Dans Le Straight Park, Gabriel Cholette, docteur en littérature médiévale et figure montante de la littérature queer, nous livre un récit introspectif où la quête d’équilibre entre les tensions et contradictions se transforme en une initiation des skateparks montréalais, ces espaces dominés par les codes hétéronormés. Derrière ce décor se cache un véritable cheminement émotionnel et identitaire, un processus de réconciliation avec soi-même après les ravages laissés par les hommes, les normes de genre, les traumas familiaux et la violence conjugale.
L’auteur utilise le skate non pas comme un simple passe-temps, mais comme un symbole de résistance et de transformation personnelle. Dès les premières pages, son écriture fragmentée, presque kaléidoscopique, mêle descriptions visuelles précises et réflexions intérieures. On plonge dans ses pensées arborescentes, à la fois chaotiques et multiples. Cette alternance entre formes brèves et images intimes pousse parfois à se perdre dans les détails, perturbant la fluidité de la lecture. « Je m’arrête sur le plus beau : cheveux jaunes chemise jaune tombant sur des pantalons jaunes boxers jaunes poils jaunes, il trace des allers-retours dans la piscine vidée, c’est pas facile de l’attraper, trois fois demi-tour, de gros cercles convolutés, je fonce par mégarde sur quelqu’un-une, ça ne fait pas bang mais dans ma tête BANG, je monte au penthouse de ma conscience, dans ce jardin je suis un petit renard jaune parmi les pissenlits jaunes et ça rappelle l’été, les biscuits Ritz, un orangé près du jaune. » (p.13) L'écriture est sans conteste belle et poétique. Toutefois, à plusieurs moments, le style presque pictural m'a fait perdre le fil du récit, brouillant les repères avant de revenir à l'essentiel.
Cela dit, je me suis profondément attachée à l’auteur et à son histoire, avec une réelle envie de découvrir la suite, à chaque page tournée. À travers ses errances nocturnes sous l’influence de drogues et ses rencontres avec d’autres skateurs et skateuses dans le Mile-End, Gabriel nous plonge tout en nuances et émotions dans une série de confrontations avec son passé, où chaque souvenir devient une pièce d’un puzzle émotionnel complexe. L’identité queer de Gabriel occupe une place centrale dans son récit, marquée par la honte et la souffrance infligées par son dernier partenaire violent qui lui prescrivait un comportement traditionnellement plus féminin : « (...) il m’obligeait à me raser les jambes, les aisselles, le pubis; mon corps ainsi arrangé le rassurait. Il répudiait tant sa sexualité qu’il contrôlait son environnement pour réprimer son mal-être, il me plaçait du côté de qu’il fallait taire, détruire : sa haine de lui-même se déversait sur moi, me transformait, m'entraînait dans son cauchemar. » (p. 110) Cette dynamique toxique souligne non seulement l’impact destructeur de l’homophobie intériorisée, mais aussi comment la peur et la répression de l'identité peuvent s'exprimer par la manipulation et le contrôle des autres.
Ce qui m’a le plus marquée, c’est la façon dont l’auteur nous entraîne dans un crescendo émotionnel, jusqu’à un moment particulièrement puissant – l’évocation de la séparation de ses parents lorsqu’il était enfant. C’est un passage bouleversant, où la fragilité de l’enfant se mêle à la douleur de l’adulte qu’il est devenu. Ce moment m’a arraché des larmes, et je pense que beaucoup de lecteurs et lectrices s’y reconnaîtront, surtout ceux et celles qui ont eux et elles-mêmes traversé des deuils relationnels familiaux.
Le Straight Park est un livre court, mais chaque page est dense en émotion et en réflexion. Sa lecture demande du temps, en raison de la profondeur des thèmes abordés. La transformation de Gabriel à travers le skatepark devient une métaphore puissante pour quiconque cherche à surmonter ses propres luttes intérieures. C’est un récit poignant, où l’humanité transparaît dans chaque mot. Toute personne ayant traversé des deuils, qu'ils soient amoureux ou familiaux, pourra s’y reconnaître et puiser dans cette lecture un élan d’espoir et d’énergie, prête à entamer son propre processus de guérison.
Référence :
Auteur : Gabriel Cholette
Titre : Le Straight Park
Date de parution : 11 septembre 2024
Maison d’édition : Éditions Triptyque. QueerCe livre est disponible en librairie au coût de 28,95 $.