera défendu que les premières groupies constituent des figures importantes de la libération sexuelle des années 1960 au regard de leur agentivité sexuelle – c’est-à-dire à la capacité de se positionner en tant que sujet de leur propre sexualité (par opposition à « objet ») se traduisant notamment par l’expression de leurs désirs (Slavin et al., 2006; Tolman, 2002).

Étymologie de la groupie

Bien que le nom « groupie » renvoie initialement à une identité sociale au cours des années 1960, le terme s’est progressivement transformé en un qualificatif visant à dégrader les femmes vouant une fascination affichée pour des célébrités masculines – généralement des musiciens (Des Barres, 2005; Des Barres, 1987; Howe et al., 2015; Larsen, 2017). À la manière du mot « slut », « groupie » est lancé aux femmes dont la sexualité, réelle ou imaginée, dérange et constitue la cible d’un double standard sexuel (Attwood, 2007; Crawford et Popp, 2003; Shirazi, 2010). Or, repenser la groupie permet de mettre en lumière le choix de ces femmes d’explorer leur sexualité et leurs désirs à travers la musique rock.

D’une part, l’accès privilégié des groupies aux musiciens rock requérait le choix assumé d’un partenaire s'arrimant à leurs désirs et à leurs fantasmes (Farber, 2015). Dans ses mémoires, Keith Richards, guitariste et cofondateur des Rolling Stones, décrit les groupies comme « de ravissantes jeunes femmes qui savaient ce qu’elles voulaient et ce qu’il fallait faire pour l’obtenir » (2011). Pamela Des Barres, supergroupie californienne – ayant eu comme partenaires Jimmy Page (Led Zeppelin), Mick Jagger (The Rolling Stones), Chris Hillman (The Byrds) et Keith Moon (The Who) – explique sa motivation à se rapprocher des musiciens : « I just wanted to show my appreciation for their music, for their taste in clothes, for their heads, hands, and hearts » (1987).

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Midnight Ramblers

 

Inspiré des mémoires de Des Barres, Midnight Ramblers dépeint l’univers des premières groupies
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D’autre part, contrairement à la vision réductrice de la groupie véhiculée par la culture populaire au XXIe siècle, le rôle des premières groupies était à la fois complexe et non limité à celui de partenaire sexuelle. En effet, si les contacts sexuels avec les musiciens étaient fréquents et assumés, les groupies étaient recherchées pour leur amitié et leur soutien au fil d’interminables tournées (Des Barres, 1987; Farber, 2015; Richards, 2011). Bien que stéréotypiquement genrées, les groupies embrassaient à la fois les rôles d’amie, d’amante et de compagne. Pour Keith Richards, les groupies étaient de « braves filles qui aimaient bien s’occuper de mecs. Très maternantes, dans un sens » et se voulaient, en quelque sorte, « les infirmières, la Croix-Rouge du rock’n’roll ! » (Richards, 2011).

La Croix-Rouge du rock’n’roll

Deux perspectives doivent être mises à profit afin d’appréhender les groupies en tant qu’infirmières du rock’n’roll. Au sein de la première, les groupies sont perçues comme essentielles au bon fonctionnement des tournées, en offrant un soutien émotif et affectif aux musiciens dans le cadre de courtes relations s'inscrivant en marge des relations monogames. Au sein de la seconde, à la manière des infirmières ayant été historiquement subordonnées aux médecins, les groupies investissent un milieu, l’industrie du rock, dominé par les hommes (Larsen, 2017; Petrusich, 2015; Tringali, 2005; Walser, 1993 cité dans Howe et al., 2015).

Bien que Des Barres (2005) se réclame du féminisme, certaines féministes issues de la troisième vague contestent l’héritage des premières groupies en soulignant que ces dernières ont alimenté les stéréotypes de genre, discréditant la présence des femmes dans l’industrie du rock (Farber, 2015). Or, un tel discours nie l’agentivité sexuelle dont ont fait preuve les groupies, occulte le sexisme traversant l’industrie musicale dans son ensemble, et relève du slut-shaming puisque la sexualité de la groupie y est présentée comme déviante et indésirable (Attwood, 2007; Fetterolf et Sanchez, 2015; Howe et al., 2015; Larsen, 2017).

