Reuters/Kevin Lamarque – Photo modifiée par Les 3 sex*

Chronique • 17 mai : pas de répit pour les LGBTQ+phobies

17 mai 2024
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« Dénoncer les idées dépassées ». C’est la thématique que la Fondation Émergence a choisie cette année pour la Journée internationale contre l’homophobie et la transphobie. Cette thématique fait écho à une triste réalité : celle des nombreux reculs des droits LGBTQ+ survenus dans les dernières années. Des attaques envers les enfants trans aux menaces qui planent sur les droits des parents de même genre, il n’y a pas besoin d’aller très loin pour constater un retour en arrière des droits des personnes LGBTQ+.

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Canada et États-Unis : tirs groupés contre les droits LGBTQ+

Au Canada, un pays pourtant considéré à l’international comme un endroit sûr pour les personnes LGBTQ+, les attaques contre les droits LGBTQ+ se sont multipliées dans la dernière année. Que ce soit au Nouveau-Brunswick, en Saskatchewan ou en Alberta, tous les tirs semblent pointer la même cible : les enfants trans et/ou non binaires. En effet, les trois provinces susmentionnées ont adopté des lois encadrant les droits de ces dernier.e.s à l’école. Désormais, dans ces provinces, un.e jeune a besoin du consentement de ses parents pour pouvoir changer son prénom ou ses pronoms d’usage dans le cadre scolaire. Cette réforme est décriée par plusieurs spécialistes et autres professionnel.le.s en éducation pour ses impacts négatifs non seulement sur les jeunes trans et/ou non binaires, mais aussi sur d’autres jeunes qui pourraient vouloir changer leur prénom d’usage pour des raisons différentes.   

Au Canada comme aux États-Unis, les personnes qui supportent ces lois anti-trans brandissent la même notion : celle des « droits parentaux », selon laquelle il revient aux parents de déterminer ce qui est bon ou non pour leur enfant. Selon la juriste et militante trans Florence Ashley, il s’agit d’une « idée perverse ». Ille explique que les parents ont effectivement une autorité légale, mais que celle-ci doit s’exercer dans le but de parvenir au bien-être de l’enfant. En bref, l’autorité légale des parents devrait s’arrêter au moment où elle va à l’encontre du bien-être de l’enfant, car les enfants ne sont pas la propriété de leurs parents. Or, les études scientifiques pointent dans cette même direction : la possibilité pour un.e enfant trans d’effectuer une transition a un effet positif immédiat sur le développement de l’enfant. Plus précisément, selon une étude réalisée en 2020, les jeunes trans et non binaires qui ont accès à des bloqueurs de puberté ou à des hormones d'affirmation de genre sont 60 % moins susceptibles de souffrir de dépression modérée ou sévère. Ces jeunes sont aussi 73 % moins susceptibles d'envisager de s'automutiler ou de se suicider. On peut donc comprendre en quoi il est « pervers » de clâmer que des parents ont le droit d’empêcher leurs enfants d’accéder à des traitements ou à un accompagnement qui pourraient sauver leur vie.

Dans ce débat, on parle beaucoup des droits parentaux, mais peu des droits des enfants. Selon l’article 12 de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE), adoptée par l’Organisation des Nations unies en 1989 et ratifiée par le Canada et le Québec en 1991, les enfants ont notamment droit au respect de leur propre perspective, à la mesure de leur maturité. Selon Florence Ashley, la notion de droits parentaux telle que présentée par certain.e.s militant.e.s anti-trans est incompatible avec les droits de l’enfant. Elle renvoie à une version dépassée du droit, qui a été modifiée après des décennies de combat pour la reconnaissance des droits des enfants au XXe siècle. La remise en question de ces acquis représente une pente glissante dangereuse non seulement pour les droits des enfants trans, mais aussi pour ceux de tous.te.s les enfants. 

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Et au Québec?

