Des bruits de vague, des chants de grillons à l’horizon, des percussions s’ajoutent, puis des voix polyphoniques accompagnent des bribes de description d’un lieu qui semble enchanteur. « What was amazing about it, there were women everywhere. Tons of them. Tons of women. It was just all women. » Bienvenue à Skala Eressos, sur l’île de Lesbos en Grèce, une communauté lesbienne fondée dans les années 1970 – une des plus importantes à l’époque. Le documentaire sonore I’ll never be alone anymore nous emmène là-bas, le temps d’une parenthèse que l’on partage avec des femmes d’un peu partout dans le monde, d’âges et de classes sociales divers, et qui n’ont cessé d’y venir à la recherche de liberté. Aujourd’hui, elles ont la soixantaine, elles continuent de fêter et de faire vivre cette communauté qui, bien qu’en déclin, est un héritage précieux de la culture lesbienne.
Ce documentaire sonore en anglais est réalisé par une équipe artistique entièrement féminine. Mention spéciale à la géniale musique de Lucie Antunes qui donne envie de danser autant qu’elle amplifie les témoignages par un chœur de voix éthéré, envoûtant.
Les trois réalisatrices se seraient rencontrées dans un bar lesbien, dit-on, il y a plus de 15 ans. Sont alors nées plusieurs collaborations entre elles, dont la réalisation de ce documentaire sonore. Anaïs Carayon est bien connue dans le paysage médiatique français. Actuellement directrice de la rédaction d’Urbania France, elle a notamment fondé l’ancien magazine culturel en ligne Brain. Elle est également co-fondatrice du Queer Ranch Festival qui se déroule chaque année sur l’île de Lesbos, et qui s’adresse avant tout à la communauté lesboqueer. Anaïs Dupuis a pour sa part commencé sa carrière dans l’industrie du cinéma en France et en Allemagne, et continue aujourd’hui à promouvoir des histoires en tant que productrice de balados chez Spotify. Quant à Cécile Simon, vidéaste et réalisatrice indépendante, elle codirige un studio de création multidisciplinaire à Paris.
L’aura de la poétesse Sapho a désigné l’île de Lesbos comme un incontournable de la culture lesbienne. Des femmes des quatre coins du monde y ont afflué dans les années 1970, fuyant la lesbophobie de leur pays d’origine ou de leur entourage. Elles y ont bâti des communautés dont l'apogée s'est cristallisée dans les années 90, avant de se vider peu à peu en raison, notamment, de la hausse du tourisme sur l'île, des conflits avec la population locale, mais aussi de la montée relative de la tolérance envers les lesbiennes dans d'autres pays. Au point qu'elle pourraient aujourd'hui disparaître. À Skala Eressos, une poignée de personnes âgées de 40 à 60 ans et plus résiste en faisant vibrer le village au rythme de fêtes, de baignades quotidiennes, de vies sexuelles débordantes, de drames et d’une sororité inébranlable. Les récits entendus dans ce documentaire sonore racontent l’importance des lieux queers, ce qu’ils permettent en termes d’exploration identitaire et de liberté sexuelle. Ils dépeignent aussi d’autres trajectoires de la vieillesse, dans lesquelles ces femmes se libèrent des injonctions sociales.
Cette communauté lesbienne, qui fut un oasis pour des milliers de femmes à une époque pas si lointaine, est aujourd’hui méconnue des nouvelles générations. Ces témoignages, au-delà d’un matrimoine joyeux, sont une invitation à un travail de mémoire que méritent les archives lesbiennes, et plus largement queers.
L’envie de faire communauté, ce désir de se rassembler et de construire ensemble un espace accueillant, sécuritaire et épanouissant, se fait entendre à nouveau autour de nous. C’est exactement ce sentiment qui demeure après s’être laissé.e porter au bord de la mer Égée, par cette captivante et nécessaire création documentaire.
Référence
Réalisation : Anaïs Carayon, Anaïs Dupuis et Cécile Simon
Titre : I’ll never be alone anymore: The Story of the Skala Eressos Lesbian Community
Date de parution : 2021
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