Cock rock et fétichisme de la rockstar

Malgré leur adhérence à de nombreuses normes de genre, les groupies avaient pour projet individuel une émancipation sexuelle par l’exploration consciente de leurs désirs et de leurs fantasmes liés à la figure de la rockstar. Au fil des années 1960, les groupies se sont inscrites en marge des comportements sexuels socialement admis pour le genre féminin (Farber, 2015).

Nombreuses sont les fans ayant su tirer profit de la liberté octroyée par les concerts rock. Se remémorant les débuts des Rolling Stones, Keith Richards souligne que, pour les spectatrices, chaque concert constituait « une révélation, un moment où elles ont brusquement décidé de se laisser aller. [...] Tout ça dégoulinait de pulsion sexuelle » (2011).

Au-delà des références explicites à la sexualité, comment penser l’érotisme du genre musical ? Roxana Shirazi, groupie londonienne active au début des années 2000, décrit l’atmosphère des concerts de hard rock en faisant référence à plusieurs éléments associés à la séduction : « Bare chests, eyeliner, leather, sweat, I-wanna-fuck-you-baby attitude » (Shirazi, 2010).

Cette description, quoique concise, semble souscrire au cock rock, sous-genre rock visant à asseoir une conception spécifique de la sexualité masculine. Au sein du cock rock, le recours à des symboles phalliques (microphones et guitares électriques), aux cris, aux rythmes agressifs, aux paroles et aux gestes faisant référence aux exploits sexuels des rockstars fait figure de norme plutôt que d’exception (Frith, 1981 cité dans Auslander, 2004). D’abord ayant été employé afin de mettre en lumière le sexisme imprégnant la musique rock,  « cock rock » renvoie désormais au hard rock dans son ensemble (Tringali, 2005). Led Zeppelin, les Rolling Stones et les Doors (Jim Morrison) s’inscrivent dans la tradition du cock rock :

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The Doors - When You're Strange

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The Rolling Stones - Crossfire Hurricane

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Tentant de décrire les comportements d’apparence erratiques des admiratrices s'immisçant sur scène pendant les concerts des Rolling Stones et s’agrippant de toutes leurs forces à Mick Jagger, le professeur de psychologie John Cohen indique que de tels gestes ne seraient pas motivés par une pulsion de violence, mais plutôt par un désir de se saisir de l’essence du chanteur. À cet effet, Cohen souligne que cet irrépressible désir de rapprochement serait similaire à l’acte de collectionner les reliques de personnes saintes (Morgen, 2012). À ce chapitre, désirant se distinguer des autres supergroupies, Cynthia Plaster Caster réalisa, dans les années 1960, de nombreuses sculptures de pénis de rockstars par l’intermédiaire de moules conçus en présence des sujets représentés – dont Jimi Hendrix (Schafer, 2015).

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Au final, Petrusich (2015) souligne qu’un désir de proximité avec l’artiste n’est point anormal et constitue en soi une manière de s’approprier le magnifique (the magnificent) et de reconnaître les émotions ressenties au contact de l’art. En ce sens, le développement d’une intimité avec la rockstar constituerait une manière de s’unir à l’objet du désir et de célébrer la musique ayant permis ce rapprochement en premier lieu. Sans toutefois nier l’hétérocisexisme ayant historiquement caractérisé la musique rock, repenser la groupie en tant que figure marquante de la contre-culture des années 1960 permet de mettre en lumière le potentiel érotique de la musique rock et ce désir de rapprochement avec le magnifique.

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Références
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Pour citer cette chronique :

Fournier, E. (2018, 29 octobre). Musique érotique : une brève histoire de la groupie. Les 3 sex*https://les3sex.com/fr/news/283/musique-erotique-une-breve-histoire-de-la-groupie 

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