Au Québec, jusqu’à l’été 2023, le gouvernement du premier ministre François Legault semblait avoir une approche différente. En 2022, le ministre de la Justice a montré une réelle ouverture à travailler avec les communautés LGBTQ+ dans les étapes qui ont mené à l’adoption du projet de loi 2. Il faut toutefois noter que la version initiale de ce projet de loi contenait des éléments problématiques, tels que l’ajout d’une obligation d’avoir subi une opération génitale pour pouvoir changer légalement son marqueur de genre. Ce n’est que grâce à la mobilisation des groupes d’intérêt des communautés LGBTQ+ que ce recul a pu être évité. À la fin d’un important processus de concertation, la mouture finale du projet de loi a permis plusieurs avancées, notamment la reconnaissance légale des personnes non binaires à travers le marqueur X et la possibilité pour les non-citoyen.ne.s d’effectuer un changement de la mention de genre. 

Mais en un peu plus d’un an, les choses ont bien changé. 

Fin 2023, après deux épisodes de controverse médiatique liés aux toilettes mixtes dans les écoles et à un.e enseignant.e non binaire qui désirait se faire appeler « Mx » par ses élèves, le premier ministre François Legault donnait le mandat à la ministre de la Famille, Suzanne Roy, de créer un comité de sages pour se pencher sur la question de l’identité de genre. Lors de la création du comité, les organismes LGBTQ+ ont tiré la sonnette d’alarme, décriant l’absence de personnes trans et/ou non binaires, ou même de personnes travaillant avec ces personnes en son sein.

Début 2024, on apprenait que le gouvernement du Québec empêchait l’application de sa propre loi (le projet de loi 2) en ordonnant à la SAAQ et à la RAMQ de ne pas émettre de cartes d’identité avec un marqueur de genre X, alors que ces deux sociétés d’État avaient annoncé en avoir la capacité.

Il y a quelques semaines, le ministre de l’Éducation Bernard Drainville interdisait la construction de nouvelles toilettes mixtes dans les écoles publiques, alors qu’un rapport de la fonction publique de son propre ministère, daté d’il y a à peine deux ans, recommandait la multiplication des toilettes mixtes dans les écoles à la fois pour des raisons d’inclusion et pour des raisons économiques. 

Alors que les vagues de manifestations et de haine anti-LGBTQ+ en provenance des États-Unis semblent avoir atteint le Québec dans la dernière année, on ne peut s’empêcher de se demander si ces manifestations de LGBTQ+phobies ont une influence sur les politiques de notre gouvernement et surtout sur le ton de celui-ci quand vient le temps de parler des questions LGBTQ+.

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LGBTQ+phobies sans frontières

Le recul des droits LGBTQ+ ne semble pas se limiter au Canada et aux États-Unis. Après l’avortement et les mesures sanitaires liées à la pandémie de la COVID-19, les droits des personnes LGBTQ+ et la protection de la famille traditionnelle semblent être le nouvel enjeu dont les mouvements conservateurs de différents pays d’Occident se sont saisis pour galvaniser leurs partisan.e.s. 

En Italie, en 2023, le gouvernement de la première ministre d’extrême droite Giorgia Meloni a commencé à supprimer les noms de dizaines de mères lesbiennes sur les certificats de naissance de leurs enfants, prônant que seule la mère biologique pouvait figurer sur le certificat de naissance de son enfant. Le mois dernier, une juge a renversé cette décision, mais le gouvernement de Meloni pourrait encore décider de faire appel du jugement. 

Il y a quelques semaines, le Vatican a publié Dignitas Infinitas un document dans lequel le Pape François qualifie la « théorie du genre » de « colonisation idéologique très dangereuse ». Dans le même texte, on peut lire que « toute intervention de changement de sexe risque, en règle générale, de menacer la dignité unique qu'une personne a reçue dès le moment de la conception ».

En France, les partis de droite allient leur force pour interdire les bloqueurs de puberté chez les mineur.e.s et pour criminaliser les professionnel.le.s de la santé qui traitent des enfants trans et/ou non binaires.

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Les incidents LGBTQ+phobes en hausse

Au-delà des grandes institutions politiques et religieuses, on assiste à une résurgence des LGBTQ+phobies, mais aussi du conservatisme en général, au sein de plusieurs sociétés à travers le monde. Cette tendance gagne du terrain de façon inquiétante, notamment auprès des plus jeunes générations. 

Le professeur Bobby Duffy, directeur du King’s College London’s Policy Institute, mentionne que ce profil générationnel est inhabituel. En effet, selon lui, les nouvelles générations sont habituellement plus confortables avec les normes sociales émergentes, ayant grandi en étant entourées de ces normes. Selon lui, la présence d’une minorité persistante de jeunes qui sont fortement opposé.e.s aux nouvelles normes sociales pose un risque réel de division au sein de la jeune génération.

Au Québec, des enseignant.e.s rapportent une augmentation des incidents LGBTQ+phobes à l’école. Dans un article du 24 heures, une professeure de Montréal rapporte que de plus en plus d’élèves sont ouvertement homophobes. 

Il y a quelques mois, une étude réalisée par le King’s College rapportée par The Guardian montrait que les hommes de 16 à 29 ans sont plus susceptibles que les baby-boomers d’avoir une perception négative du féminisme. 

En février 2023, Brianna Ghey, une adolescente trans britannique, est poignardée à de multiples reprises. Ses assassin.e.s, qui sont aussi ses camarades de classe, avouent par la suite qu’il s’agissait d’un meurtre prémédité.

En mars 2024, Alex Franco, un homme trans de 21 ans, est enlevé et assassiné par deux adolescents de 18 ans dans l’État américain de l’Utah. 

Toujours en mars 2024, un homme de 18 ans est arrêté à Détroit, au Michigan, en lien avec le meurtre d’Ashia Davis, une femme noire trans de 34 ans. 

À travers les médias sociaux, les jeunes des générations Z et Alpha ont accès à du contenu designé spécifiquement pour eux et elles. Des tradwives* à Andrew Tate** en passant par les incels***, les mouvements conservateurs prennent d’assaut les médias sociaux, mettant de l’avant des idées qui menacent les droits des personnes LGBTQ+, mais aussi les droits des femmes ou encore les droits des personnes racisées et autochtones.

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Résilience communautaire

Malgré une conjoncture difficile, la mobilisation des communautés LGBTQ+ ne s'essouffle pas. Au Canada, en Europe, mais aussi dans des pays où les identités LGBTQ+ sont encore criminalisées, on assiste à une mobilisation sans précédent des communautésLGBTQ+ et de leurs allié.e.s. En plus de s’organiser pour riposter contre les attaques LGBTQ+phobes qui fusent de toutes parts, les communautés LGBTQ+ créent des espaces d’entraide et de soutien pour les plus vulnérables de leurs membres. Bien souvent, ces espaces viennent combler un vide, répondre à des besoins criants et parfois même sauver des vies. 

Dans ce contexte, la Journée internationale contre l’homophobie et la transphobie est une occasion de se réunir, d’éduquer et de sensibiliser sur les réalités LGBTQ+ et surtout sur les conséquences des actions LGBTQ+phobes. 

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*Le mouvement Tradwife (abréviation de « traditional wife », soit épouse traditionnelle) est un mouvement prônant le retour d'un rôle de la femme mariée comme femme au foyer. Le mouvement encourage les femmes à dédier leurs vies à leurs familles et leurs enfants et à se soumettre à leur mari. 

**Andrew Tate est un influenceur qui s’autoproclame « misogyne ». Il est associé au mouvement masculiniste. Il est connu pour sa popularisation de propos violents envers les femmes auprès de jeunes hommes sur les réseaux sociaux. Andrew Tate est aussi accusé d’agression sexuelle et de proxénetisme, entre autres. 

***Les incels (mot-valise formé à partir de « involuntary » et « celibates » ou, en français, « célibataires involontaires ») forment des communautés en ligne dont les membres se définissent comme étant incapables de trouver une partenaire amoureuse ou sexuelle. Ces hommes, majoritairement cisgenres et hétérosexuels, blâment les femmes et leur libération sexuelle, sociale et économique pour leur absence de relation.

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Sources
droits sexuels, queer, orientation sexuelle, identité de genre, diversité sexuelle et pluralité de genre, avancée, recul

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